LES VÉTÉRINAIRES SOLOS : ENTRE LIBERTÉ ET DÉFIS - La Semaine Vétérinaire n° 2020 du 09/02/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2020 du 09/02/2024

DOSSIER

Auteur(s) : Par Marie Cibot

Le mode d’exercice des praticiens individuels offre un équilibre délicat entre indépendance professionnelle et gestion des responsabilités. Une approche proactive et collaborative peut contribuer à surmonter les défis inhérents à l'exercice en solitaire et à garantir des soins vétérinaires de haute qualité.

Les vétérinaires qui exercent à titre individuel sont de moins en moins nombreux. Selon les données nationales démographiques des vétérinaires inscrits au tableau de l’Ordre, la population de vétérinaires solos est passée de 17,2 % en 2015 à 10,3 % en 2022. Qui sont-ils ? Comment s’organisent-ils ?

Certains exercent seuls, sans assistance, prenant en charge l’ensemble des responsabilités, de la gestion clinique à l’aspect administratif. D’autres optent pour un exercice en solitaire tout en bénéficiant du soutien d’auxiliaires spécialisées vétérinaires (ASV), afin d'alléger la charge quotidienne. Il existe également des vétérinaires solos qui dirigent une clinique avec un personnel entièrement salarié, constitué à la fois de vétérinaires et d'ASV. Les motivations qui poussent les vétérinaires à s’installer en solo sont diverses. Certains ont vécu des expériences décevantes en salariat ou en association, les conduisant à privilégier l’indépendance. « Au bout d’un moment, j’en ai eu marre : l’endroit où je me sentais bien n’existait pas, alors j’ai décidé de le créer », explique Amélie Kpadé (L 07), vétérinaire canin dans le Rhône, exerçant avec ASV et vétérinaire salariées. Comme le souligne Marion Le Blond (N 12), vétérinaire mixte en Charente, qui s'est adjoint les services d'ASV et de vétérinaires salariés, « trouver des associés dans un contexte de pénurie de diplômés peut devenir complexe », poussant certains à démarrer en solo avec l’espoir de s’associer ultérieurement. L'opportunité d’acquérir une petite clientèle peut également se présenter, ce qui en fait une voie d’entrée dans la profession plus accessible.

Une médecine généraliste, familiale et de proximité

Au-delà de la diversité des structures, le choix d'être vétérinaire indépendant s'accompagne souvent d'une volonté de suivre un mode de vie particulier. Certains privilégient des consultations plus longues, refusant la pression du quart d'heure conventionnel. Comme l'exprime Stéphanie Dugauquier (Liège 01), vétérinaire canin dans la Marne, seule sans ASV ni vétérinaire salarié : « La consultation en quinze minutes, je ne supportais plus. J’aime prendre le temps. Toutes mes consultations, même celles vaccinales, durent au moins une demi-heure. » D'autres associent vie professionnelle et vie personnelle, comme le fait Vincent Coupry (A 90), vétérinaire canin dans le Maine-et-Loire, exerçant avec ASV : « J’ai fait le choix de vivre dans un logement au-dessus de ma clinique. Je ne suis jamais dérangé par mes clients et j’y trouve un vrai confort. Entre deux consultations, je monte, je fais mon repassage [rires] ». Pour lui, cela va plus loin car « grâce à un rythme de travail qui me le permet, je m’investis dans d’autres activités. Je suis trésorier de l’association Vétérinaires pour tous Pays de la Loire, je suis conseiller ordinal et je réalise des expertises judiciaires ».

Les vétérinaires solos adoptent fréquemment une approche de médecine généraliste et familiale, qui transcende la simple pratique clinique. En établissant des liens personnels étroits avec leurs clients, ils créent un terrain propice à la confiance et à la fidélité. De l’avis de tous les vétérinaires interrogés, cette connexion privilégiée avec les propriétaires d'animaux favorise une compréhension approfondie des besoins spécifiques de chaque animal, permettant ainsi une prise en charge personnalisée. Stéphanie Dugauquier souligne également l'importance de ces valeurs éthiques, déclarant : « Je veux pouvoir me regarder en face le soir quand je rentre à la maison. Je veux faire une médecine de qualité tout en pratiquant des prix justes et respectueux de mon travail mais aussi des gens et des animaux. »

