Maîtriser la prescription d’anticoccidiens en élevage porcin - La Semaine Vétérinaire n° 2021 du 16/02/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2021 du 16/02/2024

Parasitologie

FORMATION MIXTE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Article rédigé d’après des présentations1, 2 faites au congrès de l’Association française de médecine vétérinaire porcine (AFMVP) qui s'est tenu les 30 novembre et 1er décembre 2023 à Rennes.

Les anticoccidiens ne sont pas automatiques, ou tout du moins, doivent être prescrits en toute connaissance de cause, a-t-il été rappelé lors du dernier congrès de l’Association française de médecine vétérinaire porcine (AFMVP).

Des atteintes cliniques pouvant être graves

L’élevage porcin peut être confronté à des épisodes de coccidioses causés par des protozoaires du genre Cystoisospora ou Eimeria. L’incidence peut être marquée en cas d’atteinte des porcelets. Dans ce cas, c’est Cystoisospora suis qui sera responsables des signes cliniques, avec des diarrhées assez caractéristiques, jaunes crémeuses, associées à des retards de croissance. Tous les porcelets d’une portée ne seront toutefois pas atteints, mais même une infection subclinique pourra engendrer un retard de croissance. Bien que le taux de mortalité soit faible en règle générale, il peut monter jusqu'à 30 % en cas d'associations des coccidies avec d'autres agents pathogènes comme le rotavirus ou Escherichia coli. Dans ce contexte, mettre en place une thérapeutique adaptée s'impose. Elle comprend des mesures hygiéniques et un traitement médicamenteux. À l'heure actuelle, la seule molécule active disponible sur le marché3 est le toltrazuril. Connaître ses caractéristiques pharmacologiques permet de mieux appréhender son action dans l’organisme et, donc, de consolider sa prescription. Cette dernière doit être également raisonnée en tenant compte du risque de résistance et des conséquences potentielles de la molécule sur l’environnement.

Une seule substance active disponible

Le toltrazuril est une molécule lipophile qui agit sur les stades sexués et asexués des coccidies, une fois les protozoaires entrés dans les entérocytes. Mais le mécanisme d’action n’est pas bien connu. Deux formes galéniques sont disponibles, la suspension buvable et la suspension injectable. La voie injectable est très récente et les médicaments disponibles associent systématiquement le toltrazuril avec du fer. Au niveau de la pharmacocinétique, il y a une bonne biodisponibilité par voie orale, plus particulièrement chez les jeunes individus. Pour la voie injectable, il y a une solubilité moyenne dans le milieu extracellulaire associée à une vascularisation musculaire plus restreinte que dans l’intestin, engendrant une forme de retard.

La métabolisation est hépatique, avec une élimination fécale ; tous les métabolites, le toltrazuril sulfoxyde et le toltrazuril sulfone ou ponazuril, restent actifs contre les coccidies, ce qui assure une action sur le long terme. Rappelons qu’une fois sporulés, les oocystes peuvent survivre jusqu’à plusieurs années dans le milieu extérieur. De plus, l’excrétion des porcelets en occystes peut être massive, avec de 4 000 à 400 000 oocystes par gramme de fèces chez les individus âgés de 2 à 4 semaines. Par ailleurs, si les porcelets, atteints puis guéris, auront acquis une immunité, ils pourront malgré tout rester des excréteurs d’oocystes.

L’efficacité du traitement dépend en grande partie de la concentration de la molécule active au contact des parasites dans le cytoplasme des cellules intestinales. Elle dépend aussi de la période de traitement. Elle doit se faire avant que l’atteinte intestinale soit trop marquée. Cela implique de l'administrer dans les 3 à 5 premiers jours post-infection, et à la dose adéquate.

Des questions sur l’écotoxicité et les résistances

Le principal métabolite du toltrazuril, le ponazuril, une molécule organohalogénée, est documentée comme très mobile dans le sol et les eaux souterraines, ce qui lui vaut d’être listée dans un cadre réglementaire européen de protection des eaux souterraines. De plus, elle est toxique pour les plantes (perturbation de la croissance) et persiste longtemps dans le sol avec un temps de demi-vie moyen de près de 480 jours. Aujourd’hui, pour obtenir une Autorisation de mise sur le marché (AMM), les médicaments destinés aux animaux de production doivent fournir des données écotoxicologiques. Différentes études sont exigibles, en fonction des résultats obtenus : on parle d’études de phase 1 (obligatoires), puis de phase 2 (uniquement si nécessaires, mais nettement plus coûteuses). En 2009, l’arrivée de génériques de toltrazuril en Europe a relancé le débat sur l’écotoxicité de cette molécule chez le porc. Cela n’a toutefois pas abouti à des restrictions d’usage ; la situation est identique chez les volailles. En revanche, il en existe pour son utilisation chez les bovins et les ovins. Pour établir ces recommandations chez le porc, le CVMP s’est notamment appuyé sur un référé volaille qui a été rendu en 2007. Or, les usages du toltrazuril en médecine porcine sont assez distincts de ceux observés dans les élevages de volailles, avec notamment des politiques d’épandage qui peuvent poser question quant à l’accumulation de ponazuril dans les sols (épandages répétés sur certaines parcelles). De fait, le recours à du toltrazuril par le vétérinaire doit être a minima évalué par une stricte balance bénéfices/risques pour l’élevage concerné. Par ailleurs, une information des éleveurs quant au risque d’accumulation dans les parcelles semble pertinente lorsque la politique d’épandage engendre un risque d’accumulation fort.

Une autre question d’intérêt est celle de la résistance au toltrazuril. Sur le terrain, elle est nettement rapportée chez les volailles. Pour les mammifères, dont les porcs, ce n’est pas aussi clair, même si le phénomène commence à être documenté. Pour rappel, le développement d’une résistance est inhérent à tout traitement anti-infectieux, lequel sélectionne naturellement des agents ayant acquis une aptitude génétique à la résistance. L’enjeu est de retarder son installation dans une population pour une molécule et une espèce données. Un usage le plus raisonné possible s’impose donc.

Des nouvelles règles de prescription

Selon le dernier règlement sur le médicament vétérinaire*, les anticoccidiens sont désormais considérés comme des antimicrobiens. Ce qui implique les mêmes restrictions d’usage, à savoir pas d’administration systématique, pas d’usage pour favoriser la croissance, obligation de mise en œuvre de mesures associées de prophylaxie. De fait, les anticoccidiens ne peuvent être utilisés que pour une durée limitée sur un nombre limité d’animaux, et à condition d’avoir documenté un risque élevé de coccidiose (prévalence n-1) et des conséquences graves (mortalité+morbidité n-1). Il est à noter que l’ordonnance n’est valable que 5 jours avec interdiction de faire des stocks en élevage. Le non-respect de la réglementation est passible d’une amende de 150 000 euros et 2 ans de prison.

https://bitly.ws/3cNa9

  • 1. « Mieux connaître les antiparasitaires en médecine porcine », Antoine de Rostang
  • 2. « Coccidies du porc : biologie et éléments de diagnostic », Jean-Michel Répérant