Thèse
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Floriane Chapuis
Une récente thèse d’exercice vétérinaire a tenté d'identifier les déterminants majeurs quant à la volonté de ne pas exercer en clientèle. Les résultats de cette enquête tendent à montrer une perte de sens du métier de praticien dans toutes ses composantes, dont l'évolution paraît aujourd'hui en décalage avec la société.
Retrouver les vétérinaires, formés dans les Écoles nationales vétérinaires entre 1980 et 2017, pour les interroger afin d'identifier leurs motivations à ne pas vouloir exercer la médecine des animaux en clientèle, a été l’ambition d’une thèse* de doctorat vétérinaire soutenue en 2023. Sur les 2 070 vétérinaires qui ont répondu, près de 9 sur 10 avaient initialement choisi l’École vétérinaire pour pratiquer la médecine des animaux en clientèle. Mais près de 60 % ont délaissé la clientèle moins de deux ans après l’obtention du diplôme.
L’insatisfaction liée à la pratique de la médecine des animaux n’était pas le premier motif invoqué pour faire le choix d’une autre option. C’est le hasard qui a été mentionné comme premier motif de réorientation ou de reconversion (33 %), tous profils confondus. Les retours de mails et commentaires ont souligné ce sentiment, décrivant cette décision non comme un rejet du métier de praticien, mais par l'intérêt trouvé dans cette nouvelle voie. Pour preuve, une large majorité des vétérinaires interrogés exprime une grande satisfaction quant à leur situation professionnelle actuelle.
En ce qui concerne les conditions de travail, les vétérinaires de l’étude n’ayant jamais pratiqué la médecine des animaux en clientèle (25 %) accordent significativement moins d’importance à des conditions de travail jugées insatisfaisantes que leurs consœurs et confrères ayant exercé moins d’un an (25 %). Ce résultat semble suggérer que les jeunes vétérinaires éprouvent des difficultés à se projeter dans la vie professionnelle, et les conséquences qu'elles pourraient avoir sur leur équilibre de vie.
Un manque de perspectives
La répétitivité des tâches est la deuxième raison (30 %) invoquée par les vétérinaires interrogés pour bifurquer vers une autre voie. Cette situation interroge les aspirations de jeunes diplômés qui, après un minimum de six ans d’études, peuvent être amenés à effectuer, lorsqu’ils exercent en cabinet, un grand nombre d’« actes basiques trop répétitifs », comme le décrit un répondant. Cette impression de routine pourrait être mise en regard des opportunités qu'offre la carrière de praticien, une perspective qui n’a pas convaincu 27 % des vétérinaires interrogés.
Ce manque d’opportunités apparaît d'ailleurs comme le troisième motif quant au choix d’une voie alternative à la pratique. La formation continue des vétérinaires paraît, d’après les verbatims, être au cœur des questionnements. À l'exemple de cette vétérinaire qui déplorait l'absence « d'opportunité pour continuer d'apprendre, de [se] développer ».
Le déséquilibre entre la vie professionnelle et la vie privée est aussi mis en avant par 27 % des répondants. Un motif qui n’a pourtant pas été explicitement mis en relation avec l’obligation de permanence et de continuité de soins qui découle du Code de déontologie.
Un dernier point qui mériterait qu’on s’y attarde concerne la relation entretenue avec la clientèle, laquelle a poussé le quart des répondants à choisir une autre voie. Ce dernier point semble faire l’objet d’un clivage au sein des vétérinaires ayant participé à l’enquête, d’après les verbatims recueillis, et ce en fonction du type de clientèle. Certains ont ainsi mentionné « le relationnel client qui pouvait être très sympa », tandis que d’autres ont pointé que « la relation avec les clients ne [leur] plaisait pas, en particulier en canine. C'était plus agréable avec les éleveurs d'animaux de rente. »
Un souci d’utilité sociale
La volonté d’exercer un travail ayant un impact positif sur la société dans son ensemble a été évoquée par suffisamment de répondants dans les verbatims, toutes promotions confondues, pour attirer l’attention sur ce sujet. L’idée que l’exercice canin n’a qu’un impact limité sur l’environnement social des vétérinaires a ainsi été mentionnée par plusieurs des personnes interrogées. Certains vétérinaires ne voient dans cet exercice qu’une volonté d’augmenter le chiffre d’affaires, en tirant un profit de la pratique d’actes médicaux sur des animaux en souffrance et facturés à des propriétaires qui y sont trop attachés. Une vision qui conduit à considérer que cette problématique sanitaire est secondaire en regard de souffrances sociétales majeures, comme le contexte géopolitique ou les inégalités d’accès aux soins dans le monde.
