Vie de la profession
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Michaella Igoho-Moradel
Après cinq semaines d’échanges dans le cadre d’une conciliation, une doctrine a été validée en décembre dernier entre l’Ordre et des sociétés d’exercice vétérinaire appartenant à des groupes. Cette étape marque une avancée importante pour la mise en conformité des établissements de soins, après la publication des décisions du Conseil d’État le 10 juillet 2023.
Un nouveau chapitre s’ouvre dans le bras de fer entre l’Ordre national des vétérinaires et des sociétés d’exercice vétérinaire appartenant à des groupes. Une doctrine* sur l'interprétation des décisions du Conseil d'État du 10 juillet 2023 a été adoptée début décembre par les différentes parties. Rappelons qu’en 2019, des procédures de radiation ont été lancées par l’Ordre à l’encontre de cliniques et centres hospitaliers vétérinaires. L’instance ordinale estimait notamment que leur mode de fonctionnement allait à l’encontre des dispositions de l’article L. 241-17 du Code rural et de la pêche maritime, qui permet « aux vétérinaires de ces sociétés d'exercer leur art dans le respect de leur indépendance professionnelle dans un objectif de protection de la santé des animaux et de la santé publique. » Ces décisions ont rapidement été contestées par divers groupements devant le Conseil d’État, lequel s’est prononcé en juillet dernier. En octobre 2023, le ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire (MASA) a lancé une procédure de conciliation entre l'Ordre, les groupes de sociétés d’exercice vétérinaire concernés et le Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral (SNVEL). La doctrine, validée par les différentes parties à l'issue de cette concertation, détaille 25 points pour, d'une part, « garantir la possibilité aux vétérinaires associés qui sont majoritaires, d’assurer le contrôle effectif de leurs sociétés » et, d'autre part, « encadrer l’exercice effectif de la profession de ces vétérinaires associés dans chaque domicile professionnel d’exercice ».
Une interprétation partagée
« Le bilan de cette première phase est positif. Cette doctrine éclaire les décisions du Conseil d’État, qui s’imposent à tous. Elle ne les remet pas en cause. Chacun s’est engagé à la respecter et à se mettre en conformité. L’Ordre garde une marge d’appréciation tout en n’ignorant pas cette phase de clarification », commente Jacques Guérin (N88), président de l’Ordre. De son côté, le Syndicat des groupes d'établissements vétérinaires (Syngev) salue une « avancée significative » et « reste mobilisé pour la phase de mise en conformité qui s’engage ». Pour Émeric Lemarignier (Liège 07), président de cette organisation, cette doctrine d’emploi apporte une clarification essentielle pour tous les acteurs de la filière : « Elle établit une interprétation partagée entre le Syngev et l’Ordre et offre un cadre analysé et compris par toutes les parties concernées. Cela va désormais favoriser la mise en conformité des sociétés vétérinaires menacées de radiation et offrir une base commune pour appliquer les décisions du Conseil d’État du 10 juillet. Elle démontre aussi la bonne foi des membres du Syngev à trouver des solutions pour assurer la permanence des soins vétérinaires sur l’ensemble du territoire ». Mais quelles sont les grandes orientations de cette doctrine ? En premier lieu, elle rappelle que les vétérinaires associés doivent avoir le contrôle effectif de leur société. Pas moins de dix-neuf recommandations concernent ce thème (points 1 à 18). Exit donc les dispositions de statuts et pactes d’associés qui iraient à l’encontre de cet objectif.
Des dispositions à exclure
Ainsi, « des conventions de vote signées par les vétérinaires associés par lesquelles ils s’engagent par avance à voter dans le sens de décisions validées par l’investisseur minoritaire devraient être écartées », par exemple. Le point 3 de la doctrine précise, lui, que « les décisions de l’assemblée générale ordinaire devraient être prises à la majorité simple à l’exception de certaines décisions relatives à l’usage fait des investissements, à condition que ces décisions n’aient pas pour effet de retirer aux associés vétérinaires majoritaires leur contrôle effectif et leur indépendance ». Autre disposition à exclure, qui faisait partie des faisceaux d’indices retenus par le Conseil d’État, « la promesse unilatérale de vente conclue par un vétérinaire associé permettant à l’investisseur de prendre seul, à tout moment, de manière inconditionnelle et sans limitation dans le temps avec une durée très longue ou sous la condition d’absence de résolution amiable d’un contentieux, l’initiative de réaliser cette promesse ». Par ailleurs, « contrairement aux intentions de certains groupes », la doctrine d’emploi prévoit qu’au moins la moitié des membres des comités ou conseils de surveillance des sociétés à actions simplifiée soient des vétérinaires associés en exercice dans la société et ayant présenté personnellement leur candidature à l’assemblée générale. Cela vaut aussi pour une société anonyme.
Des recommandations à signaler
Le document aborde aussi plusieurs points (9 à 18) non expressément mentionnés dans les décisions rendues par le Conseil d’État. Par exemple, les associés vétérinaires en exercice doivent prendre leurs décisions de manière éclairée et veiller à contrôler eux-mêmes effectivement leur société (point 16). Autre avancée : en cas de contentieux entre un vétérinaire associé et l’investisseur minoritaire, la doctrine indique que le recours mentionné par des statuts ou des pactes à des clauses d’arbitrage international, telle la Chambre de commerce internationale (ICC), devrait être exclu au profit de juridictions arbitrales nationales ou de droit commun. D’autres recommandations protègent également les vétérinaires. Ainsi, le pacte d'engagement « à ne pas invoquer une contrariété de règles de fonctionnement avec les règles déontologiques » devrait être supprimé (point 10). Enfin, « les clauses de non-concurrence imposées aux vétérinaires devraient être réexaminées par les groupes dans l’hypothèse où elles seraient disproportionnées ou abusives » (point 17). Quant aux points 19 à 21, ils concernent l’exercice effectif des vétérinaires associés dans chaque domicile professionnel d’exercice (DPE). Ces recommandations seront abordées dans un prochain article.
Une copie à revoir dans les trois mois
Les sociétés d’exercice vétérinaire ont jusqu’à début mars pour mettre en conformité leurs statuts et leurs modalités de fonctionnement en concertation étroite avec leurs associés vétérinaires. La doctrine rappelle que le contrôle déontologique par l’Ordre des statuts, des pactes d’associés ou d’actionnaires et des contrats est une obligation légale. « L’Ordre ne peut se voir opposer des normes ou des références, comme en ce qui concerne la question de la durée de l’exercice à temps partiel. C’est un ensemble de faits articulés les uns avec les autres, dans un contexte particulier, qui fera que l’Ordre appréciera si les sociétés sont conformes dans leur mode de fonctionnement et de gouvernance. Nous apprécierons les situations au cas par cas, et cette grille de lecture nous y aidera », avance Jacques Guérin. De son côté, Émeric Lemarignier indique que tous les membres du Syngev travaillent pour mettre en pratique les conclusions de cette conciliation. « Je suis profondément optimiste quant à la mise en conformité des sociétés d'exercice vétérinaire le nécessitant d'ici mars 2024. Cette confiance s'appuie sur l'engagement et la bonne volonté manifestée de toutes les parties impliquées. » Le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire signale, pour sa part, qu’il « restera vigilant quant au respect des engagements contractés par les parties et quant au bon déroulement de la mise en conformité des sociétés d’exercice vétérinaire ».