État des lieux de la résistance de Varroa aux acaricides - La Semaine Vétérinaire n° 2023 du 01/03/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2023 du 01/03/2024

Apiculture

FORMATION MIXTE

Auteur(s) : Sébastien Hoffmann (A 05), DIE Apiculture et pathologie apicole

Détecté pour la première fois en France en 1982 dans le Bas-Rhin, Varroa destructor, parasite originaire de l'Asie du Sud-Est, allait en moins de 10 ans s'étendre à tout le territoire métropolitain et décimer les colonies d’abeilles mellifères européennes (Apis mellifera) sur son passage. Il semblait alors très optimiste de penser qu’une coévolution entre le nouvel hôte et son parasite puisse s’installer rapidement. Quand bien même, elle serait alors passée par une sélection naturelle induisant avec certitude des pertes massives de colonies et de production de miel. Dans ce contexte, dès 1987, sont arrivés sur le marché des acaricides permettant aux apiculteurs de traiter efficacement leurs colonies. Mais force est de constater que 30 années de pression de sélection sur Varroa ont débouché sur des parasites de plus en plus adaptés à notre arsenal chimique.

Les modes d’action des acaricides

Actuellement, les médicaments utilisables en apiculture conventionnelle contiennent des molécules issues de la famille des pyréthrinoïdes de type 2 (tau-fluvalinate, fluméthrine) et des formamidines (amitraze). Ils agissent en interférant sur des récepteurs neuronaux induisant la paralysie de l’acarien : canaux sodiques de type 2 pour les pyréthrinoïdes, récepteur à l’octopamine pour l’amitraze. Un médicament à base de coumaphos (organophosphoré induisant l’inhibition de la cholinestérase) a été commercialisé temporairement, mais n’est plus autorisé en France.

Pour l’apiculture biologique sont disponibles des médicaments vétérinaires à base de thymol et d’acides organiques, nécessitant néanmoins des conditions particulières d’emploi (climatiques ou physiologiques) pour être pleinement efficaces. Le thymol est notamment un agoniste des récepteurs GABA (Acide γ– AminoButyrique) induisant une anesthésie de l’acarien1. Le mécanisme d’action des acides organiques est quant à lui moins documenté. Il a été prouvé que l’acide formique interfère avec le métabolisme de Varroa en agissant sur la chaîne mitochondriale2, à l’origine d’un effet sur la respiration ; une action neurotoxique est aussi documentée. Le mécanisme de l’acide oxalique reste encore à déterminer. Son efficacité sur l’acarien est redoutable, mais exige une absence totale de couvain.

Des résistances plus ou moins documentées

On note en général quatre types de résistances chez les acariens susceptibles de perturber l’efficacité d’un acaricide. Elles peuvent être comportementales (comportement d’évitement de l’acarien vis-à-vis de la molécule), physiologiques (diminution de la pénétration de la molécule), métaboliques (augmentation des enzymes de détoxification) ou liées à une mutation du récepteur cible.

Le tau-fluvalinate a été largement utilisé dès la fin des années 80, tout d’abord via un insecticide hors AMM, le Klartan appliqué sur des lanières de bois, puis via le médicament Apistan (1989). Les premières constatations de résistance ont été effectuées en laboratoire3 en Italie en 1994. Elles n’ont pas tardé à s’observer sur le terrain, avec des foyers de Varroa résistants au tau-fluvalinate détectés un peu partout en Europe4. Différents types de résistances ont depuis pu être identifiés et largement documentés. Certaines sont de nature métabolique et impliqueraient l’augmentation d’enzymes de détoxification comme les estérases et les mono-oxydases5. D’autres sont de nature génétique et sont liées à des mutations du récepteur cible du tau-fluvalinate dans l’organisme de l’acarien6, 7

Des résistances de type métabolique impliquant les estérases semblent également être à l’origine de résistances très élevées de Varroa au coumaphos8, 9.

