Le chat domestique, un chasseur pas élitiste - La Semaine Vétérinaire n° 2018 du 26/01/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2018 du 26/01/2024

Écosystèmes

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

Selon une récente étude française, nos chats de compagnie chassent un large spectre d’animaux, et plus particulièrement des rongeurs. Des solutions simples à mettre en place par les propriétaires peuvent aider à limiter cette prédation.

Nos chats, bien que domestiqués depuis des milliers d’années, n’ont rien perdu de leur comportement de chasseur. Lequel est régulièrement, et de plus en plus, pointé du doigt du fait de son impact sur la biodiversité. L’exemple probablement le plus criant étant celui de l’Australie où des politiques de santé environnementale sont menées, incluant la gestion des populations de chats sauvages par piégeage et abattage, et des restrictions dans la détention et le mode de vie des chats domestiques. Là-bas, des études ont estimé que les chats tuaient chaque année 1,14 milliard de mammifères, dont 815 millions par les chats harets (sauvages). Et en France ? Les données manquent mais une récente étude*, menée par la Société française pour l’étude et la protection des mammifères (SFEPM), en association avec des scientifiques de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et de DataEthoEco, permet d’apporter quelques données intéressantes. L’étude s’est déroulée sur huit années, de 2015 à 2023, sur toute la France. Elle s’est appuyée sur le principe des sciences participatives : 4 095 détenteurs volontaires ont déclaré via une plateforme en ligne, les proies ramenées à la maison par leurs chats. Afin de faciliter leur identification, ils avaient accès à un livret photographique. Cela aura permis de récolter 36 568 enregistrements de chasse, issus de 5 048 chats, répartis sur toute la France, Corse comprise. À noter qu’un chat, en tant qu’individu, n’était pas suivi sur les huit années. En moyenne, un détenteur participait pendant 3 mois. Le nombre moyen de chats suivis par saisons était de l'ordre de 2 050 individus. Ils ont été 3 073 à ne rapporter qu’une seule proie ; 2 610 au moins deux, dont 812 au moins 10 proies.

Une grande diversité de proies

L'analyse des données a montré que les proies des chats appartenaient à plus de 200 espèces issues de 11 classes différentes, la principale étant celle des mammifères (68,3 % des proies), largement devant les oiseaux (21,4 %) et les squamates (type lézards, 8,4 %). Parmi les mammifères, les rongeurs étaient les animaux les plus chassés (80 % des proies), suivis des Eulipotyphles (taupes, musaraignes ou hérissons, 15,8 %). Les chiroptères (chauves-souris) ne représentent que 1,3 % des proies et les lagomorphes (lapins, lièvres, etc.) seulement 2,4 %. La souris domestique occupe la première place (14,5 %) des micromammifères prédatés, suivie du campagnol commun (3,7 %) et du mulot sylvestre (3,5 %). À noter toutefois que près de 65 % des micromammifères n’ont pas pu être formellement identifiés. Les passériformes étaient les oiseaux les plus capturés (83,3 %), en premier lieu le moineau domestique (14,4 %) suivi du merle d’Europe (9,3 %) et du merle noir (8,3 %). Pour les squamates, plus de 90 % des espèces prédatées étaient de la famille des lacertiliens, dont près de 60 % de lézards des murailles.

Des captures saisonnières

Toutes ces données chiffrées montrent une chose : « Les chats domestiques peuvent prédater une grande diversité de proies », comme le soulignent Nathalie de Lacoste, bénévole en charge du programme « Chat domestique et biodiversité » pour la SFEPM, et Irène Castañeda González, maîtresse de conférences à l’Université de Bordeaux. Cela en sachant que le nombre de proies est sous-estimé, étant donné que ne sont prises en compte ici que celles rapportées au détenteur. « Étonnamment, les reptiles représentent une part importante de ces proies, ce qui n’était pas forcément attendu », indiquent-elles.

