La course aux écoles vétérinaires - La Semaine Vétérinaire n° 2020 du 09/02/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2020 du 09/02/2024

Politique

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

Après la Nouvelle-Aquitaine, trois autres régions ont confirmé vouloir ouvrir un cursus vétérinaire sur leur territoire. 

En ce début d’année 2024, une certaine agitation semble gagner certains représentants régionaux. Dans leur ligne de mire : la création d’une nouvelle école vétérinaire. Après la Nouvelle-Aquitaine qui s'est positionnée dès 2020, ce sont désormais les Hauts-de-France et le Grand-Est qui ont annoncé publiquement vouloir leur école ! Pour la première, c’est… Le Touquet, et plus précisément son hippodrome, qui a été identifié comme lieu possible d’installation de l'établissement. Hassane Sadok, président de l’Université Littoral Côte d’Opale, a accepté de répondre à nos questions. Il défend cette idée, qui est dans les tiroirs depuis deux ans, nous indique-t-il, et qui a été inscrite dans le nouveau projet stratégique1 de développement de l’université. « Notre territoire, c’est 6 millions d’habitants et 1 460 vétérinaires. Pour comparaison, les régions Occitanie et Nouvelle-Aquitaine ont chacune 6 millions d’habitants et dans les 2 300 vétérinaires. Par ailleurs, le Brexit a amené à une forte demande de personnel vétérinaire aux postes frontières, qui peut encore augmenter. Nous avons aussi le premier port de pêche de France, Boulogne-sur-Mer, qui nécessite des compétences vétérinaires. Nous avons des éleveurs… Notre territoire a besoin de vétérinaires, et nous avons des possibilités d’insertion dans tous les Hauts-de-France. »

Plusieurs arguments

Autre sujet pour lui : les expatriations des jeunes pour leurs études supérieures. « Parmi les étudiants qui s'expatrient, tous ne reviennent pas forcément sur leur territoire… J’ai du mal à accepter que les jeunes des Hauts-de-France ne trouvent pas de formation vétérinaire sur leur territoire. » Il indique aussi que plus de 30 % des vétérinaires installés dans les Hauts-de-France ont suivi leur étude en Belgique. Ce projet s’inscrit également dans une stratégie plus globale d’attractivité du territoire. « Il y a beaucoup de changements qui vont arriver avec l’installation de gigafactories, des projets de transformation du port de Dunkerque, l’extension de celui de Boulogne-sur-Mer… avec à la clé la création de 36 000 emplois dans les 30 ans. Le nombre d’habitants va être appelé à augmenter. Dans ce contexte, un facteur d’attractivité des familles est de pouvoir leur offrir une offre de formation supérieure complète. Notre précédent plan stratégique s’était attaché à la formation d’ingénieurs. L’ambition actuelle est de développer celle de la santé, aussi bien humaine – nous avons le même problème avec des déserts médicaux – que vétérinaire. » Pour lui, pas question d'envisager un modèle privé : l'objectif visé est une nouvelle école nationale vétérinaire (ENV), comme le défend la Nouvelle-Aquitaine.

Quant à la région Grand-Est, elle a émis un communiqué2 de presse pour annoncer ses ambitions. Ici, c’est l’argument du maillage qui est mis en avant, la création d'un cursus vétérinaire s'inscrivant dans la continuité du plan de lutte contre la désertification rurale déjà lancé. Trois sites sont déjà envisagés : deux sur le technopôle de Metz et un proche de l’hôpital public de Mercy. En revanche, les politiques locaux sont ouverts à un modèle public comme privé.

Dans la foulée, nous avons contacté les autres régions… pour apprendre que le Centre-Val de Loire3 souhaitait aussi accueillir une école vétérinaire sur son territoire !

Un risque démographique...

