Décision juridique
ANALYSE MIXTE
Auteur(s) : Tanit Halfon
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a jugé, mardi 13 février, que les régions flamande et wallonne en Belgique n’avaient pas enfreint la liberté de religion en interdisant l’abattage rituel d’animaux sans étourdissement préalable. Cette décision ne présage pas forcément d’un changement de posture au niveau national.
« L’interdiction de l’abattage rituel d’animaux sans étourdissement préalable ne viole pas la Convention européenne des droits de l’homme. » Cette conclusion a été rendue le 13 février 2024 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)1, suite à un recours de Belges musulmans et juifs ainsi que d’associations représentatives d’autorités nationales et provinciales des communautés musulmanes. En effet, depuis 2019, à des fins de protection animale, il est interdit, par décret, d’abattre les animaux sans étourdissement préalable, y compris pour les abattages rituels, dans les régions flamande et wallonne. Seule la région Bruxelles-Capitale continue de le pratiquer. Dans ce cadre, les législateurs ont ajouté que, pour les rites religieux, la technique d’étourdissement employée était réversible, c'est-à-dire sans entraîner la mort de l’animal. Si ce n’est pas le premier recours fait à l’encontre de ces décrets (voir encadré), la décision de la CEDH marque un tournant, soutient le directeur de l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoir (OABA), Frédéric Freund. « C’est une vraie avancée sur le sujet de la compatibilité entre liberté religieuse et protection animale. La CEDH2 donne une lecture intéressante de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle considère que la protection animale peut être rattachée à la morale publique qui, selon cet article, est un des motifs possibles de restriction réglementaire de la liberté religieuse dans une société démocratique (les autres motifs sont la sécurité publique, la protection de l’ordre, la santé, la protection des droits et libertés d’autrui, NDLR). Cela met désormais totalement sur un pied d’égalité le bien-être animal et la liberté religieuse. »
Des discussions au point mort en France
Pour Frédéric Freund, cette décision juridique permet désormais très clairement à tout État membre d’imposer l’étourdissement réversible comme en Belgique : « Selon la Cour, ce procédé est une mesure proportionnée qui ne va pas à l’encontre du respect de la pratique des rites religieux. Et elle rappelle que, pour ceux que cela ne satisferait pas, ils ont toujours la possibilité de s’approvisionner dans un autre pays. » De là à ce que la France emboîte le pas de la Belgique ? « Pour que le sujet avance ici, il nous faut des évidences scientifiques, juridiques et politiques. Aujourd’hui, nous pouvons dire que nous avons les deux premières. Ne manque que le courage politique. » Et de rappeler que le règlement européen de 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort, laissait déjà ouverte dans son article 26 la possibilité aux États membres d’adopter des règles plus protectrices. « Au sein du Comité national d'éthique des abattoirs (CNA), un sous-groupe avait été créé sur le sujet en 2021, souligne Frédéric Freund. Mais il ne s’est réuni qu’une seule fois et aujourd’hui, la discussion est totalement fermée. » Et de poursuivre : « Actuellement, il faut savoir que les méthodes d’étourdissement réversibles ne sont opérationnelles que pour les petits ruminants, par électronarcose. Rien n’existe pour les bovins. Ce qui explique probablement pourquoi la région de Bruxelles continue à faire des abattages sans étourdissement. Mais une technique australienne en cours de recherche, basée sur l’étourdissement par micro-ondes, montre des résultats encourageants. Ce dispositif permettrait d’une part une perte de conscience réversible des animaux, d’autre part ne serait pas associé à de la souffrance animale. Cela pourrait faire l’objet de discussion au sein du Comité, et faire avancer le sujet. »
Deux recours de l’OABA en cours
Selon lui, certains représentants de culte seraient d’ailleurs ouverts à une évolution des pratiques rituelles d’abattage. « D’autres États membres vont déjà dans le même sens que la Belgique. Par exemple, l’abattage sans étourdissement est interdit en Slovénie, au Danemark ou encore en Suisse. En Autriche ou en Grèce, on étourdit immédiatement après l’égorgement des animaux… En France, c’est une décision politique compliquée à prendre. Peut-être y a-t-il aussi des intérêts économiques avec un marché d’export des viandes issues d’animaux abattus sans étourdissement, vers les pays qui limitent ou interdisent cette pratique ? »
Des surprises sont peut-être à venir d’ici quelques mois. « Nous avons entamé une procédure auprès de la CEDH depuis 2022, pour une différenciation de l’étiquetage des viandes, dont une partie vendue en circuit classique, provient d’animaux abattus sans étourdissement. Nous avons aussi mis en avant l’article 9 mais pour la liberté de conscience. La décision pour la Belgique nous donne de quoi espérer. » Une autre affaire est en cours, cette fois-ci au niveau national, afin d’obtenir les chiffres de l’abattage sans étourdissement.
Deux procédures
Une première requête contre le décret flamand avait été faite en 2019 auprès de la Cour constitutionnelle belge, laquelle avait demandé l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne*. Cette dernière avait conclu que le décret permettait « d’assurer un juste équilibre entre l’importance attachée au bien-être animal et la liberté des croyants juifs et musulmans de manifester leur religion ». C’est dans ce contexte que la CEDH avait été saisie dans un second temps, sur la base de deux articles de la Convention européenne des droits de l’homme. D’une part, l’article 9 sur le droit à la liberté de pensée, conscience et religion, et d’autre part l’article 14 sur l’interdiction de la discrimination. Et c’est à l’unanimité que la Cour a statué qu’il n’y avait pas de violation de ces deux articles.
* bit.ly/3IdxdDL