EXPRESSION
Auteur(s) : Propos recueillis par Lorenza Richard
En cas de suspicion d’une maltraitance animale, la loi de novembre 2021 autorise les vétérinaires à lever le secret professionnel et à faire un signalement au procureur et à la DDPP. Qu’en est-il lors d’une suspicion de maltraitance domestique, en plus, ou non, d’une maltraitance animale ?
Brigitte Leblanc (N 88)
Praticienne libérale à Brest (Finistère)
Nous ne devons pas fermer les yeux
Il est possible de signaler à la Cellule de recueil et de traitement des informations préoccupantes (CRIP) ou au procureur une suspicion de maltraitance d’un enfant ou d’un adulte vulnérable. Mais s’il s’agit d’un majeur responsable le secret professionnel s’applique. Nous devons alors écouter, faire parler, compatir, encourager à aller voir des professionnels. Connaître la personne permet d’être un peu indiscret, en douceur. Si on ne la connaît pas, cela ne marche pas à chaque fois, mais l’animal peut être un « pont » pour qu’elle se confie. Si on sent une femme au minimum brimée par son mari mais qu’il est présent, c’est difficile. Une dame me semblait triste lors de la consultation de son chat. Me sentant à l’écoute, elle m’a avoué que son mari la dévalorisait. Nous avons parlé, je lui ai dit combien il était important qu’elle agisse. Plus tard, elle m’a remerciée de lui avoir donné du courage. Une petite victoire qui fait du bien ! Nous avons le devoir de réagir quand nous le pouvons. Une personne maltraitée est tellement en manque d’écoute et de compassion.
Dominique Autier-Dérian (L 87)
Vétérinaire comportementaliste, consultante
Suivre une méthodologie
Il est facile de passer à côté d’une maltraitance si l’on n’a pas en tête les critères qui permettent de la suspecter. Confrontée à une suspicion de maltraitance, je m’empresse de replonger dans le guide "Repérer les signes de maltraitance chez les animaux et les humains* destiné aux équipes vétérinaires. Je le connais par cœur, pour avoir participé à sa rédaction auprès de l’Association contre la maltraitance animale et humaine (AMAH). Je suis la méthodologie DVDR (Demander, Valider, Documenter et Référer) que j'ai agrémentée de notes au fil de mes expériences. Cela me permet de n’oublier aucune question à soulever et de me sentir plus sereine face à certaines situations délicates. L’hypothèse d’une maltraitance doit faire partie du diagnostic différentiel face à certains symptômes évocateurs. Notre rôle est de recueillir les éléments sémiologiques le plus objectivement possible, sans juger, voire d’alerter si des enfants ou d’autres personnes vulnérables subissent les mêmes abus que l’animal.
Gwenaël Outters-Boillin (N 98)
Vétérinaire comportementaliste et praticienne canine (Loire)
Une décision difficile à prendre
En 25 ans de clientèle, j’ai parfois suspecté des situations douteuses sur des animaux sans pouvoir (manque de preuves) – savoir (connaître les interlocuteurs) – vouloir (politique de l’autruche) entamer des démarches administratives. Le cas le plus douloureux est celui d’une famille avec un jeune enfant en situation de handicap mental et moteur, à qui les parents avaient offert un chat. Cet enfant manifestait ses émotions par des cris stridents et des gestes violents, mais semblait attaché à ce chat. Les parents confirmaient que son arrivée l’avait apaisé. J’ai diagnostiqué chez ce chat une luxation des vertèbres caudales, car l’enfant l’avait retenu par la queue. Il présentait également des manifestations anxieuses marquées lorsque l’enfant criait. Je n’ai pas réussi à prendre la décision de faire enlever le chat à cet enfant et pourtant il ne vivait pas dans un contexte apaisé. Je n’ai pas pu choisir entre santé publique et santé animale. J’ai alerté les parents sur les signaux du chat et les ai exhortés à être vigilants. Je ne les ai jamais revus.