Après la découverte de la résistance du Varroa au tau-fluvalinate et au coumaphos, l’amitraze est rapidement devenu une molécule incontournable. Observée en laboratoire10 en 1999, la résistance de Varroa à l’amitraze n'a été décrite sur le terrain qu'en 2017 sur des ruchers en Algérie11. Des constatations similaires ont désormais été faites aux États-Unis, en Argentine, au Mexique et en Europe12. Ces dernières années, les apiculteurs français font état de charges en Varroa plus importants après leur traitement automnal, ce qui les incite à instaurer un traitement de rattrapage hivernal et à établir des déclarations de pharmacovigilance vis-à-vis des médicaments à base d’amitraze. Ces remontées du terrain ont été étayées par les études d’efficacité de la Fédération nationale des organisations sanitaires apicoles départementales (Fnosad) qui voit d’année en année l’efficacité des médicaments à base d’amitraze diminuer. Les modalités de résistance sont encore mal comprises. L’implication de mécanismes de détoxification impliquant l’activité des estérases et de la P450 monooxydase a été suspectée13. En 2021, une équipe américaine a pu identifier une mutation sur le récepteur β-adrénergique à l’octopamine chez l’acarien14. Même si des poches de résistances de Varroa à l’amitraze sont désormais bien documentées, cette résistance semblerait plus longue à apparaître et moins persistance que celle au tau-fluvalinate.

Le risque d’apparition de résistance aux acides organiques est une possibilité, mais, à ce jour, aucun écrit scientifique n’en fait état.

Vers une lutte individuelle au rucher

La lutte contre Varroa va devoir faire face à un changement de paradigme bien connu de notre profession, car déjà observé à plusieurs reprises dans d’autres filières de productions animales. Il s'agit de passer d’une utilisation massive et généralisée d’antiparasitaires à une gestion raisonnée et individuelle du parasitisme.

À l’instar de nos prescriptions d’antibactériens, celles des molécules varrocides devront probablement se faire au regard de résultats de tests de résistances. Ces tests peuvent être réalisés au chevet du malade ou en laboratoire (test de Pettis, test de résistance phénotypique).

Le retour de populations de Varroa sensibles au tau-fluvalinate après un arrêt de traitement de plusieurs années a été décrit15. Cependant, devant la multiplicité des mécanismes de résistance, la possible exposition des abeilles à des produits phytopharmaceutiques comme les pyréthrinoïdes, la quasi-omniprésence de résidus de tau-fluvalinate (voire parfois encore de coumaphos) dans les cires apicoles pouvant maintenir un contact permanent entre l’acaricide et l’acarien, il semblerait hasardeux de généraliser cette recommandation et de bâtir une stratégie d’alternance des traitements à l’aveugle.

La lutte individuelle pourra s’appuyer sur trois règles : I/ Le Varroa aura toujours besoin de couvain pour se multiplier ; II/ Les traitements sont toujours plus efficaces sur des colonies sans couvain ; III/ Les acides organiques conservent encore leur efficacité originelle.

Par conséquent, une étude rigoureuse du parcours d’élevage de l’apiculteur permet d’identifier les périodes hors couvain pendant lesquelles il est idéal de traiter (rupture de ponte hivernale, création d’essaim, etc.) mais aussi celles pendant lesquelles les colonies courent un risque de surinfestation (plusieurs mois d’affilée de couvain). Les suivis d’infestation réguliers doivent permettre d’identifier les colonies trop infestées pour les sortir de la production à temps. Enfin, les méthodes biotechniques permettent d’utiliser la biologie du Varroa à bon escient : piégeage de Varroa dans le couvain de mâle, création d’essaims artificiels, création de ruptures de ponte (encagement des reines, retrait de couvain, etc.) pour optimiser un traitement en saison.

  • Sources principales : bitly.ws/3dWzJ ; bitly.ws/3dWzW
  • Sources de 1 à 15 : bit.ly/42N16nP