La leptospirose chez le chien : un défi clinique, diagnostique et thérapeutique - La Semaine Vétérinaire n° 2021 du 16/02/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2021 du 16/02/2024

Maladie infectieuse 

FORMATION CANINE

Auteur(s) : Mylène Panizo

Conférencières

Élodie Darnis, diplômée de l’European College of Veterinary Internal Medicine-Companion Animals (ECVIM-CA), spécialiste en médecine interne au Centre hospitalier vétérinaire (CHV) Frégis, Gentilly (Val-de-Marne).

Florence Ayral, diplômée de l’European College of Veterinary Public Health (ECVPH), maîtresse de conférences en pathologie infectieuse à VetAgro Sup (Lyon).

Article rédigé d’après la webconférence : « La leptospirose : mieux vaut prévenir que guérir », organisée par le CHV Frégis, en partenariat avec le laboratoire Zoetis, le 7 décembre 2023.

La leptospirose est une maladie bactérienne protéiforme qui constitue un défi diagnostique, thérapeutique et préventif. Le consensus de l’ACVIM (American College of Veterinary Internal Medicine) sur la leptospirose a été actualisé en 2023*.

Une maladie en recrudescence

L’incidence de la leptospirose canine augmente ces dernières années d’après les données de laboratoire. C’est une maladie au carrefour des trois santés (animale, humaine et environnementale). En médecine humaine, elle a été ajoutée à la liste des maladies à déclaration obligatoire en 2023. En médecine animale, la leptospirose touche des populations sauvages menacées, comme le castor ou le vison d’Europe. Le déclin de ces espèces favorise la recrudescence d’espèces envahissantes porteuses saines de leptospires (comme le rat musqué, le raton laveur ou les ragondins), qui participent à accroître la charge bactérienne dans l’environnement. À cela s’ajoute le réchauffement climatique, qui engendre des conditions favorables à la survie des leptospires, mais aussi un risque d’exposition plus important (développement des activités de plein air).

Le genre Leptospira est divisé en 24 sérogroupes eux-mêmes divisés en plus de 300 sérovars. En France métropolitaine, les sérogroupes Icterohaemorrhagiae, Canicola, Australis, Sejroe et Grippotyphosa prédominent. Le cycle épidémiologique de la leptospirose est complexe car il fait intervenir une grande diversité d’hôtes (persistants, non persistants ou accidentels). D’après les dernières données, les leptospires ne persisteraient pas dans l’urine du chien. La contamination simultanée d’un chien et de son propriétaire résulte donc de l’exposition à une source commune plutôt qu’à une transmission inter-espèces.

Il existe plusieurs facteurs de risques de développement d’une leptospirose, dont la saison (il y a moins de cas en hiver), l’âge de l’animal (les chiens de moins d’un an et de plus de 10 ans sont plus à risque), le mode de vie (rural) et la race (le cocker spaniel, le lurcher et le border collie sont plus à risque).

Signes cliniques pour diagnostiquer vite une leptospirose 

La leptospirose est une maladie multisystémique qui peut atteindre tous les organes. Il en résulte une grande diversité de signes cliniques (voir tableau 1). L’objectif est de détecter précocement la maladie, c’est-à-dire avant l’apparition d’une insuffisance rénale aiguë (IRA). En effet, la néphrite tubulo-interstitielle induite par les leptospires peut conduire à une fibrose rénale irréversible.

Une hyperthermie brutale, une polyuro-polydipsie (PUPD), un abattement ou une anorexie chez un chien dont la vaccination contre la leptospirose n'est pas à jour doivent immédiatement alerter.

Une atteinte uniquement rénale est constatée dans 51 % des cas (14 % pour les atteintes hépatiques isolées). Une corrélation entre le type de signe clinique et le sérovar est suspectée, mais n’est pas encore assez démontrée.

