Les besoins en eau des colonies d’abeilles - La Semaine Vétérinaire n° 2017 du 09/01/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2017 du 09/01/2024

Apiculture

FORMATION MIXTE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Pierre Le Bivic, ingénieur d'études à Institut national de la recherche agronomique, UR 406 Abeilles et Environnement d'Avignon (Vaucluse).

D’après une conférence « Importance quantitative et qualitative de la ressource en eau pour les abeilles mellifères », donnée lors des Journées vétérinaires apicoles qui se sont tenues du 18 au 20 octobre 2023 à Oniris-VetAgroBio Nantes (Loire-Atlantique).

Dans les populations d’abeilles, les butineuses assurent le rôle de collectrices des ressources. Outre le nectar et le pollen, elles vont aussi approvisionner la ruche en eau pour répondre à différents besoins documentés : thermorégulation du couvain en cas de stress thermique, production de nourriture larvaire et apports de micronutriments non disponibles via les ressources alimentaires. La collecte de la ressource hydrique dépend de plusieurs paramètres, aussi bien externes qu’internes, qu’il convient de connaître afin de gérer au mieux les besoins en eau des colonies.

Une tâche bien organisée

Près de 1 % des individus d’une colonie seraient spécialisés dans la collecte d’eau. Puis ce sont des abeilles dites receveuses qui se chargent de la gestion en interne de l’eau ramenée de l’extérieur. Plusieurs sources d’eau sont visées par les butineuses : rivières, pompes d’irrigation, flaques, eau de mer, eau de ruissellement sur des végétaux en décomposition, etc. Une diversité que l’on retrouve de fait au niveau de la composition de l’eau récupérée et… de sa qualité ! 95 % des butineuses collecteraient de l’eau dans un rayon de moins de 500 mètres autour de la colonie, avec une grande majorité d’entre elles qui chercheraient l’eau dans le rucher (dans un contexte d'environnement non limité en eau). Le précieux liquide est collecté toute l’année, avec des orientations d’usage différentes suivant la période de l’année. En été, l'eau sera logiquement utilisée pour réguler le stress thermique ; au printemps pour l’élevage. En hiver, elle pourrait être potentiellement utilisée face à une situation où il y a besoin de remobiliser les réserves de miel.

En matière de régulation d’eau, actuellement, les facteurs déclenchant une collecte ne sont pas encore bien connus.

Des déterminants météo et populationnels

Récemment, le projet de recherche BeeO* s’est penché sur les composantes de la collecte en eau, et plus spécifiquement sur les facteurs l’influençant. Toutes les expérimentations ont été faites dans des conditions contrôlées sans apport d’eau d’extérieur (mini-tunnels). Premier résultat : la quantité d’eau collectée peut être très importante, avec des différences marquées suivant les saisons et des variations au cours d’une même journée. Ainsi, il a été montré qu’au printemps, aux heures les plus chaudes, la collecte montait à 40 ml par heure. En été, c’est pratiquement le double, soit presque 80 mL/h, avec un facteur 2 entre les ruches et les ruchettes. En automne, la consommation se situe autour de 20 mL/h pour les deux types d'habitat. Au quotidien, la quantité estimée est de 100 mL par jour en automne, de 200 à 400 mL au printemps pour les ruchettes et les ruches, et de 300 à 600 mL en été. À noter que la collecte la plus importante constatée était de 1,4 L par jour.

Par ailleurs, les expérimentations ont aussi permis d'identifier deux seuils de température au-delà desquels la collecte augmente fortement : 22 °C et 30 °C. Lorsque les colonies n’étaient pas dans une situation de stress thermique, le nombre de cellules de couvain ouvertes était le facteur déterminant le plus la variance dans la collecte d’eau. Globalement, ce sont les variables populationnelles qui expliquent plus de 40 % de la variance dans la collecte d’eau journalière. Dans cette situation thermique, il y avait 4 % d’augmentation de la collecte, soit 6 mL, et ce pour chaque degré de température supplémentaire. En cas de stress thermique, ce sont également les variables populationnelles qui expliquent le plus la variance dans la collecte d’eau, mais s’y ajoutent aussi une variable météo en lien avec l’humidité de la ruche : plus il fait chaud et sec, plus la colonie consommera d’eau. Dans ce cas, il y a 17 % de hausse de collecte, soit 50 mL, et ce pour chaque degré de température supplémentaire.

Des préférences quant aux sources d’eau 

Par ailleurs, il a été démontré que l’eau collectée par les abeilles se retrouvait bien dans la gelée. De plus, il a aussi été constaté une corrélation entre la teneur en pesticides contenus dans l’eau collectée par les abeilles (du glyphosate, dans le cas présent) et leur teneur dans la gelée. Enfin, si on leur laisse le choix entre différentes sources d’eau, les butineuses préféraient d'abord les eaux à la composition moins minéralisée, puis l'eau distillée et enfin l'eau de pluie. Ces constatations amènent à penser qu’apporter de l’eau à ses colonies pourrait s'avérer une pratique intéressante puisque les abeilles semblent avoir une préférence pour cette source propre. Qui plus est, cela éviterait de facto une potentielle exposition à des sources hydriques contaminées.

Au final, plusieurs enjeux se font jour autour de la ressource en eau : des enjeux climatiques en lien avec les épisodes de sécheresse et de fortes températures ; des enjeux sanitaires avec les contaminations des eaux par des polluants voire des pathogènes ; mais aussi d’éventuels enjeux sociaux, avec des nuisances pour les riverains associées à la collecte d’eau (abreuvoir en zones d’élevage, piscine, etc.).

Des apports envisageables

En pratique, quelles préconisations peuvent être faites quant à l’apport d’eau dans les ruchers ? On peut déjà conseiller d’en apporter dans des abreuvoirs, une étude ayant montré une préférence pour ce type de récipient par rapport à l’eau des flaques, lequel est également associé à une moindre mortalité (notamment par noyade). Des études ont aussi mis en évidence l’intérêt d’un apport de sel dans l’eau, afin d'attirer les abeilles. Il reste cependant encore bien des questions à résoudre : comment apporter un volume d'eau suffisant au rucher ? Comment maintenir l’eau propre ? Comment éviter de repasser trop souvent dans chaque rucher pour recharger l’eau ?

  • * Projet BeeO : urlz.fr/pe5K