DOSSIER
Auteur(s) : Par Jean-Paul Delhom
Chevilles ouvrières de la Sécurité civile, les vétérinaires sapeurs-pompiers interviennent sur de nombreux fronts. Exploration de leurs missions suite aux récentes journées organisées par l’Association nationale des vétérinaires sapeurs-pompiers.
Les différentes composantes du Service de santé et de secours médical (SSSM), à savoir vétérinaires, médecins et pharmaciens des Services d’incendie et de secours (SIS), se réunissent chaque année lors de journées universitaires. Fin 2023, c’était au tour de l’Association nationale des vétérinaires sapeurs-pompiers (ANVSP) de les organiser. Elles se sont déroulées le 30 novembre et le 1er décembre à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA) autour de l’approche One Health. L’occasion de (re)découvrir bien des facettes de l’engagement et des missions des vétérinaires sapeurs-pompiers (VSP).
Des tremblements de terre
Pierrick Dezaux (A 01), vétérinaire-chef du service départemental d’incendie et de secours de Seine-et-Marne (SDIS 77), a été mobilisé auprès d’équipes cynotechniques lors du tremblement de terre en Turquie en février 2023. Si la décision d’engager un vétérinaire a été vite prise, le départ a été retardé de 8 heures suite à un fret trop important. Une fois en Turquie, il a encore fallu patienter, le temps de trouver un moyen de transport pour se rendre à Gaziantep. Les équipes, déjà éprouvées par ces délais, ont dû ensuite affronter une météo hivernale avec des températures négatives. Les tentes en mauvais état ont obligé les secouristes et les chiens à s’installer dans la tente du groupe consultatif international de recherche et du sauvetage (INSARAG) avec le vétérinaire. Une situation qui a eu pour effet positif d’engendrer une meilleure cohésion. Les premières sorties pour localiser des victimes ensevelies sous les décombres ont eu lieu en pleine nuit. Les conditions de travail au milieu des ruines et la fatigue ont rapidement été à l’origine de blessures des chiens sauveteurs. Les sutures se sont faites sans anesthésie ni électricité ni chauffage grâce à l’éducation reçue par les chiens. D’autres défis, comme la déshydratation, les plaies, le froid, le stress et la sur-sollicitation des animaux, attendaient Pierrick Dezaux. La présence de chiens errants et la persistance de la rage ont nécessité une protection de tous les instants. Des questions ont été soulevées lors de cette intervention. Elles portent sur le devenir du chien si son conducteur doit être rapatrié et sur le rapatriement du corps d’un animal décédé.
Des échouages de cétacés
Mathias Aczel (Madrid 04), vétérinaire-chef du service départemental d’incendie et de secours de la Haute-Loire (SDIS43), a, lui, géré des échouages de cétacés. En France, 27 000 échouages ont été répertoriés depuis 1990. Les prises en charge se font par le réseau national d’échouages (RNE) et la sécurité civile uniquement grâce aux signalements qui leur parviennent. En juillet 2023, le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires a créé un groupe de travail national sur les mammifères marins en détresse. Piloté par la direction de l’eau et de la diversité (DEB), il réunira notamment des vétérinaires sapeurs-pompiers et l’Ordre des vétérinaires et aura pour objectif de mettre en place un protocole d’intervention. Diverses hypothèses pourraient expliquer les échouages (marées, comportements erratiques, maladies, prédation, activités humaines, etc.).
La loi du 25 novembre 2021, dite loi Matras, qui vise à consolider le modèle de sécurité civile, établit clairement que la protection des animaux est une mission des sapeurs-pompiers. Ces interventions présentent des risques, d’une part, pour l’animal et, d’autre part, pour les sauveteurs. La remise à l’eau est notamment une opération délicate (le taux de survie est d’ailleurs très faible quand l’animal est en urgence vitale). Les moyens à déployer et les risques encourus par les secouristes sont proportionnels au gabarit du mammifère marin. Autre danger pour l’humain, celui d’être exposé à des maladies zoonotiques. Les objectifs de cette loi sont d’organiser la réponse appropriée à chaque situation en mettant en place un organigramme décisionnel, une cartographie des centres de soins, une mobilisation rapide d’intervention, une maîtrise de la communication et une valorisation scientifique de l’action.
Des incendies
Julie Reynal-Senchou (T 03), vétérinaire du service départemental d’incendie et de secours de Gironde (SDIS33), et Élodie Trunet (N 08), vétérinaire du zoo du bassin d’Arcachon, ont été mobilisées lors du terrible incendie qui a touché la Gironde en juillet 2022. La simultanéité de deux feux de forêt et leur ampleur expliquent l’intensité de cette crise (20800 hectares brûlés, 36 750 personnes évacuées). Jusqu’à 3 000 sapeurs-pompiers ont été à pied d’œuvre. Grâce à eux, à un élan de solidarité sans précédent et à une mobilisation générale, aucune victime humaine n'a été à déplorer et de nombreux animaux ont pu être pris en charge.
