Congrès
ANALYSE MIXTE
Auteur(s) : Par Tanit Halfon
Si la caudophagie reste un phénomène complexe à appréhender, la mise en place de stratégies de contrôle de ces morsures est possible, a-t-il été montré à l'occasion de l'édition 2023 du congrès de l’Association française de médecine vétérinaire porcine. Cela apparaît aussi d’une grande aide pour les éleveurs en cas d’éventuelles poursuites judiciaires.
La réglementation européenne1 interdit depuis 2009 la caudectomie des porcelets en routine, sauf s’il existe « des preuves que des blessures causées aux mamelles des truies ou aux oreilles ou aux queues d’autres porcs ont eu lieu ». Sur le territoire, le compte n’y est pas encore, puisqu'il y a plus de 95 % des porcs français à qui l'on coupe encore la queue. En cause : la complexité de la caudophagie, qui est multifactorielle, a-t-il été montré lors du dernier congrès de l’Association française de médecine vétérinaire porcine (AFMVP), qui s'est tenu les les 30 novembre et 1er décembre 2023 à Rennes (Ille-et-Vilaine), et au cours duquel il a été choisi de consacrer une matinée entière à ce sujet de haute actualité. En effet, fin 2020, pour la première fois, des éleveurs avaient fait l’objet d’une plainte de la part de l’association L214, avec trois chefs d’accusation, dont celui de maltraitance pour pratique systématique de la caudectomie2, a expliqué le vétérinaire Jérôme Houlbert (N 95), qui suivait alors l’exploitation. Cela avait abouti à 2 ans et demi de procédures et conduit à deux procès. Condamnés en première instance en avril 2022, les éleveurs ont finalement été relaxés sur l’acte de maltraitance par le tribunal d’appel en mai 2023. À noter que depuis cette première affaire, l’association L214 s’en était également prise à une autre éleveuse en mai 2022, laquelle a été condamnée cet été en première instance pour la coupe systématique de queues. L’éleveuse a fait appel.
Un motif de procès
L’accompagnement vétérinaire s'est avéré essentiel pour conforter la bonne foi des éleveurs. Pour le premier procès, des arguments avaient été rédigés pour expliquer les risques de la caudophagie, mais « les débats ont été compliqués, avec un juge arc-bouté sur la loi ; les arguments ont été considérés comme non recevables », a expliqué Jérôme Houlbert. Dans la perspective du second procès, « nous avons décidé de mettre en place des fiches de monitoring, incluant les conditions de logement et la notation de la gravité des morsures de tout type, a détaillé le vétérinaire. Ces fiches ont été déployées pour l’ensemble des éleveurs de la coopérative, avec une préconisation de faire des essais de non caudectomie sur certaines portées. Cela a été bien suivi, certains ont même essayé d’arrêter totalement mais ils sont tous revenus en arrière. » Pour l’élevage incriminé, un test de non-caudectomie a été réalisé sur une dizaine d’animaux de 3 bandes successives, photos à l’appui. Un constat d’huissier a été demandé pour ces tests. Malgré ces essais, la défense a tout de même considéré qu’il serait intéressant de faire appel à un expert extérieur, en la personne de la vétérinaire Anne Hémonic (N 03), directrice du pôle Techniques d’élevage à l’Institut technique du porc (IFIP). Laquelle a pu notamment expliquer le bénéfice de la caudectomie puisque, d'une part, cela génère trois fois moins de risques de morsures, voire plus, et que, d'autre part, il n’y a encore à ce jour aucune vraie solution pour arrêter facilement la caudectomie. Pour preuve, en Suède, où la pratique est interdite depuis 1988, « il y a, suivant les études, 2 % ou 7 % de queues mordues relevées à l’abattoir mais cela n’inclut que les carcasses qui présentent au moins la moitié de la queue en moins. Ce qui exclut tous les autres niveaux de morsures. Cela fait quand même beaucoup pour un pays qui a arrêté la caudectomie depuis 35 ans ».