La question de l’éthique dans la pratique médicale a également été soulevée. La volonté de ne pas avoir à se préoccuper de son enrichissement personnel dans son travail quotidien est résumée par ce vétérinaire travaillant en laboratoire : « Sens du travail : choix de l'intérêt général plutôt que l'enrichissement personnel ». À titre d’indice pour évaluer la prévalence de ce malaise au sein de la population de vétérinaires répondants, 15 % d’entre eux ont évoqué la difficulté à facturer leurs actes. La notion d’hypertype a également été mentionnée. Certains peuvent avoir l’impression que soigner des animaux hypertypés comme les chiens brachycéphales contribue à soutenir économiquement une filière qui fait naître des individus malades uniquement au nom de critères esthétiques.
Ces critères sont particulièrement mentionnés tant par les vétérinaires ayant eu une expérience en clientèle canine que par ceux n’ayant jamais exercé la médecine des animaux en clientèle. De plus, la majeure partie des répondants ayant évoqué cette question de l’utilité sociale et de l’éthique de la pratique vétérinaire sur le plan philosophique travaillent pour l’État. Cette répartition explique peut-être pourquoi la notion d'« intérêt général » est employée dans la plupart des verbatims, puisqu’il s’agit d’une valeur inhérente au fonctionnaire, vétérinaire ou non. Des valeurs qui transcendent les générations.
Une quête de sens
S’orienter nécessite de bien connaître les débouchés du diplôme choisi et les caractéristiques associées aux différents métiers, ce qui a manqué à 18 % des vétérinaires répondants. Cela demande aussi de se connaître soi-même : mais ses propres aspirations professionnelles à l’entrée de l’École paraît faire l’objet de difficultés croissantes pour les enquêtés, puisque ce critère, en tant que justification de réorientation, prend significativement de l’importance avec les années. Ces deux résultats suggèrent que l’orientation dans une École vétérinaire devient un enjeu croissant, qui dépasse l’image métier qu'ont les étudiants lors de leur entrée dans le cursus. Il s’agit de s’interroger sur le volontarisme des jeunes générations de vétérinaires en ce qui concerne leur carrière ; leur détermination, plus ou moins grande, pouvant faire écho à l’importance des « opportunités présentées par le hasard » invoquées dans les motifs de reconversion.
La question du maillage est également au cœur des questionnements quant à la viabilité de la pratique vétérinaire, notamment en matière d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée.
Ce travail interroge surtout sur le sens que les vétérinaires trouvent à leur métier. Une question plus générale aurait pu être : « Pourquoi choisissez-vous de vous impliquer dans votre travail ? ». Les vétérinaires sont-ils à la recherche d’une activité d’expertise de haut niveau ou d’un travail varié ? L’utilité sociale à grande échelle, perceptible au quotidien, est-elle leur motivation principale ? Cherchent-ils avant tout la reconnaissance des pairs ? La reconnaissance de leurs clients ?
La pratique vétérinaire n’est pas la seule concernée par ces problématiques. Cependant, la tension connue par ce secteur, associée à l’obligation de permanence et de continuité des soins, appellerait à une enquête plus fine sur chaque facteur mentionné et sur les solutions élaborées localement pour y faire face.
Un deuxième article présentera les débouchés choisis par les répondants dans un prochain numéro.