Pour les animaux de compagnie, des associations sont intervenues. Lors de l’évacuation du village de Cazaux, 200 animaux sont restés seuls. À partir du 16 juillet, une solidarité très marquée a permis des opérations de sauvetage et nourrissage. Pour les équidés, l'Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE) a permis un sauvetage bien organisé. Pour protéger les élevages situés dans la zone de Landiras (29900 poules, 7000 porcs, 200 bovins), le centre opérationnel départemental (COD) a demandé à la direction départementale de la protection des populations (DDPP) de prévoir des scénarios d'évacuation. Celui concernant les poules décidait que, dans tous les cas de figure, il faudrait les laisser sur place. Des solutions pour évacuer les porcs à forte valeur génétique (truies) grâce aux groupements d’élevage n’ont pas eu besoin d’être appliquées. Des prévisions d’évacuation des bovins d’un éleveur qui refusait de partir ont été suspendues suite aux changements des vents. Les piscicultures ont été protégées compte tenu de la présence des cuves à oxygène. Une trentaine d’animaux sauvages a été reçue par le centre de soins de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) à Audenge. L’évacuation du zoo du bassin d’Arcachon, inédite en Europe, a été effectuée grâce à l’entraide entre des associations de parcs zoologiques, de la DDPP, de l'office français de la biodiversité (OFB) et des mairies.
La forte mobilisation citoyenne a certes été au rendez-vous mais les multiples actions non coordonnées ont mis en danger des vies et les dépôts de nourriture pouvaient être inadaptés (qualité des aliments, emplacements choisis). D'autres points ont été soulevés pendant les incendies de juillet ou au mois d’août. Un manque de considération pour les animaux dans la chaîne de commandement des opérations et l'absence de l’Office français de la biodiversité (OFB) sur le terrain ont notamment été observés. Ces défaillances plaident pour la nécessité de créer une unité mobile d’urgence animale et un poste de centralisation des actions.
Anticipation de mise dans les laboratoires confinés
Élodie Monchatre-Leroy (T 96), directrice du laboratoire de la rage et de la faune sauvage de l'Anses, à Nancy, a fait le point sur les mesures de prévention à prendre dans les laboratoires confinés. Ils ont en effet été à l'origine d’échappées d’agents pathogènes comme celui de la fièvre aphteuse à Pirbright (Angleterre) en 2007 et de la variole à Birmingham (Angleterre) en 1978. Ils ont peut-être aussi causé la réémergence de la grippe H1N1 en 1977 et de l’encéphalite équine au Venezuela en 1995.
Les laboratoires confinés ont été créés pour protéger du risque biologique ceux qui y travaillent et l’environnement Les laboratoires de virologie sont classés en fonction de la dangerosité des agents biologiques qui sont étudiés sur place. En 2000, une directive européenne a proposé une classification. D'elle dépendent des principes de fonctionnement et la conception technique des laboratoires.
Les interventions de la sécurité civile se font en cas de rupture de confinement, d’accident sur personne, d’incendie ou de catastrophe naturelle. Pour un laboratoire classé P4 ("pathogène de classe 4"), le plan d’urgence est établi préalablement à la mise en fonctionnement du laboratoire. Pour un laboratoire P3, le plan d’urgence n’est connu de la Préfecture que s’il y a eu demande de manipulation de micro-organismes et toxines (MOT), pourtant la coordination des services de secours et du laboratoire est capitale en cas d’accident. Les accidents ne sont pas fréquents, mais leurs conséquences parfois dramatiques comme en témoigne l’accident de manipulations sur l’anthrax à l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) de Maisons-Alfort, en 2009, ou encore l’explosion dans un laboratoire de l’Anses de Maisons-Alfort qui a blessé une biologiste en octobre 2023.
Le risque biologique est souvent agrégé au risque chimique au sein des SDIS. Prendre contact avec les laboratoires confinés de façon à effectuer des exercices réguliers de mises en situation avec tous les acteurs est indispensable. Les scénarios doivent être élaborés pour les situations suivantes : incendies, inondations, urgences vitales ou accidents sur le lieu de travail.
Élodie Monchatre-Leroy détaille des mesures de prévention et d'action. Voici les principales. Si un incendie se déclenche dans un laboratoire P3, il faut définir le devenir des animaux qui y font l'objet de recherches. Du fait de l'éventuelle diffusion d'agents pathogènes, il convient de créer un périmètre de sécurité pour protéger les populations, définir les équipements nécessaires pour les pompiers, envisager les risques chimiques associés
Des inondations pouvant également toucher un laboratoire P3, il faut, en plus, définir les scénarios les plus probables.
Lors d’urgences vitales, il faudra définir les soins possibles avant l’arrivée des secours, envisager la décontamination des pompiers et de la victime, les voies de sortie, les précautions à prendre en cas d’hospitalisation et le traitement éventuel des pompiers après l’intervention. Un accident de travail pouvant survenir, il faudra, en outre, envisager deux scénarios : l'entrée des secours dans le laboratoire et l'évacuation du blessé.
Nosaïs un paradigme nouveau
Le professeur Dominique Grandjean, vétérinaire colonel SDIS60, a détaillé le programme de recherche scientifique Nosaïs qui porte sur le développement de la détection olfactive canine des maladies.
