Société
ANALYSE MIXTE
Auteur(s) : Par Ségolène Minster
Le comité d’éthique Animal, Environnement, Santé a rendu un avis sur la question du contrat moral entre vétérinaire et éleveur, le 23 janvier dernier, au siège du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires. Le bien-être animal et les enjeux environnementaux sont au cœur des recommandations de l'instance.
Quels sont les contours du contrat moral qui lie l’éleveur et le vétérinaire ? Quel est le rôle du vétérinaire dans la bientraitance et le bien-être en élevage d’animaux de rente ? C’est de ces questions que s'est saisi le comité d’éthique Animal, Environnement, Santé, instance indépendante composée de quatorze membres représentatifs de la société civile et de la communauté scientifique, choisis pour leurs compétences et leur appétence pour les questions éthiques. Luc Mounier (L 01), professeur en bien-être animal et coordinateur de la Chaire bien-être animal à VetAgroSup, et Louis Schweitzer, président de la Fondation droit animal, éthique et sciences et président du comité d'éthique, ont présenté le fruit de cette réflexion collective. L’avis* s’est concentré sur le rôle du vétérinaire praticien en exercice, libéral ou salarié.
Qu’est-ce qu’un contrat ?
Un contrat est un accord de volontés entre deux cocontractants, engendrant des obligations réciproques. Un contrat comporte différentes dimensions, juridiques, sociales, sociétales et morales ; la première étant fréquemment régie de manière explicite, à la différence des suivantes. Le comité a replacé son sujet de travail au cœur de l’actualité. Les éleveurs se trouvent face à des grandes controverses sociétales, dont le vétérinaire est aussi partie prenante : question environnementale, santé animale et humaine, bien-être animal, problématiques socio-économiques.
Le contrat de soin qui lie éleveurs et vétérinaires s’inscrit bien dans des dimensions à la fois sociales, sociétales, morales et éthiques. « Le contrat moral s’appuie sur des notions d’équité et d’autonomie, dont la réciprocité est le socle », indique ainsi l’avis. Il respecte le principe d’indépendance professionnelle du vétérinaire, défini par l’Ordre national des vétérinaires (ONV) comme « son obligation de se référer uniquement à ses connaissances scientifiques et à son expérience avec, comme objectifs indissociables, les intérêts de l’animal et de la santé publique ainsi que les intérêts des clients, sans que quiconque, à l’exception de raisons impérieuses d’intérêt général, ne commande aux vétérinaires leurs actes professionnels ». Si le contrat lie deux cocontractants, l'un peut cependant faire défaut, par exemple lorsque le maillage vétérinaire est trop lâche ou qu'il y a un manque de clients sur le territoire d'exercice.
Qu’est-ce que le contrat de soin ?
Ce contrat bipartite inclut le diagnostic et le traitement des animaux malades, les recommandations ou actions du vétérinaire visant à prévenir l’apparition des maladies, et le maintien des animaux de rente en capacité de production dans le respect des exigences de sécurité sanitaire. Ce contrat impose à l’éleveur des obligations contractuelles, telles qu’apporter toutes les informations dont il a connaissance ou suivre les consignes du vétérinaire auquel la garde de l’animal est confiée durant l’acte de soins. Au-delà des obligations contractuelles, l’éleveur doit faire appel au vétérinaire dès que nécessaire (sans risquer une dégradation de la situation) et respecter l’observance des traitements. Le vétérinaire, lui, doit prendre en compte les contraintes financières, matérielles et logistiques de l’éleveur. Le contrat de soin s’inscrit dans un temps long qui « tend à renforcer la dimension morale du contrat entre les deux professionnels », selon l’avis du comité d’éthique.
Une mission d’information et de conseil par le vétérinaire
Le comité d'éthique considère que dans le cadre d’un contrat moral, le vétérinaire participe à la sensibilisation et à l’information de l’éleveur en ce qui concerne le respect du bien-être des animaux, l’impact environnemental de l’élevage et les progrès scientifiques dans ces domaines. Par ses connaissances scientifiques, le vétérinaire doit permettre de transformer la bienveillance en bientraitance et favoriser l'évaluation du bien-être des animaux dans l’élevage. Le concept « un seul bien-être », incluant le bien-être des animaux d’élevage et aussi celui de l’éleveur, peut être un sujet de collaboration entre éleveur et vétérinaire. Le vétérinaire, par son indépendance, ses connaissances et son image d’intégrité, peut intervenir sur les sujets de controverses sociétales au bénéfice d’une meilleure compréhension entre citoyens et monde de l’élevage.
Des recommandations à destination des praticiens
Face à tous les sujets de société auxquels fait face la profession, l’instance recommande aux praticiens de « renforcer leurs compétences relatives aux enjeux liés au bien-être des animaux et aux impacts environnementaux », notamment à travers une veille sur les innovations technologiques et les évolutions de pratiques. Concernant le bien-être des animaux, il y a beaucoup d’inventions technologiques qui peuvent fortement faciliter l’évaluation. Cela peut aller par exemple de l’utilisation d’accéléromètres à des outils encore en développement tels que des caméras thermiques ou des appareils d’analyse de sons, ainsi que l'indique Luc Mounier. Concernant les évolutions de pratiques, il peut s’agir de nouvelles habitudes mises en place par les éleveurs (socialisation précoce chez le porcelet, par exemple) ou liées aux impacts environnementaux (présence de haies, modification alimentaire, etc.).
Autre recommandation, le vétérinaire doit favoriser une approche « Une seule santé » et « Un seul bien-être ». Enfin, le vétérinaire doit alerter et accompagner l’éleveur, mais également les pouvoirs publics, lorsqu’il constate des situations dégradées pour le bien-être animal, l’environnement ou la biosécurité.
Recommandations destinées conjointement aux professions vétérinaires et agricoles
L’avis rendu par le comité recommande aux professions agricoles et vétérinaires de poursuivre leurs réflexions « pour renforcer la part de la rémunération liée au conseil dans le revenu des vétérinaires et diminuer la part liée à la délivrance des médicaments ». Il sera en effet nécessaire d’élaborer un modèle qui rémunère le vétérinaire pour ses conseils sur les enjeux sociétaux : par exemple, la réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GAS) permise par la prévention de maladies animales qui altèrent la production ou causent des réformes d’animaux trop précoces. Cela nécessitera une mobilisation des pouvoirs publics également et la contractualisation entre les différents acteurs de ces activités de conseil.
L’instance recommande également à la profession « d’accentuer son rôle de conseil auprès des pouvoirs publics pour participer aux débats sur les évolutions des systèmes d’élevage ». Enfin, la profession devra monter en compétence sur les enjeux liés au bien-être des animaux et aux impacts environnementaux.
L’avis conclut que les exigences du contrat moral ne reposent pas uniquement sur le couple éleveur-vétérinaire et formule de ce fait des recommandations à destination des pouvoirs publics et de la société. Ainsi, les autorités doivent inclure les enjeux sociétaux dans les contrats d’échanges internationaux. EIles doivent également reconnaître les vétérinaires comme des acteurs du concept « Une seule santé ». Cela passe par la formation conjointe de vétérinaires, médecins et écologues. Des enseignements mixtes commencent à exister (le diplôme One Health dispensé par l’École nationale des services vétérinaires (ENSV), par exemple) et de telles formations doivent se développer et être promues par la profession.