De la liberté et de l’indépendance… aux responsabilités et à la charge mentale

Être un vétérinaire exerçant seul offre une série d'avantages, dont le principal réside dans l'indépendance professionnelle (voir les témoignages à ce sujet). Pour les praticiens interrogés, cela signifie avoir un contrôle total sur leurs prises de décision cliniques et leurs protocoles de soins, sur la gestion de leur structure, notamment au plan financier. La vie professionnelle en solo offre une flexibilité et une autonomie qui peuvent être très gratifiantes pour ceux qui apprécient la liberté de personnaliser leur approche selon leurs propres convictions et expertises, comme le souligne Stéphanie Dugauquier en affirmant : « Je le trouve génial ce métier [de vétérinaire solo]. On a une très grande liberté dans le choix de nos actes, de nos techniques, de nos prestataires, de nos congés ». De plus, travailler en toute indépendance permet d'éviter la gestion du personnel, qui peut parfois générer un stress supplémentaire pour les vétérinaires praticiens. En revanche, ils se retrouvent souvent seuls à jongler entre diverses responsabilités et cette multiplicité de rôles peut entraîner une fatigue professionnelle accrue, comme le souligne Amélie Kpadé : « C’est dur d’être seule à prendre des décisions, d’être responsable de tout dans la clinique. Parfois, j’aimerais bien déléguer un peu les responsabilités, répartir les énergies. » Sans compter que travailler seul réduit la possibilité de partager des idées, de discuter des cas complexes et de bénéficier de conseils. Ce manque de collaboration peut conduire à un sentiment d'isolement professionnel. Par ailleurs, l'investissement financier nécessaire pour acquérir du matériel, le renouveler ou améliorer les infrastructures peut représenter un défi significatif.

Une contrainte majeure : la permanence et la continuité des soins 

La profession vétérinaire est une profession réglementée, avec des contraintes et des obligations. La permanence et continuité de soins (PCS) en fait partie et constitue « le point de fragilité du statut de vétérinaire solo, tout particulièrement s’il n’y a pas de possibilité de se structurer et de partager cette contrainte professionnelle », estime David Quint (T 03), vice-président du Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral (SNVEL). Le code de déontologie préserve l’exercice individuel dès lors que la PCS peut être organisée par une délégation à un autre vétérinaire sous la forme d'un contrat liant les deux structures. « À partir de là, il n’est pas acceptable de laisser ses clients sans solution en se départissant de la PCS » rappelle Jacques Guérin (N 88), président de l’Ordre des vétérinaires. Selon lui, « en ville ou aux abords des agglomérations, les risques inhérents à l’exercice solitaire peuvent être anticipés et atténués en s'organisant entre structures ou avec des établissements de soins vétérinaires dont l'offre de service est orientée vers la prise en charge des urgences et revendiquant le module d'urgences 24 h/24 ». Certains vétérinaires s'organisent dès leur installation, comme l’explique Amélie Kpadé : « Je ne me serais jamais installée dans cette zone si je n'avais pas été sûre d’avoir une solution pour ma PCS. » Toutefois, d’autres situations sont plus complexes, notamment pour les praticiens intervenant dans le domaine des productions animales. Marion Le Blond en a bien conscience, elle qui doit assurer en tant que vétérinaire mixte des astreintes auprès de bovins, caprins et chevaux. Elle avoue à ce sujet : « Heureusement que je partage ma PCS avec les vétérinaires salariés de ma structure et un confrère voisin. Cela permet de travailler plus confortablement et de tenir le coup lorsque l’un d’entre nous est en arrêt maladie ou en congés. » David Quint souligne quant à lui que « l'éloignement géographique des structures voisines rend le partage de la charge de travail particulièrement ardu en rurale » (voir son témoignage). Le Conseil de l'Ordre semble travailler activement sur l'organisation de la permanence des soins, en cherchant notamment à établir des distances maximales entre le client et la structure de garde. Cette initiative viserait à concilier les exigences de disponibilité des vétérinaires avec la réalité géographique, reconnaissant de fait la nécessité de trouver un équilibre.

L’entraide comme solution pour l’avenir des vétérinaires solos ?

Même si Vincent Coupry met en lumière le développement d'un sens clinique exceptionnel au fil des années, le vétérinaire exerçant seul peut devoir soumettre le cas à un confrère pour avis plus rapidement qu’un vétérinaire entouré de pairs ou ayant un matériel adéquat pour aller au bout des diagnostics. L'entraide apparaît alors comme une solution précieuse malgré la peur, pour certains praticiens, de perdre une partie de leur clientèle. Stéphanie Dugauquier souligne l'importance de la collaboration en affirmant : « Je ne crains pas d’envoyer ailleurs, de référer pour des examens complémentaires, afin de pousser les diagnostics. Seul, on n’est rien ».
Cette reconnaissance de la nécessité de l'interaction professionnelle témoigne d'une volonté de dépasser les limites de l'isolement. Stéphanie Dugauquier souligne également qu’« un vétérinaire solo peut faire du très bon boulot, mais en étant bien entouré ! ». Les groupes sur les réseaux sociaux, tels que ceux sur Facebook (notamment le groupe privé Véto Solo), se révèlent aussi être des sources de soutien précieuses. Ces espaces virtuels offrent une plateforme où les vétérinaires peuvent partager leurs expériences, poser des questions et bénéficier de conseils mutuels.

