Symposium
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Par Renaud Dumont
Lien entre maladie rénale chronique (MRC) et troubles de la coagulation, prise en charge de l’insuffisance rénale aiguë, importance de l’apport raisonné en phosphore lors de MRC, intérêt du dosage du FGF-23, ces thèmes ont fait l’objet de présentations lors d’un symposium de la société européenne d’uronéphrologie vétérinaire.
L’European Society of Veterinary Nephrology and Urology (ESVNU), en partenariat avec Purina et Idexx, a réuni un panel d’experts pour présenter les mises à jour sur les affections urologiques, le 20 septembre dernier, à Barcelone (Espagne).
L’hémostase lors de maladies rénales
En médecine humaine, de nombreuses altérations de l’hémostase sont décrites lors de maladie rénale chronique (MRC) pouvant mener soit à un état hypercoagulable, soit à un état hypocoagulable. Les patients sont donc exposés à un double risque : l’hémorragie ou la thrombose. Les mécanismes menant à une hypocoagulabilité et de potentiels saignements comprennent une augmentation de la sécrétion de monoxyde d’azote, un dysfonctionnement des récepteurs membranaires plaquettaires, un défaut de libération des substances activatrices de plaquettes (sérotonine, ADP) et une synthèse accrue d’inhibiteurs du facteur tissulaire (tissue factor pathway inhibitor, TFPI). D’un autre côté, l’hypertension, l’hyper-réactivité plaquettaire, les lésions endothéliales, l’augmentation du taux de facteur von Willebrand, du fibrinogène, de D-dimères, et du PAI-1 (plasminogen activator inhibitor-1) favorisent une hypercoagulabilité. La coexistence de ces deux états peut conduire à une situation hémostatique paradoxale.
Chez le chien, des modifications de l’hémostase lors de néphropathies sont également rapportées. D’après une étude menée sur 76 chiens avec une glomérulopathie, une hypercoagulabilité et une hypocoagulabilité sont rapportées dans 89 % et 9 % des cas, respectivement1. Des thromboses veineuses et aortiques sont rapportées en cas de glomérulopathie. L’activité de l’antithrombine III n’est pas prédictive de leur formation. Les mécanismes conduisant à une hyper et à une hypocoagulabilité lors de MRC sont mal connus, mais une possible situation hémostatique paradoxale est également suspectée chez le chien. Les données restent limitées chez le chat. Les antiagrégants plaquettaires (clopidogrel, aspirine) sont recommandés en cas de thrombose artérielle, tandis que les thromboses veineuses répondent davantage aux anticoagulants (héparines, inhibiteurs du facteur X).
Mise à jour du consensus de l’IRIS sur la gestion de l’IRA
Les recommandations sur la classification et la prise en charge des MRC et des insuffisances rénales aiguës (IRA) sont régulièrement mises à jour2. Cette journée a été l’occasion de rappeler certaines spécificités de la prise en charge de l’IRA, dont le système de gradation est présenté dans le tableau ci-contre.
La fluidothérapie reste la pierre angulaire du traitement de l’IRA, mais certains pièges sont à éviter. Les solutions salines isotoniques comme le NaCl 0,9 % sont à éviter car l’excès d’ions chlorure captés par l’appareil juxtaglomérulaire provoque un rétrocontrôle de vasoconstriction sur l’artériole afférente et peut ainsi aggraver les lésions rénales. De plus, au regard de leurs effets controversés et potentiels risques d’atteinte rénale, les colloïdes ne sont pas recommandés. L’emploi de diurétiques est uniquement indiqué en cas d’oligoanurie, après une réhydratation efficace. L’hyperphosphatémie est un facteur pronostic négatif majeur en cas d’IRA, et la mise en place de chélateurs de phosphore est indiquée, mais seulement lors d’une réalimentation entérale. L’hypocalcémie est également une anomalie biologique fréquente puisqu’elle survient chez 25 % des chiens et 37 % des chats, mais une complémentation n’est nécessaire qu’en cas de signes cliniques associés ou de diminution sévère (< 0,75 mmol/l). La mise en place d’une réalimentation précoce est indispensable après 48 heures d’anorexie en raison du caractère très catabolique de l’IRA. Les aliments à visée rénale sont à proscrire au regard de la très faible teneur protéique pouvant exacerber cet effet catabolique. Leur importante concentration en graisse limite également leur utilisation puisque les pancréatites sont de fréquentes comorbidités. Le suivi de la pression artérielle doit être réalisé plusieurs fois par jour. Elle doit être maintenue en dessous de 160 mmHg, avec l’amlodipine comme première ligne thérapeutique. La dihydralazine peut être employée lors de cas réfractaires, mais les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine doivent être évités au risque d’aggraver les lésions rénales. Concernant le pronostic, une récente étude chez des chiens hospitalisés pour IRA a montré que 55 % des cas ne sont plus azotémiques lors de la sortie, et que 20 % des azotémiques à la sortie se normalisent lors des suivis3. Un quart des chiens développent donc une maladie rénale chronique (MRC), mais leur progression est lente et l’espérance de vie reste comparable aux chiens n’ayant pas développé de MRC.
Maladie rénale chronique et phosphore
Une élévation chronique du phosphore sanguin est fortement associée à la progression et à la mortalité lors de MRC. En effet, des effets toxiques rénaux et cardiovasculaires résultent d’une phosphorémie trop élevée, mais également des réponses inadaptées des systèmes de régulation (notamment la parathormone). Le rapport calcium/phosphore (Ca/P) joue un rôle fondamental dans l’absorption intestinale de phosphore puisqu’il existe une relation inversement proportionnelle entre les deux. Il est recommandé de ne pas administrer d’aliment avec un Ca/P < 1. La source alimentaire de phosphore est également importante : le phosphate de sodium inorganique présente une haute solubilité et donc un risque d’hyperphosphorémie. Certaines études montrent même qu’une teneur alimentaire en phosphore trop importante (et notamment avec le phosphate de sodium) peut être délétère, même pour des reins sains.
Suivi de la MRC avec le dosage du FGF-23
Le FGF-23 (facteur 23 de croissance du fibroblaste)4 est une protéine synthétisée par les os qui participe activement à la régulation phosphocalcique, notamment en favorisant l’excrétion urinaire de phosphore. L’augmentation sanguine de FGF-23 est un marqueur précoce de progression d’une MRC et de la mise en place de l’hyperparathyroïdie secondaire. Les recommandations IRIS (International Renal Interest Society) pour la prise en charge des MRC chez le chat ont incorporé ce test (disponible chez Idexx) pour le stade 2 (créatininémie entre 16 et 28 mg/l). En effet, de nombreux chats présentent une phosphorémie dans l’intervalle recommandé pour ce stade (27 – 46 mg/l) mais un FGF-23 augmenté, témoignant d’une dysrégulation du système phosphocalcique. Ainsi, une valeur de FGF-23 > 400 pg/ml doit motiver la mise en place d’une alimentation à visée rénale, même en l’absence d’hyperphosphatémie.