Ces positionnements arrivent à point nommé : un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) est justement attendu pour ce début d’année sur le sujet. Il avait été demandé par le ministre de l’Agriculture courant 2023, avec l’objectif d’évaluer l’intérêt et la faisabilité juridique et financière d’ouvrir une nouvelle école publique à Limoges. Ces annonces sont-elles le signe que ce rapport est favorable à la création d’un nouveau cursus ? À voir. Car au-delà des discours rôdés des politiques, l'ouverture d'une nouvelle école publique ne va pas forcément de soi, voire pourrait être contre-productif. « Si vous me posez la question, je vous répondrai que je ne souhaite pas me positionner sur l’opportunité d’ouverture d’une autre école publique, nous indique Christophe Degueurce, directeur de l’École nationale vétérinaire d’Alfort. Une telle décision, qui peut sembler justifiée aujourd'hui au vu du déficit de main-d’œuvre, emporte aussi une prise de risque pour la profession. Il faut considérer la question dans sa globalité, en dépassant le cadre français et en prenant en compte aussi la formation des jeunes vétérinaires dans les autres pays de l'Union européenne. Aujourd’hui la moitié des primo-inscrits à l’Ordre sont diplômés hors de France. De plus, le plan de renforcement des écoles nationales vétérinaires a amené à une hausse de 50 % du nombre de vétérinaires formés en ENV en référence à 2017. À ceux-ci s’ajouteront les étudiants de la nouvelle école privée UniLaSalle. Au total, il y aura une hausse de 75% du nombre de diplômés en France. » Ce sont ainsi 840 étudiants qui seront diplômés chaque année en France à l’horizon 2030. « Il faut donc évaluer finement la situation de manière à ne pas générer un scénario qui rappellerait la situation espagnole. C'est une décision politique et elle n’est pas simple à prendre. Le rapport du CGAAER va être important. »

... Et financier

Des questions d’ordre financier se posent aussi, explique Vanessa Louzier, enseignante-chercheuse à VetAgro Sup et présidente de la Fédération syndicale des enseignants des écoles vétérinaires françaises (FSVF). « Il ne serait pas idiot qu’un grand pays comme la France ait cinq écoles publiques », pour garder la main sur la formation et permettre à tout jeune d’accéder à des études vétérinaires à coût modéré. Mais elle craint que les financements étatiques ne suivent pas, en témoigne l’exemple de la mise en œuvre du plan de renforcement des ENV : « Ce plan est juste un plan de rattrapage du nombre d’enseignants dans les ENV, qu’on n’avait pas mis à l’époque alors que le nombre d’étudiants croissait drastiquement… On pouvait penser qu’un rattrapage, c’était déjà mieux que rien. Mais un coup de canif a été porté au contrat. » L’État, qui devait financer ce plan en totalité, ne va finalement le faire qu’à hauteur de 60% pour les praticiens hospitaliers contractuels, « charge aux écoles de trouver les 40% restants. » Dans ce contexte, pour elle, « l’ouverture d’une nouvelle école serait certainement décidée à moyen constant ou très peu augmenté, ce qui pourrait mettre nos ENV dans une situation périlleuse ».

Mais n’y aurait-il pas un bénéfice pour le maillage vétérinaire rural ? C’est bien l'un des arguments du projet de Limoges. Dans ce sens, certains des protagonistes défendent l’idée d’ouvrir une sixième année de spécialisation orientée animaux de rente, au préalable (ou pas !) d’une école à Limoges. Ce n’est pas une demande des ENV, affirme Vanessa Louzier, qui rappelle que cette année d’approfondissement existe déjà dans les ENV, avec l’appui du tutorat. Elle rappelle aussi la création de la voie Postbac qui vise à diversifier les profils des étudiants par rapport aux classes préparatoires : « Laissons le temps au dispositif de porter ses fruits ». Avec cette idée, « le risque est de disperser les moyens de l’État dont les ENV ont besoin pour renforcer ce secteur moins rentable pour une école par rapport à celui des animaux de compagnie », indique-t-elle. Elle poursuit : « Le problème des déserts ruraux ne concerne pas uniquement les productions animales, mais touche aussi l’offre en canine et dépasse même la profession vétérinaire. C’est tout une politique plus globale qu’il conviendrait de mettre en œuvre pour augmenter l’attractivité des territoires pour les médecins, vétérinaires et autres professions. »

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