Conférence
PHARMACIE
Auteur(s) : Par Michaella Igoho-Moradel
Lors d’une séance académique, organisée le 1er février dernier par l’Académie vétérinaire de France, Christophe Hugnet a décrypté le dossier d’AMM et mis en relief certaines situations paradoxales. Retour sur ces éléments qui peuvent guider le praticien dans sa prise de décision.
Dans son exercice quotidien, le praticien doit trier les nombreuses informations qu’il reçoit. Le dossier d’autorisations de mise sur le marché (AMM) l’aiguille dans cette démarche. Il confirme qu’un médicament peut être utilisé car ce dernier a fait preuve d’efficacité, d’innocuité et de sécurité pour l’animal et celui qui administre le médicament. Ce précieux document est-il pour autant toujours fiable ? Selon l’expertise de Christophe Hugnet1 (L 93), ce n’est pas nécessairement le cas. Et pour cause, des preuves d’efficacité de certains médicaments sont remises en cause en raison notamment du faible nombre d’animaux exposés lors des essais cliniques, « ce qui conduit à présupposer que le produit n’est pas si efficace que prévu ». D’autres limites de l’AMM ont été révélées, qu’elles soient réglementaires, financières ou encore scientifiques.
Des limites réglementaires
Comme en médecine humaine, l’exercice vétérinaire est encadré par le célèbre arrêt Mercier du 20 mai 1936. Celui-ci traite de la responsabilité civile médicale. « Nous devons exercer notre art en fonction des données acquises de la science. Or, le dossier d’AMM est figé dans le temps avec des évolutions lentes et parfois absentes », dénonce Christophe Hugnet. En effet, des voix de praticiens s’élèvent pour réclamer une mise à jour des AMM des médicaments les plus anciens, notamment des antibiotiques dans un contexte de lutte contre l’antibiorésistance. Cette situation entraîne parfois des mauvais schémas thérapeutiques ou encore une absence d’actualisation des données d’écotoxicité. « Les connaissances évoluent plus rapidement que les résumés des caractéristiques du produit (RCP). La révision des posologies pour les antibiotiques, les antimicrobiens, les AINS ou encore les antiparasitaires, a un coût pour les industriels. Mais dans la vraie pratique, un certain nombre de vieux antibiotiques ne sont pas utilisés aux doses de l’AMM. » Des AMM sont ainsi limitées à un certain nombre d’espèces ou d’indications. « En antibiothérapie, les dossiers vont cibler un couple bactérie/pathologie avec une espèce cible et ne vont pas décliner tous les pathogènes possibles. » Parfois, les seules évolutions des RCP résultent des données consolidées de pharmacovigilance.
Des limites scientifiques
Autre limite, là d’ordre scientifique, le faible niveau d'exigence des preuves d'efficacité. Le nombre d’animaux utilisés dans les études cliniques et précliniques de laboratoires et de terrain est parfois insuffisant. « Il y a quelques années, un vaccin contre la piroplasmose canine (babésiose) a reçu une AMM avec comme preuve d’efficacité un seul essai sur 6 chiens d’infection expérimentale. C’est peu et l’essai terrain pré-AMM n’était pas un essai d’efficacité clinique, mais celui d’une réponse sérologique et d’une étude de tolérance. Le produit a rapidement été retiré du marché face aux nombreuses déclarations de pharmacovigilance et l’efficacité insuffisante », relate Christophe Hugnet. Par ailleurs, les bonnes pratiques de laboratoires ou cliniques sont parfois éloignées « de la vraie vie ». Est citée comme exemple la voie transcutanée pour l’administration des pour-on chez les bovins. Des dossiers d’AMM (princeps et génériques) présentaient ces conditions d’administration sur des animaux isolés avec un collier anti-léchage. « Dans la vraie vie, les bovins sont des animaux sociaux qui vivent en troupeau et font du léchage entre eux. Selon des travaux2 menés à l’école nationale vétérinaire de Toulouse, 50 à 90 % de la dose sont administrés par voie orale, peu de doses passent par la peau. » Cette étude a permis de conclure que, chez les bovins, le léchage doit être pris en compte dans le cadre de la prévention des résistances aux antiparasitaires et pour la conduite des études sur l’efficacité de ces produits.
1. Expert près Cour d’appel de Grenoble, CSBM Mécanique d’action des toxiques, CSBM Pharmacovigilance,
2. bitly.ws/3dSGP
Des médicaments efficaces ?
La démonstration a été faite par Christophe Hugnet que les dossiers d'AMM doivent évoluer au même rythme que les médicaments mis sur le marché, notamment grâce à la pharmacovigilance. « Il y a quelques années, j’ai eu dans un effectif de chevaux un problème d’apparente inefficacité chez certains animaux dont des poulains, de pâtes orales à base d’ivermectine administrées avec des seringues obtenues sans ordonnance chez des pharmaciens. Après vérification, j’ai constaté que certaines seringues multidoses contenaient bien la dose complète de la pâte orale, mais aussi des grosses bulles. Certains poulains ont pris la dose complète et d’autres non. Cela s’est déroulé il y a 10 ans et pourtant, il persiste aujourd’hui un défaut d'homogénéité de production. » Autre sujet d'intérêt, les médicaments génériques qui bénéficient d’un dossier AMM allégé. Pour être mis sur le marché, ils doivent apporter la preuve de leur bioéquivalence (garantie d'une efficacité thérapeutique et d'une sécurité d'emploi identiques à celles du produit princeps). « La bioéquivalence in vitro permet de s’exonérer d’études in vivo avec des coûts moins élevés. Cela concerne les solutions orales ou injectables, les poudres orales et les comprimés à dissolution rapide. (…) Ces bioéquivalences ne permettent pas de valider le caractère sécuritaire de la substitution d’un médicament princeps par un générique, et inversement, ou d’un générique par un autre. Concrètement, les deux spécialités doivent avoir une même moyenne pour les paramètres pharmacocinétiques étudiés, à savoir la concentration maximale (Cmax), le moment d’atteinte de cette concentration (Tmax), l’aire sous la courbe (AUC). » À noter que cela ne signifie pas que les deux médicaments présentent la même distribution. La bioéquivalence individuelle peut ainsi être différente. Des variations sont observées au niveau individuel et lors de traitements collectifs. Christophe Hugnet recommande une bioéquivalence de population pour les antibiotiques.