Par ailleurs, est apparu un effet saisonnier avec deux périodes plus intenses des captures : du milieu du printemps au milieu d’été, et entre la fin de l’été et le milieu de l’automne. Dans ce schéma saisonnier, sont notées des variations dans les périodes de capture suivant les espèces animales, en lien avec les dynamiques de population. Ainsi, il y a un premier pic de capture des oiseaux à la fin du printemps/début de l’été, correspondant probablement à des mâles adultes reproducteurs qui chantent (et donc attirent l’attention), puis un second moins important au milieu de l’automne, ce qui correspond à des juvéniles. Pour les rongeurs, la prédation est maximale en fin d’automne, ce qui correspond à la fin de la saison de reproduction avec des juvéniles, mais il y a aussi des captures au printemps, qui concernent donc des adultes reproducteurs. « La prédation pendant les périodes de reproduction pourrait avoir des effets potentiels sur la dynamique des populations », expliquent Nathalie de Lacoste et Irène Castañeda González.

Une influence de l’âge… et de l’humain !

La pluie intervient également dans le succès de prédation de certaines espèces, en relation avec une activité accrue des petits mammifères, laquelle augmente le risque d’exposition avec un chat. La fréquence de capture des types de proies varie suivant la zone du territoire, en lien avec la distribution des espèces dans les milieux, excepté pour les passereaux qui sont capturés de manière uniforme partout (sauf en Corse). Les jeunes chats (moins de 5 ans) sont apparus plus chasseurs pour les musaraignes, oiseaux et reptiles. Les femelles, qu'elles soient jeunes et âgées, rapportaient davantage les campagnols ; les mâles plus âgés, les mulots. Enfin, les captures des petits mammifères diminuent avec le degré d’anthropisation des habitats ; mais, à l’inverse, celles des oiseaux et lézards augmentent. « Les petits oiseaux et les lézards courent de plus grand risques en tant que proies dans des habitats fortement dégradés par les activités humaines comme les zones urbaines », expliquent Nathalie de Lacoste et Irène Castañeda González.

Des effets cumulés

Le chat domestique devra-t-il être confiné ? À ce stade, il convient de bien garder en tête qu’il est impossible d'aboutir à une telle conclusion sans connaître au préalable le nombre de proies disponibles et celles capturées dans le domaine vital du chat. « La prédation occasionnée par les chats domestiques est une question complexe à aborder avec prudence et modestie, car il n’y a pas de solution "miracle" : l’objectif vers lequel il faudrait tendre est la cohabitation entre les animaux domestiques proches de l’humain et la faune sauvage, sans privilégier les uns au détriment des autres », indiquent les deux auteures. Mais « dans tous les cas, il y a forcément un impact au vu du nombre de chats domestiques en France, près de 15 millions. L'addition d'un nombre important de prédateurs soignés et nourris déséquilibre nécessairement les écosystèmes naturels. Certaines populations d'oiseaux et autres mammifères sont déjà en déclin du fait des activités humaines, qui, entre autres, détruisent et fragmentent leurs habitats naturels, et ce sont ces effets cumulés à la prédation des chats domestiques qui rendent leur situation inquiétante. » Plusieurs solutions pour réduire la prédation des chats domestiques ont été proposées [voir encadré] par la Ligue de protection des oiseaux (LPO) et la SFEPM, mêlant conseils et règles de base : nourrir correctement son animal, le stimuler et le stériliser.

Quelques conseils de la LPO

- aménager son jardin avec des zones de refuge pour la faune sauvage 

- placer des grilles plastiques avec picots au niveau des zones de chasse, des murets ; placer des obstacles au pied des arbres, des mangeoires

- fabriquer un répulsif maison à vaporiser dans les zones à protéger (dans 1 litre d’eau, mettre 10 gouttes de jus de citron et 20 gouttes d’huile essentielle d’Eucalyptus radiata)

- planter des végétaux à odeur désagréable pour le chat comme le coléus canina ; à l’inverse, les attirer dans des zones préférentielles avec de l’herbe à chat

- utiliser des colliers avec clochettes ou des colliers à motifs colorés Birdsbesafe

- s’aider du dispositif à ultrason Catwatch

- garder le chat en intérieur à certains moments clés de sortie de la faune sauvage : après la pluie, au crépuscule…

Un poster est disponible sur le site*, pouvant être affiché dans sa salle d’attente.

* Lien : urlz.fr/oZ72

  • * Castañeda I., Forin-Wiart M.-A., Pisanu B., et al. Spatiotemporal and Individual Patterns of Domestic Cat ( Felis catus) Hunting Behaviour in France, Animals. 2023;13(22):3507. urlz.fr/oZ7d