Auteur(s) : Par Marine Neveux
Et si nous partagions nos erreurs ? C’était l’objectif fixé (et atteint !) de la journée européenne de l’Association vétérinaire équine française (Avef) en juin dernier à Roissy. Identifier l’erreur, en parler, est un cap essentiel pour mettre en œuvre des procédures pour l’éviter et la prévenir. Décryptage.
« Les erreurs médicales sont la troisième cause de décès en milieu hospitalier aux États-Unis. En milieu vétérinaire, il y a à peu près 5 cas pour 1 000 patients, dont 8 % vont avoir une issue irréversible », rappelle Céline Mespoulhès (A 98), directrice du centre hospitalier universitaire vétérinaire des équidés (École nationale vétérinaire d'Alfort, ENVA), en introduction de la journée.
Identifier les types d'erreurs
Il existe plusieurs types d’erreurs. Certaines sont assez évidentes comme l’erreur d'identification de l'animal à soigner, l’erreur de diagnostic par méconnaissance, par inattention, par fatigue, l’erreur de traitement, l’erreur chirurgicale. En médecine humaine, cela a conduit à établir des procédures de prévention. Des check-lists ont notamment été élaborées par la Haute Autorité de santé, comme une série de questions à se poser pour éviter les erreurs thérapeutiques (avant d’injecter un médicament par exemple).
D’autres erreurs peuvent être plus subtiles car elles sont dues à une combinaison de facteurs. Un éditorial de la revue Equine Veterinary Education paru en 2020 expose un cas pratique et montre une erreur contextuelle. Trois chevaux arrivent dans une clinique vétérinaire, deux viennent pour un bilan locomoteur, l’autre pour une castration. L’auxiliaire les identifie. Des urgences surviennent dans la matinée, l’auxiliaire change à l’heure du déjeuner. Le chirurgien s’apprêtait à castrer le mauvais cheval. L’auxiliaire revient et l’erreur est évitée de justesse. Cet exemple illustre une situation que tout un chacun pourrait être amené à expérimenter dans un contexte similaire. Cela souligne la nécessité d’une préparation en amont pour éviter ce type d’erreurs.
Autre catégorie d’erreurs. Elles concernent l’appréciation du risque, l’organisation, le recrutement d’un collaborateur, le management, la communication (en matière de transmission des informations ou de communication avec un propriétaire), le défaut d’anticipation. L’objectif est alors d’améliorer la communication de façon à ne pas reproduire ces cas de figure.
Enfin, le dernier type erreur, et pas des moindres, est de tomber dans la culture du blâme et de la peur, « car la seconde victime de l’erreur médicale, c’est le soignant lui-même, avec des conséquences psychologiques et sa considération par les collègues et supérieurs hiérarchiques, note Céline Mespoulhès. Il faut avoir une approche constructive, une phase d’analyse sur des actions, réunions sur les événements indésirables et, très clairement, il faut parler de ces problématiques pour savoir que cela arrive, comment réagir et éviter de les répéter ».
Instaurer une réflexion collaborative
Il est donc essentiel dans les établissements de soins vétérinaires de développer la culture de sécurité, d’analyser les erreurs, de les signaler et de mettre en œuvre une réflexion collaborative pour faire évoluer les procédures. « L’erreur supplémentaire est de ne pas prendre en compte ce qui s’est passé », insiste Céline Mespoulhès.
Toute pratique médicale ou chirurgicale mérite d’intégrer cette culture. Les intervenants de la journée européenne de l’Avef ont montré dans des domaines variés que les erreurs et les déconvenues peuvent vite arriver. Jean-Marie Denoix (L 77), professeur à l’ENVA et fondateur du Cirale, cite Franklin Roosevelt, « Une mer calme n’a jamais fait un bon marin. » Et de rappeler d’abord le principe, primum non nocere d’Hippocrate (410 av. J.-C.). « La protection des personnes et des chevaux doit être une priorité. Il faut évaluer et anticiper le risque à chaque instant, ou sinon, si on est paralysé par le risque à chaque fois que l’on examine un cheval, il y a un risque », donc la mise en place de procédures d’anticipation atténue la paralysie liée au risque, et permet de prévenir bien des déboires. « Il faut évaluer le comportement du cheval, la situation, etc. »
Recourir à l'expertise éclaire l'erreur
Philippe Lassalas (A 88), praticien équin et expert près la Cour d’appel de Versailles, explique le rôle de l’expertise face à l’erreur. « L’expert intervient à la demande d’un client, d’une partie, d’un avocat, d’un assureur, d’un magistrat, etc. Il est là pour établir des faits. Ces faits qui ont ensuite des conséquences juridiques, éventuellement avec des condamnations et des indemnisations. » La majorité des expertises se règlent à l’amiable. « On réunit les parties. Les assureurs ont mis un mode alternatif des litiges qui consiste à se réunir de manière contradictoire, à essayer d’établir les faits et à chiffrer les dommages. »
L’expert intervient quand il y a un litige, une plainte, une demande de réparation, un conflit, mais ce n’est pas pour autant qu’il y a des erreurs et des fautes. « Si vous êtes mis en cause, ce qui peut arriver à tous, il peut très bien ne rien y avoir au départ. Simplement, la personne qui subit un préjudice éprouve un sentiment d’injustice, pense avoir droit à une réparation. »
Distinguer erreur et faute
L'expertise établit la distinction entre erreur et faute. « Ce qui caractérise l’erreur par rapport à la faute, c’est que l’on peut encore revenir en arrière, il n’est pas encore trop tard. La faute est passée. » Philippe Lassalas l'illustre par un exemple. Lors de la pose d'une sonde nasogastrique, si l’on passe la sonde dans la trachée, c’est une erreur. Les bonnes pratiques permettent de vérifier si on est dans l’estomac ou dans la trachée. Donc on corrige l’erreur et on ressort de la trachée. Celui qui ferait une faute serait celui qui n’aurait pas conscience de cette erreur, mais surtout celui qui irait un peu trop vite et ne respecterait pas les protocoles des bonnes pratiques pour chacun des actes.