Lancé en 2017, Nosaïs est utilisé dans de nombreux domaines (avalanches, drogues, criminologie, champignons, termites, etc.) y compris en santé humaine (détection des maladies nosocomiales).
Quelles sont les maladies concernées ?
Le nez d’un chien peut identifier une concentration de marqueurs à 10-15 fmol/L versus 10-12 ƿmmol/L pour la plus performante des machines. La détection biomédicale olfactive canine est en constant progrès pour la recherche d'affections prolifératives (cancers de la vessie, du sein, du poumon, du pancréas, etc.), dégénératives (athéroscléroses, processus arthrosiques lourds, etc.) et infectieuses (tuberculose, brucellose, viroses émergentes, etc.) Elle permet aussi la détection des insectes (punaises de lit, vers de palmier, larves de moustique tigre) et des germes pathogènes (Clostridium difficile, Staphylococcus, pollutions fécales).
Des résultats ont déjà été obtenus pour le cancer du côlon : la sensibilité de détection était de 100 % et avec une spécificité de 88 % par rapport à la coloscopie. 26 publications scientifiques reconnaissent l’intérêt de cette méthode pour le dépistage du Covid-19 et des recherches sont en cours pour le Covid long. Pour la prostate, la recherche se concentre sur les formes à haut risque. Le CHU Henri-Mondor de Créteil (Seine-et-Marne) travaille sur la détection de la maladie de Parkinson. Les travaux en cours sur les mammites subcliniques de la vache laitière à partir du lait visent un dépistage précoce pour limiter l’usage d’antibiotiques et diminuer les coûts induits. En 2024, la lutte contre prolifération du moustique tigre devrait s'ajouter à la liste.
Quelle formation pour les chiens ?
Nosaïs a voulu adapter la formation des chiens. Le respect (condition animale, santé physique et morale, réduction du stress, repérage des périodes de lassitude), le bien-être et le jeu sont les bases de la réussite. Tout comme la sélection des chiens, car s’ils ont tous un nez, tous n’ont pas envie de s’en servir. La recherche du bon prélèvement (sueur, larme, salive, urine, fèces …) se fait, elle, en fonction de la maladie ou de ce qui est recherché). Par exemple, un chien peut être formé à reconnaître des composés organiques volatiles (COV) dans la sueur ou à identifier des particules virales sur un masque. Pour la détection du Covid 19 aux aéroports, une recherche sur des selles est exclue.
Les muqueuses olfactives du chien (cavités nasales et organe de Jacobson) ont une surface de 125 à 200 cm2 contre 2 à 3 cm2 chez l’humain, avec un bulbe olfactif ultrasensible. Des outils dédiés à la recherche apparaissent (cône d’olfaction, quick sniff, Detecting Dog Training System).
Le flair, une technologie de santé ?
Le nez du chien peut-il devenir une technologie de santé ? Le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a recommandé la poursuite de la recherche pour mieux positionner cette technologie dans l’arsenal des outils de dépistage de l’infection à SARS-CoV-2. Mais la finalité du HCSP est de remplacer le chien par des biocapteurs explique Dominique Grandjean. En effet, cette méthode peine à être acceptée. Pourtant, la détection de masse en aéroport a été mise en place au Liban, à Mexico et aux Émirats arabes unis. Sur les groupes à risque (EHPAD) ou individuellement, la détection est toujours envisageable.
L’organisation des secours d’urgence
Le modèle de Sécurité civile français se fonde sur une organisation partagée entre l’État et les collectivités territoriales. Les missions de secours d’urgence sont principalement assurées par les sapeurs-pompiers regroupés au sein des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS), assistés parfois par des corps communaux ou intercommunaux ainsi que par des unités militaires (celles de Paris et Marseille). Les moyens de la sécurité civile au sein de la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) du ministère de l’Intérieur (hélicoptères, bombardiers d’eau, etc.) peuvent également être mis à leur disposition. En France, l’organisation de la Sécurité civile repose en grande partie sur un engagement citoyen volontaire. Parallèlement à leur activité professionnelle principale, ces hommes et ces femmes s’engagent pour protéger et sauver les personnes, les animaux, l’environnement et les biens.
Le secours animalier
La loi Matras permet de clarifier et d’étendre le régime d’intervention des Services d’incendie et de secours (SIS). Elle précise que « les opérations de secours sont constituées par des actions caractérisées par l’urgence qui visent à soustraire les personnes, les animaux, les biens, et l’environnement aux effets dommageables d’accidents, de sinistres, de catastrophes, de détresses ou de menaces ». Elle ne mentionne pas l’obligation de soigner. Par exemple, un cheval blessé ne fera l'objet d'une intervention que s’il est couché sur une route, pouvant provoquer un accident. La présence d’un serpent reconnu non dangereux dans un logement n’entraînera pas non plus une intervention sauf si les personnes sont en crise de panique. En revanche, les pompiers ont une obligation de réponse et doivent indiquer les solutions adaptées.