Un profilage complexe des mordeurs
Alors, peut-on arrêter la caudectomie et comment ? Côté prévention, ce n’est pas si simple, car il est très difficile d’avoir un portrait type du mordeur et du mordu. Des caractéristiques individuelles du mordeur sont évoquées dans les études, a expliqué Céline Tallet, éthologue à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). Certaines montrent que les femelles sont plus mordeuses que les mâles castrés ; d’autres que les mâles entiers. Les individus de race Duroc seraient plus mordeurs. Des recherches montrent qu’augmenter le tryptophane peut diminuer le problème… ou pas. Aucune étude ne montre d’effet de poids. De très nombreux facteurs environnementaux sont aussi décrits. Mais « il faut rester humble dans la compréhension quant à l'impact des facteurs environnementaux », a indiqué le vétérinaire Alexis Nalovic (N 16). Selon lui, la prédiction est difficile.
La connaissance de tous ces potentiels facteurs individuels et environnementaux peuvent amener à être plus vigilant dans certaines situations et aider ainsi à réduire le risque d’apparition de morsures. Dans cette optique, l’observation est essentielle de la part de l’éleveur. À ce sujet, des recherches sont en cours sur les signes permettant une détection précoce. Mais la prévention reste insuffisante. De fait, un levier d’action tout aussi essentiel pour le vétérinaire sera de pouvoir caractériser les types de comportements de morsures lorsqu'ils ont lieu, afin de proposer une solution adaptée au contexte d’élevage pour les arrêter (et donc in fine prévenir des futures morsures). Aujourd’hui, on considère qu’il y a 4 types de comportements. Premier type : la morsure en deux étapes, avec un mâchonnement (sans lésions associées) qui précède la morsure. Ce comportement serait lié au besoin d’exploration et de fouissage ; dans ce cadre, elle se déclenche en cas de stress chronique modéré. Deuxième type : la morsure soudaine et en force, typique lorsqu'un porc n’arrive pas à accéder à une ressource. Troisième type : la morsure obsessionnelle, sans raison apparente, avec un porc qui va mordre tous ses congénères dans la case. Le quatrième type correspond à une apparition soudaine et épidémique, avec un premier porc qui mord, puis des comportements de morsure qui se répandent dans tout le groupe. Cela se produit lors de changements brusques de température ou lors d'un problème d’alimentation.
La dysbiose, un facteur de risque à surveiller
Il convient également de faire le distinguo entre les morsures dites agressives et celles non agressives. On parle des premières lorsque la motivation avérée du porc est de se défendre ou d’attaquer : cela se produit en cas de dominance, quand il y a un accès limité aux ressources ou par besoin de se protéger. La morsure dite non agressive intervient lorsque l’animal a l’impossibilité d’effectuer un comportement naturel comme fouir ou mâchonner.
Une fois le diagnostic posé, « suivant le type de morsure, on pourra mettre des actions en place. Par exemple, dans le premier cas, il s’agira d’éliminer les facteurs de risque. Pour le deuxième cas de figure, de retirer la cause », a souligné Alexis Nalovic, tout en rappelant que sur le terrain, « les choses pouvaient être contiguës ». Il conseille donc de sortir les mordeurs d’une case pour les mettre ensemble.
Invité comme conférencier, le vétérinaire allemand Franz Lappe a montré le bénéfice certain de l’analyse vidéo pour appuyer le vétérinaire dans sa démarche diagnostique. Pour ce faire, l’installation peut être relativement simple : une caméra protégée par un boîtier en plastique, le tout accroché en hauteur au-dessus des cases, à raison de plusieurs dizaines d’heures d’enregistrement. Une phase d’acclimatation à l’analyse des séquences enregistrées est nécessaire pour gagner en efficacité de travail, mais cela se fait sans difficulté, selon le conférencier. Cette méthode d’observation indirecte permet de visualiser la séquence de morsure dans son contexte, ce qui facilite l’identification du type, d'une part, et la recherche des facteurs déclenchants, d’autre part. Selon le conférencier, la dysbiose est l’un des principaux facteurs de morsures de la queue ou de l'oreille, du fait de la perte associée des nutriments critiques que sont les protéines et le sodium.