Se familiariser avec la culture de l’accidentologie
« Les erreurs, les complications, les EIG (événements indésirables graves), les fautes sont toujours l’expression d’un risque et le meilleur moyen de prévenir la survenue d’un risque est d’en avoir connaissance », poursuit Philippe Lassalas. Il cite en référence les plaques de Reason, psychologue britannique qui s’est intéressé à l’accidentologie en aviation. Chaque plaque représente un des facteurs qui peut contribuer à la réalisation du risque ou pas : facteurs humain, systémique, matériel. À chaque fois que le risque se concrétise, il faut analyser d'où vient la défaillance. « L’expert part de la fin de l’histoire et remonte à chaque étape. La difficulté de l’expert est qu’il doit se placer à l’époque des faits. »
Les cas rencontrés en expertise varient. Premier exemple, un cheval arrache sa tubulure et une quantité d’air suffisante rentre pour provoquer une amaurose provisoire. Autre circonstance : un bout de plastique de la tubulure d'un cathéter reste dans la veine sans qu’on puisse le retrouver à l’échographie et sans qu’il ne provoque de trouble. Ou encore, lors d’une anesthésie, la sonde trachéale ou le ballonnet n’est pas du bon diamètre et provoque une nécrose de la trachée.
Tenir compte de l’aléa thérapeutique
« Il y a des complications sans faute et sans erreur », ajoute Philippe Lassalas. Par exemple un cheval se fracture le tibia au réveil d’une anesthésie. Aucune faute du vétérinaire n’a été reconnue, « il y a tout un champ avec l’aléa thérapeutique où l’on ne peut pas tout contrôler comme la manière dont le cheval va se réveiller ». Enfin, notre confrère pointe le manque de communication. Il explique parfois la situation. Une bonne communication peut désamorcer beaucoup de conflits. Il préconise aussi de réaliser une facturation des actes, même lorsque l’opération a pu avoir des complications. « Il n’y a aucune raison de s’asseoir dessus s’il n’y a aucune faute ou erreur. Il est toujours préférable que la facturation intervienne assez rapidement après la survenue de l’opération. »
En conclusion, c’est la connaissance et la conscience de ces risques qui permettent aux vétérinaires de s’améliorer dans leur pratique. « L’expertise permet de se rendre compte de la réalité du terrain, tout ce que l’on ne voit pas, ce qui est sous-jacent. On aurait intérêt à davantage communiquer sur les erreurs. »
Apprendre des erreurs
Comment apprendre de nos erreurs ? interroge Pierre Mathevet (L 85), président de Tirsev. « À un moment donné, il faut accepter que l’on puisse faire des erreurs, surenchérit-il. Il y a un impact pour les jeunes générations, c’est important. » En effet, l’étude du professeur Truchot consacrée à la souffrance au travail des vétérinaires* révèle que la peur de l’erreur est le premier facteur associé aux idéations suicidaires et le second facteur associé à l’épuisement émotionnel et aux troubles du sommeil. « C’est une spécificité vétérinaire, les médecins ont la peur des problématiques judiciaires. Dans la profession vétérinaire, il y a le sentiment de responsabilité et la peur du jugement. »
Pierre Mathevet insiste sur le fait que l’erreur est inévitable, « c’est démontré par les neurosciences, on fait 2 à 5 erreurs par heure : renverser quelque chose, oublier, se tromper d’itinéraire, cela paraît énorme, mais c’est vraiment peu en regard de la masse d’informations que le cerveau traite. Il génère 100 millions de milliards de signaux électriques par seconde, de jour comme de nuit. Et notre cerveau travaille avec deux modèles. Beaucoup avec le subconscient, celui où l’on ne réfléchit pas, où l’on fait par automatisme, qui ne dépense pas d’énergie pour le cerveau. Et l’autre système, où l’on n’a pas de référentiel, où l’on a besoin de réfléchir et de monter en conscience. On fonctionne avec 90 % en subconscient, 10 % en conscience. Plus on applique une technique que l’on maîtrise, une routine, plus on sera susceptible de faire une erreur. L’erreur est inévitable et notre cerveau est notre pire ennemi. L’inconscient est normal dans notre cerveau. »
En outre, l’apprentissage passe par plusieurs phases, dont celle de l’incompétence consciente, celle de la compétence consciente et celle de la compétence inconsciente, « où il y a un risque d’erreur, car on fait les choses en étant centré sur autre chose. Plus on est fatigué, plus on a besoin de se dépêcher, plus on reste dans le risque d’erreur ».