Mais quel avenir pour les vétérinaires en exercice individuel dans ce contexte ? David Quint souligne que « bien que l'entrepreneuriat ne soit pas la priorité des jeunes vétérinaires, la demande persistante de la clientèle pour avoir des praticiens humains, empathiques et connaisseurs de leurs clients et patients reste incontestable ». Cette dynamique souligne l'importance croissante de la relation client-praticien dans le secteur vétérinaire. D’ailleurs, David Quint ajoute qu’« il y a de la place pour tout le monde, même si ce mode d’exercice ne sera très certainement jamais majoritaire ». Cependant, les défis persistants du mode d'exercice individuel peuvent parfois pousser les vétérinaires à envisager des reconversions professionnelles, comme le confie Amélie Kpadé, bien qu'elle exprime son attachement à sa vie de vétérinaire solo. Motivée mais lucide, celle-ci n'hésite pas à soulever la question de la charge de travail constante et des gardes ininterrompues, soulignant les enjeux de santé mentale auxquels sont confrontés les vétérinaires : « Il devient impératif de repenser les attentes liées aux gardes pour préserver le bien-être des praticiens et garantir la qualité des soins dispensés ».

Amélie Kpadé (L 07)

Vétérinaire en canine, seule avec ASV et vétérinaire salariées (Saint-Bonnet-de-Mure, Rhône)

J’aime ma liberté de vétérinaire solo

L’exercice solo est un exercice de grande liberté. Je n’ai de compte à rendre à personne mis à part à mes clients. Je n’ai pas de subordination, pas de compromis à faire avec des associés. Je ne compte plus le nombre de confrères et de consœurs que j’ai vus souffrir dans des associations qui vont mal. En travaillant seule avec mes salariées, je n’ai pas à négocier les dates de mes vacances, les formations que je souhaite suivre, le choix des laboratoires avec lesquels je travaille, la mise en place de protocoles vaccinaux, l’achat de matériel. Être vétérinaire solo permet de construire sa structure à son image, en s’appuyant sur ses propres valeurs. Mère de famille avec un enfant handicapé, je peux aussi plus facilement m’organiser et être présente pour le suivi médical de mon fils. En association ou en tant que salariée, je suis certaine que les choses auraient été beaucoup plus compliquées pour ma famille. Être vétérinaire solo demande une énergie décuplée et c’est certain qu’il y a des jours plus durs que d’autres, mais la liberté liée à ce mode d’exercice n’a pas de prix à mes yeux. Ma clinique est le troisième enfant que je n’ai pas eu.

Marion Le Blond (N 12)

Vétérinaire mixte, seule avec ASV et vétérinaires salariés (Champagne-Mouton, Charente)

La qualité des soins n’est pas liée au mode d’exercice du métier

Être seul patron de sa structure vétérinaire n’est pas synonyme de moins bonne prise en charge des patients. Au contraire, j’ai une clientèle fidèle et donc une très bonne connaissance des animaux que je suis régulièrement et de leurs propriétaires. Pratiquement dès mon installation, j’ai fait le choix d’investir dans des équipements modernes et parfois coûteux (radiographie avec capteur plan, anesthésie gazeuse, microscope chirurgical pour l’ophtalmologie, pousse-seringues, pompes à perfusion, échographe, vêleuse, Gyn-Stick pour la rurale) et de me former. Je suis certaine que d’avoir une clinique convenablement équipée est une source d’attractivité pour les jeunes diplômés, et que cela me permet de recruter plus facilement, même dans une zone géographique moins recherchée. Il est certain qu’il est plus difficile pour un vétérinaire solo d’investir mais, jusqu’à l’année dernière, des aides existaient dans certaines régions, permettant de financer la construction de nouveaux locaux, offrant une meilleure prise en charge des astreintes (à travers la régulation téléphonique, par exemple). 

David Quint (T 03)

Vice-président du SNVEL

Si la charge de la PCS est partagée, alors c’est tenable

L’offre de services vétérinaires doit rester diversifiée afin de répondre aux attentes variées des propriétaires d’animaux. L’exercice individuel occupe une place significative à cet égard, puisque certains propriétaires recherchent une relation privilégiée et personnalisée avec leur vétérinaire. Il est cependant essentiel que les vétérinaires qui font le choix de travailler en solo soient conscients des contraintes substantielles associées à ce mode d’exercice, telles que la nécessité de garantir la permanence et la continuité des soins (PCS), l’isolement face à des cas difficiles et la délicate gestion de l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle. Je ne peux qu’encourager les vétérinaires solos à réfléchir en amont aux possibilités s’offrant à eux pour la PCS, car c'est la garantie de leur survie sur le long terme. Cela peut être accompli en établissant un réseau de collaboration avec d’autres vétérinaires exerçant en individuel ou en s’associant avec des structures permettant de contractualiser la PCS.