Thérapeutique
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Par Tanit Halfon
La question du bénéfice réel des produits à base de cannabinoïdes reste ouverte. La véritable perspective pour la médecine vétérinaire serait d’aller vers le développement d’un médicament.
Quelle est la place des cannabinoïdes en médecine vétérinaire ? De fait, aujourd’hui, un nombre croissant de produits pour chats et chiens à base de cannabinoïdes sont disponibles sur le marché. Ils contiennent du cannabidiol, ou CBD, qui est la molécule qui aurait de multiples potentialités bénéfiques pour la santé. Le CBD est un phytocannabinoïde lipidique comme le tétrahydrocannabinol (THC), également issu de la plante Cannabis sativa1, laquelle contient une centaine de substances actives2 dont plus de 100 phytocannabinoïdes. À ce jour, il n’existe pas encore de médicaments vétérinaires issus de cette plante. Ces produits ne peuvent donc pas être associés à des indications médicales et se positionnent comme des produits à visée de santé et de bien-être. Néanmoins, de récents contrôles de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ont remis en cause la légalité de leur commercialisation dans l'Union européenne (voir article dans un prochain numéro, NDLR).
Des recherches en cours
Comme l’explique Matthias Kohlhauer (A 12), professeur en pharmacologie clinique à l’École nationale vétérinaire d’Alfort, qui a encadré une thèse sur le sujet : « Nous n’en sommes qu’aux balbutiements dans la compréhension des systèmes endocannabinoïdes. » En ce qui concerne la pharmacocinétique, il apporte certaines précisions : « Les quelques éléments dont nous disposons concernent surtout le chien. Il apparaît que le CBD est relativement mal absorbé par voie orale, avec une biodisponibilité qui serait de l’ordre de 15 à 20 %, potentiellement en lien avec un premier passage hépatique élevé. En théorie, ce n’est pas forcément un problème, car il suffirait de jouer sur la dose administrée. Mais cela suggère une variabilité individuelle, ce qui ajoute un flou supplémentaire par rapport à la dose devant être administrée. » Par ailleurs, des données montrent une influence de la prise alimentaire, du sexe, et probablement d’autres facteurs pas encore bien identifiés. En ce qui concerne le mode d’action, « si l'on commence à bien décrire le système endocannabinoïde chez l’humain, nous avons encore des dizaines d’années de retard pour les carnivores domestiques. Néanmoins, il semble que le CBD agisse, chez l’Homme, sur les récepteurs à la dopamine et à la sérotonine ».
Des recherches de plus en plus nombreuses sont en cours, plus particulièrement chez le chien, avec plusieurs domaines potentiels d’intérêt qui ressortent3 : la douleur, notamment arthrosique, l’épilepsie, les troubles anxieux, mais aussi les troubles allergiques à médiation immunitaire et inflammatoires (dont la dermatite atopique), les conditions cardiovasculaires et respiratoires et même les processus tumoraux. Dans l’épilepsie par exemple, les données suggèrent un effet clinique, « avec une réduction des crises chez le chien », précise Matthias Kohlhauer. Ces effets potentiels font écho à la médecine humaine (voir encadré). Pour autant, les données restent encore insuffisantes pour conclure sur la question de l’efficacité du CBD dans les maladies évaluées. Davantage d’études randomisées et contrôlées s’avèrent nécessaires. Matthias Kohlhauer met aussi en garde : « Les bénéfices du CBD dans les maladies visées par les études sont complexes à évaluer. Pour l’arthrose par exemple, il y a une grande variabilité dans l’expression de la douleur, dans sa perception. De même pour l’anxiété. Il faut rester prudent dans l’interprétation des données des études. »
Une prudence de mise
En ce qui concerne l’innocuité, les études suggèrent globalement une bonne tolérance du CBD par l'organisme. On constate toutefois une élévation des enzymes hépatiques en cas d’administration chronique de doses standardisées de CBD, explique Matthias Kohlhauer. « Cela ne signifie pas forcément qu’il y aurait des conséquences fonctionnelles sur la fonction hépatique, mais face à ces résultats, il peut être recommandé de la suivre ».
