Soins intensifs
FORMATION CANINE
Auteur(s) : Mylène Panizo Conférencier Maxime Cambournac (L 12), diplômé de l’European College of Veterinary Emergency and Critical Care (ECVECC), spécialiste en médecine d’urgences et de soins intensifs au Centre hospitalier vétérinaire Frégis de Gentilly (Val-de-Marne). Article rédigé d’après la webconférence intitulée « Démystifier l’hypernatrémie », organisée par le CHV Frégis en partenariat avec le laboratoire Zoetis, le 8 juin 2023.
Prendre en charge une hypernatrémie chez les chiens et les chats est complexe et nécessite une grande rigueur. La correction en clinique de l’hypernatrémie est en effet dangereuse, bien plus que l’hypernatrémie elle-même.
Sodium et mouvements d’eau
Le sodium dirige l’essentiel de la pression osmotique de l’organisme : l’apport de sodium crée un appel d’eau. Toute perte d’eau (suite à une diarrhée profuse, par exemple) entraîne une hypernatrémie, autrement dit un appel d’eau du compartiment interstitiel vers le compartiment intravasculaire, et donc une déshydratation cellulaire, c'est-à-dire une perte d’eau dans le compartiment cellulaire. En cas de déshydratation cellulaire, le cerveau est particulièrement en danger. Mais les cellules cérébrales ont la capacité de compenser la perte d’eau en synthétisant des protéines qui ont un pouvoir osmotique intracellulaire. Lorsque la natrémie se normalise, les cellules nerveuses éliminent ces osmolytes. Si la correction de la natrémie est trop rapide, le cerveau n’a pas le temps de s’adapter et la présence des molécules osmotiquement actives génère un appel d’eau intracellulaire, et donc un œdème cérébral pouvant être fatal.
Démarche diagnostique
L’hypernatrémie se définit comme une concentration en sodium plasmatique supérieure à 160 mmol/l. Face à une hypernatrémie, il importe de se demander si elle n’est pas artefactuelle (présence d’une hypoprotéinémie ou d’une hypotriglycéridémie). Lorsque l’hypernatrémie est avérée, il est conseillé d’avoir une approche clinique pour établir le diagnostic différentiel. La situation varie en fonction de la volémie (voir tableau 1).
Démarche thérapeutique
Un animal en hypernatrémie doit être hospitalisé, idéalement en soins intensifs. Il est impératif de corriger d’abord et avant tout l’hypovolémie (en urgence, en bolus), puis la déshydratation et, enfin, la natrémie (correction lente, en perfusion). Il faut bien garder en tête que la correction de la natrémie peut être beaucoup plus dangereuse que sa présence.
En cas d’hypernatrémie chez un patient en hypovolémie
L’animal nécessite l’administration immédiate d’un bolus de fluide isotonique. En effet, il ne faut pas chercher à corriger la natrémie avant de restaurer la volémie, car la natrémie diminuerait trop brutalement et le cerveau n’aurait pas le temps de s’adapter (risque d’œdème cérébral et donc de décès).
Il faut donc créer un fluide isotonique spécifique au patient, qui se répartisse de manière équivalente du compartiment vasculaire au compartiment interstitiel, sans appel d’eau. Pour cela, il doit contenir la même concentration en sodium que la natrémie du patient à l’admission (+/-10 mmol/l). À cette fin, il faudra mélanger deux solutés cristalloïdes en fonction de la concentration en sodium des fluides à disposition (voir tableau 2). Il est indispensable de bien identifier la poche de perfusion qui ne servira qu’à ce patient.
Il est nécessaire d'apporter à l’animal 10 à 30 ml/kg du fluide ainsi créé en 5 à 10 minutes, puis de réévaluer son statut volémique (par examen clinique et suivi de la pression artérielle systémique). Il est important de prendre en charge la douleur, car elle influence la pression artérielle systémique. En cas d’hypovolémie persistante, il convient de renouveler le bolus, jusqu’à obtenir une normovolémie.
La kaliémie ne doit pas être corrigée car un apport de potassium en bolus est dangereux pour le système cardiaque.