Examens complémentaires d’orientation

L’augmentation de la créatininémie et celle de l’urémie sont les anomalies les plus fréquemment constatées. Une hausse de l’activité des phosphatases alcalines (Pal) est aussi souvent observée (voir tableau 2). La présence d’une glucosurie sans hyperglycémie, d’une thrombocytopénie et/ou d’une hypokaliémie associée à une IRA doivent faire pencher pour une leptospirose. L’ACVIM recommande de réaliser des radiographies thoraciques chez tout animal suspect de leptospirose, afin de rechercher des signes d’hémorragies pulmonaires.

Confirmation du diagnostic

L’utilisation d’un test rapide en clinique est intéressante, mais ce résultat doit toujours être confirmé par un test de laboratoire (voir tableau 3). Il est recommandé d’effectuer une PCR sur sang et/ou sur les urines durant la première semaine d’évolution de la maladie (car la bactériémie est fugace) et avant d’avoir initié l’antibiothérapie. En cas de prise d’antibiotiques en cours, il est préférable d’effectuer une sérologie. Des études rapportent 10 à 20% de chiens porteurs sains (détection d’ADN de leptospires dans l’urine). Un résultat positif par PCR doit être interprété à la lumière des signes cliniques et biologiques, et de la durée d’évolution de la maladie.

Le seul moyen de mettre en évidence la séroconversion est de réaliser une cinétique des anticorps, en effectuant une sérologie 7 à 14 jours après la première. L’augmentation du titre d’un facteur 4 confirme une leptospirose. La mise en place d’un traitement antibiotique peut différer l’apparition de la séroconversion et en limiter l’ampleur.

La détection des anticorps vaccinaux est fréquente dans les 4 mois post-vaccination (et peut perdurer au-delà de 4 mois pour 1 chien sur 4), le titre associé aux anticorps vaccinaux est généralement peu élevé (≤ 1 : 800). Il ne faut jamais se fonder sur le résultat d’une sérologie unique pour conclure à une leptospirose.

Prise en charge

L’animal suspect de leptospirose doit être hospitalisé en soins intensifs. Il est recommandé d’initier l’antibiothérapie par voie intraveineuse avec de la pénicilline, à dose élevée (20 à 30 mg/kg, toutes les 6 à 8 heures), jusqu’à la reprise de l’appétit. Un relai per os est ensuite instauré avec de la doxycycline à 5 mg/kg, deux fois par jour, pendant 14 à 21 jours.

Une fluidothérapie par voie intraveineuse est administrée, avec prise en charge des troubles électrolytiques. La réalimentation précoce (avec pose d’une sonde naso-œsophagienne si nécessaire) est très importante, avec un aliment hautement digestible. L’administration de maropitant est indiquée en cas de vomissements ou de nausées. Une analgésie ainsi qu’un traitement hépatique de soutien sont préconisés. Une oxygénothérapie est nécessaire en cas de lésions pulmonaires. En cas d’oligo-anurie, une hémodialyse précoce est recommandée.

Pronostic 

Il dépend de plusieurs critères :

- La sévérité de la maladie : plus le diagnostic et la prise en charge thérapeutique sont tardives, plus le pronostic est sombre (le nombre d’organes lésés augmente).

- La présence de facteurs pronostiques négatifs tels qu’une hyperbilirubinémie et une hypocoagulabilité. L’existence d’hémorragies pulmonaires est associée à un taux de mortalité supérieure à 70% et peut provoquer des décès brutaux.

- Le délai d’amélioration de la fonction rénale : 50% des animaux atteints de leptospirose présentent une maladie rénale chronique dans l’année. La fonction rénale peut mettre 4 mois à se normaliser. Au-delà, le pronostic s’assombrit.

Prévention 

Les vaccins quadrivalents sont recommandés. Le protocole vaccinal comprend deux injections à 4 semaines d’intervalle et un rappel annuel. Le risque zoonotique étant très faible, des mesures d’hygiène classique et le port de gants suffisent pour prendre en charge un animal suspect de leptospirose. Il est conseillé de revacciner un chien ayant contracté la leptospirose dès qu’il présente un bon état général et n’est plus azotémique.

  • * J. E Sykes, T.Francey, S. Schuller, et al. Updated ACVIM consensus statement on leptospirosis in dogs. J Vet Intern Med. 2023 Nov-Dec;37(6):1966-1982.