Par ailleurs, la réglementation impose que dans les produits à base de CBD la teneur4 de THC soit inférieure à 0,3 % (du fait des effets psychoactifs et de dépendance). En théorie, cette dose serait bien trop faible pour provoquer un effet toxique. La teneur en THC a également son importance car le THC résiduel peut être isomérisé en Δ8-THC ou en cannabinol (CBN), un composé non natif de la plante qui pourrait avoir des propriétés pharmacologiques.
Sachant tout cela, peut-on envisager des recommandations vétérinaires des produits à base de CBD ? D'autant que des incertitudes sur la dose à administrer existent aussi… « Suivant les produits sur le marché, il peut être difficile de connaître la concentration réelle de CBD, sachant que les effets sur l’organisme en dépendent. Cette concentration varie suivant les caractéristiques de la plante, la méthode de culture ou encore les modalités d’extraction, explique Matthias Kohlhauer. D’ailleurs, dans la majorité des essais cliniques menés sur le CBD, les équipes de recherche effectuent un contrôle de la concentration en CBD des produits testés, préalablement aux administrations. » Ainsi, « même si des essais cliniques sur la douleur arthrosique du chien suggèrent un effet positif, ils se font à des doses contrôlées de CBD.» Alors, « de là à conseiller ce produit…». A noter aussi qu' « il émerge aussi aujourd’hui un discours de la part des fabricants comme quoi leur produit contiendrait aussi du cannabigérol (CBG), une molécule précurseur du CBD qui pourrait avoir des effets propres, et ce sans qu’aucune information sur la concentration soit communiquée ».
Incertitudes sur la composition, la dose, l’effet sur la santé… Pour Matthias Kohlhauer, il faut rester prudent. « Si un vétérinaire veut le conseiller, on ne peut que lui recommander de ne pas le faire à la place d’un traitement conventionnel et de bien surveiller l’animal. Et, notamment en cas d’usage dans un contexte douloureux, d’être très attentif à la douleur de l’animal. » Malgré tout, celui-ci reste persuadé que le CBD a des effets intéressants. Pour le professeur en pharmacologie clinique, « il faudrait en passer par le développement d’un médicament à part entière, dans des conditions de bonne pratique de laboratoire. Un travail sur la forme galénique peut se faire par rapport à l’absorption orale, de même qu’un travail sur la pharmacocinétique et les facteurs de variations, voire sur les types d’indications ». Ceci afin de disposer enfin d’allégations thérapeutiques fiables.
Des avancées en médecine humaine
Actuellement, il y a deux médicaments à base de cannabidiol, avec une autorisation de mise sur le marché (AMM) au niveau européen :
- le Sativex (AMM de 2014), qui est indiqué comme traitement d’appoint pour gérer la douleur de patients avec une spasticité diffuse d’intensité modérée à sévère liée à une sclérose en plaques. Il n’est toujours pas commercialisé en France.
- l’Epidyolex (autorisation temporaire d’utilisation de 2018 puis AMM en 2019), qui est indiqué comme traitement adjuvant dans des syndromes très spécifiques associés à des crises d’épilepsie, et disponible en pharmacie.
Il est considéré que le service médical rendu est faible pour le premier, et modéré pour le deuxième.
Par ailleurs, le Marinol, un médicament à base de cannabinoïde synthétique indiqué dans le traitement de différents types de douleur dispose, lui, d’une AMM uniquement aux États-Unis. Cependant, il est possible de se le procurer en France dans le cadre d’une Autorisation d’accès compassionnel.
À noter aussi qu’une expérimentation est en cours sur l’usage médical du cannabis, sous la forme d’huile à prendre par voie orale ou de sommités fleuries de cannabis à vaporiser pour inhalation. Cinq indications thérapeutiques y sont évaluées, ayant notamment trait à la douleur et aux crises convulsives.