Leïla Assaghir (Oniris 23) a mis en place un schéma qui permet aux vétérinaires de se poser plusieurs questions et d’avancer par étapes. Par exemple : Est-ce que j’ai conscience de pouvoir faire des erreurs ? « Souvent, on est dans le déni », constate Pierre Mathevet. Est-ce que je me sens capable d’assumer personnellement mes erreurs ? « Si la réponse est négative, c’est que l’on est dans la fuite et la recherche d’un bouc émissaire. » Si je suis capable de les assumer, est-ce que je pense avoir les ressources pour pouvoir m’améliorer ? « Si non, c’est la résignation et la mésestime de soi que l’on rencontre régulièrement. » Est-ce que mes objectifs d’amélioration sont réalistes ? « C’est important. Si on met des objectifs non réalistes, on restera sur de la frustration, et la moindre erreur va être difficile à vivre, et on sera dans l’acharnement et l’épuisement. Si l’on est capable de mettre en place des processus d’amélioration et de progresser, on peut donc apprendre de ses erreurs ».
La confiance comme rempart
Enfin, la confiance est le rempart contre la peur, « la peur de ne pas y arriver ». La confiance est l’antidote de la peur. « La confiance n’est pas l’infaillibilité, mais il faut accepter que l’on peut faire une erreur. Inspirer confiance en étant capable de reconnaître ses erreurs. C’est la base de l’équipe, il n’y a pas de relation entre deux personnes s’il n’y a pas de confiance, c’est-à-dire de laisser le droit à l’erreur, le sien et celui de l’autre. La faute est quand on fait la même erreur deux fois et que l’on n’a pas progressé. »
En humaine
En médecine humaine, un décret datant de 2016 rend obligatoire les déclarations d’événements indésirables graves (« Un EIG est un événement inattendu au regard de l’état de santé et de la pathologie de la personne et dont les conséquences sont le décès, la mise en jeu du pronostic vital, la survenue probable d’un déficit fonctionnel permanent »). Le personnel hospitalier a donc l’obligation de faire remonter les informations. Depuis la parution du décret, on est passé de 288 déclarations en 2017 à 1874 en 2021 (selon la Haute Autorité de santé).
Cette obligation est assortie d’une charte de confiance qui garantit l’anonymat et la confidentialité des déclarations. Cela se passe sur une plateforme interne aux hôpitaux, mais réservée aux praticiens hospitaliers. « On pourrait peut-être mettre en place une plateforme qui permettrait à chaque praticien de déclarer ces informations. Les experts pourraient y contribuer, et chacun pourrait avoir accès aux informations, propose Philippe Lassalas. En humaine, cela permet de faire une analyse précise du risque et de voir que quand le risque est là. Il y a une phase où l’on arrive encore à maîtriser, avant un point de rupture, où l’on arrive à récupérer la faute qui est en train de se passer, et il y a une phase où l’on peut aussi atténuer les conséquences du risque. Tout cela est la conséquence de l’analyse des risques à grande échelle. »
Lectures complémentaires
« Apprendre de l’erreur médicale. » Dossier de Leïla Assaghir et Anne-Claire Gagnon. La Semaine Vétérinaire n° 1947 du 03/06/2022.
« Erreurs médicales : les comprendre pour mieux les prendre en charge et les prévenir. » La Semaine Vétérinaire n° 1995 du 23/06/2023.
« Apprendre de ses erreurs, un changement de culture majeur. » La Semaine Vétérinaire n° 1719 du 12/05/2017.
« Erreurs médicales : accroître la sensibilisation. » La Semaine Vétérinaire n° 1796 du 03/02/2019.
Prochaine journée européenne de l’Avef
Urgences et catastrophes : comment garder son calme ? sera le thème de la 23e journée européenne de l'Association vétérinaire équine française (Avef) à Roissy (Val d'Oise) le 28 mars 2024.