Le bien-être des animaux d’élevage vu par le législateur - La Semaine Vétérinaire n° 2021 du 16/02/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2021 du 16/02/2024

Société

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Par Brigitte Leblanc

Le bien-être animal occupe aujourd’hui une place prépondérante dans notre société. L’Assemblée nationale lui a consacré un colloque en janvier afin d’aborder la question d’un point de vue juridique, surtout en matière d’élevage.

Le colloque « Regards croisés : le législateur face aux animaux d’élevage » s’est tenu le 17 janvier 2024 à l’Assemblée nationale, sous le haut patronage de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, et sur l’invitation de Corinne Vignon, députée et présidente du groupe d’études Condition et bien-être des animaux.

Le bien-être animal est-il compatible avec les conditions d’élevage ? Cette question très présente dans le débat public a fait l’objet de plusieurs interventions, en tout premier lieu celle de Corinne Vignon. La députée a mis en avant la responsabilité morale de l’humanité envers les autres êtres vivants tout en rappelant l’importance d’assurer l’équilibre des secteurs agricole et économique. Elle déclare avec force que « toutes les formes d’élevage ne sont pas acceptables », et que cette démarche se doit d’être holistique, prenant en compte le bien-être des animaux, la préservation de l’environnement et notre propre bien-être.

État des lieux…

Adrienne Bonnet, maîtresse de conférences en droit privé et sciences criminelles, et Ghislain Zuccolo, directeur général du mouvement de défense des animaux d’élevage Welfarm, ont fait un état des lieux de la législation en vigueur, s’accordant à constater que beaucoup de textes sont à présent obsolètes ou lacunaires. Ils estiment les propositions actuelles frileuses, déplorent les ambitions revues à la baisse, comme le prouve la suspension par la Commission européenne de la majorité des avancées prévues dans le cadre du Pacte vert et de la stratégie « de la ferme à la table » qui prônait une production alimentaire plus durable (avec par exemple l’arrêt des cages). Seul le transport des animaux va faire l’objet d’un nouveau texte à Bruxelles, avec toutefois des propositions plus légères que lors de la présentation du projet.

Des lacunes juridiques, autant européennes que nationales

Irène Tolleret et Caroline Roose, députées européennes, ont elles aussi pris la parole. La première a défendu une législation européenne jugée ambitieuse qui doit prendre en compte une éventuelle incidence négative sur l’élevage européen et les éleveurs déjà fortement appauvris. La seconde a plaidé pour une législation plus en phase avec la demande sociétale soucieuse du bien-être des animaux d’élevage. Une évolution rendue possible par l’utilisation de moyens techniques devenus financièrement abordables (vidéos dans les abattoirs, sexage des poussins, transport de carcasses plutôt que d’animaux vivants, envoi de gamètes…). Cette opinion est partagée par Anne-Laurence Petel, députée et vice-présidente du groupe d’études Condition et bien-être des animaux. Toutes deux déplorent par ailleurs les dispositions insuffisantes concernant le transport à l’international et regrettent le manque de formation des personnes chargées d’appliquer la législation sur notre territoire.
Fabien Marchadier, professeur agrégé en droit privé et sciences criminelles, s’interroge lui sur la notion de bien-être dans les élevages intensifs. Il constate que la protection assurée par le droit européenn de ces animaux n’est pas si élevée car elle est conditionnée par un contexte d’exploitation où la souffrance animale est normalisée, la réglementation rendant seulement leurs conditions de vie un peu moins insupportables. Selon lui, la volonté d’éviter toute « souffrance inutile » laisse à penser que certaines souffrances seraient considérées comme « utiles », ce qui permet d’institutionnaliser l’élevage.

Quelles solutions pour le législateur ?

Le sénateur Arnaud Bazin (A 81) a mis en garde contre un risque. Afin de bénéficier de tarifs plus bas, des États pourraientdécider d’exporter des animaux ou d’importer des produits d’origine animale provenant de pays dont la réglementation serait plus souple en matière de bien-être animal. Il est donc nécessaire d’éduquer le consommateur à privilégier des produits français (label bio, étiquetage), ce qui aura un effet positif sur le bien-être des animaux d’élevage. Il convient également de mener une politique sanitaire, notamment contre la surconsommation de produits carnés, et de diversifier les sources de protéines. Il rappelle enfin le rôle crucial de la profession vétérinaire au niveau de l’élevage, ce qui nécessite l’existence d’un maillage du territoire adéquat.
D’un point de vue juridique, Jean-Pierre Marguénaud, professeur agrégé en droit privé et sciences criminelles, a notamment développé une approche novatrice en couplant le droit pénal et le droit civil afin de pallier la « non-assistance aux animaux d’élevage en danger ». À cet effet, il préconise la mise en place d’un mandat de protection animale, adapté aux animaux des troupeaux en cas de manquement ponctuel ou involontaire de leur détenteur.
François-Xavier Roux-Demare, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles et directeur du diplôme universitaire de Droit animalier à Brest, a quant à lui rappelé le rôle du droit pénal. Il doit à la fois protéger les valeurs sociales à travers l’application de peines et accompagner la mise en place du bien-être animal. Le professeur observe la réalisation de lentes évolutions avec une législation parfois peu adaptée et, surtout, une absence de moyens. Sans oublier la persistance de pratiques illégales (claquage des porcelets, caudectomie systématique…). Il est donc nécessaire de veiller à l’application du droit.

Enfin, la philosophe Florence Burgat a abordé la question : « pourquoi l’humanité est-elle encore carnivore ? ». Car d’abord carnivore par nécessité, avant la création de l’agriculture, voire opportuniste, l’humain peut à présent choisir ce qu’il mange. Dès l’Antiquité, les philosophes se sont interrogés sur l’aspect éthique de l’alimentation carnée (Plutarque dans « S’il est loisible de manger chair » par exemple). Florence Burgat admet que « si le passé n’était pas doux aux animaux », les techniques ont encore aggravé leur souffrance, et termine en regrettant que les lois protectrices des animaux soient dénaturées par des dérogations systématiques.

La charte ETICA

À l’occasion de ce colloque, Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, a annoncé que le service de restauration de l’Assemblée nationale avait signé le jour même du colloque la charte ETICA, créée par Welfarm. Cette initiative poursuit deux objectifs : accompagner les acteurs de la restauration collective en orientant leurs choix d’approvisionnement vers des produits plus respectueux du bien-être des animaux et valoriser les producteurs engagés dans cette démarche éthique.