En cas d’hypernatrémie chez un patient normovolémique
Les étapes à suivre pour normaliser la natrémie sont les suivantes :
1. Calcul du déficit en eau libre ou Free Water Deficit :
FWD (en l) = 0,6 x Poids vif (kg) x ([Na] patient à l’admission – [Na] normale plasmatique) / [Na] normale plasmatique)
2. Détermination de la vitesse de diminution de la natrémie :
si l’hypernatrémie est d’apparition aiguë (moins de 24 heures), la vitesse de diminution doit être de 1 mmol/l/h ; si elle est chronique, la vitesse sera de 0,5 mmol/l/h.
3. Calcul du temps nécessaire pour rééquilibrer la natrémie : ([Na] du patient à l’admission – [Na] normale plasmatique) / vitesse (définie à l'étape 2).
À la fin de l’étape 3, on connaît donc la quantité d’eau libre à administrer à l’animal (en litre) et la durée totale de la perfusion (en heures). On calcule ensuite le débit de perfusion, en ml/h.
L’eau libre correspond à de l’eau sans sodium et injectable. On utilise le plus souvent du glucose 5 % car le glucose étant rapidement absorbé, il ne reste ensuite que l’eau comme apport pour réhydrater et rééquilibrer.
Sur un patient normovolémique, on peut également compléter la perfusion en potassium, si besoin.
4. Estimation des pertes : pour effectuer cette évaluation, on diminue la vitesse de la perfusion et on prend en compte si le patient vomit, s'il a des diarrhées ou s'il est en polyuropolydipsie (cas des patients diabétiques, notamment). Attention, il ne faut pas donner d’eau dans une gamelle car la vitesse de la baisse de la natrémie serait trop rapide (risque d’œdème cérébral).
5. Réévaluation toutes les 4 à 6 heures de la natrémie pour vérifier que la natrémie baisse selon la vitesse indiquée. Il est très important de suivre les pertes en eau tout au long de l’hospitalisation (vomissements, diarrhées, mictions, etc.).
Approche thérapeutique simplifiée
Pour simplifier les calculs (en cas d’urgence à l’admission, par exemple), le conférencier propose de procéder à deux approximations :
- Pour le bolus, afin de restaurer la volémie du patient, on peut estimer que 1 ml de NaCl 10 % dans 1 litre de NaCl 0,9 % fait augmenter la natrémie du fluide ainsi créé de 2 mmol/l. Le bolus est administré à 10 à 20 ml/kg en 10 à 20 minutes.
- Une fois la volémie restaurée, à la place d’utiliser le FWD, on peut prendre le pourcentage de déshydratation de l’animal (qui est fonction de l’examen clinique) comme débit de perfusion (en ml/kg/h) du fluide isotonique spécifique au patient précédemment créé. En parallèle, une poche de glucose 5 % est mise en place, en considérant que 3 ml/kg/h de glucose 5 % vont diminuer la natrémie du patient de 1 mmol/l/h. L’animal a donc deux poches de perfusion : le soluté isotonique et la poche de glucose 5 %.
Un contrôle de la natrémie est effectué 4 heures plus tard et une nouvelle poche de perfusion isotonique spécifique au patient est créée, cette fois en effectuant les calculs précédemment expliqués. Si on utilise de nouveau le pourcentage de déshydratation, il faut ajouter au débit calculé le débit d’entretien (2 ml/kg/h), ainsi que la quantité d’urine (en ml/kg/h).
Exemple pour créer un bolus adapté au patient
Un chien est présenté à l’admission avec une natrémie de 170 mmol/l. On utilise du NaCl 0,9 % (fluide dont la concentration en sodium est la plus proche de la natrémie du patient à l’admission). On calcule la concentration en sodium manquant pour obtenir la natrémie du patient : 170 - 153 = 17 mmol/l de sodium. Le NaCl 10 % contient 1 754 mmol/l de sodium, donc 1 ml contient 1,754 mmol/l de sodium. Pour apporter 17 mmol/l de sodium au patient, il faut donc ajouter 9,60 ml de Na Cl 10 % dans la poche de NaCl 0,9 % (ce qui constituera la poche de perfusion isotonique au patient).