Vaccinologie
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Par Tanit Halfon
Comme d’autres disciplines, la vaccinologie est au cœur de nombreuses recherches et développements. Outre la prévention des maladies infectieuses, la vaccination trouve aussi des applications en cancérologie. Le point avec Séverine Boullier (A 92), professeure en immunologie-vaccinologie à l’École nationale vétérinaire de Toulouse.
Quelles ont été les grandes avancées dans la vaccination des carnivores domestiques ? Est-on toujours sur une vaccination conventionnelle ?
Nous disposons aujourd’hui d’un large arsenal vaccinal pour protéger contre les principales maladies infectieuses. L’industrie pharmaceutique a fait preuve de beaucoup de réactivité pour développer des solutions, mais aussi pour les adapter aux évolutions des agents pathogènes du terrain. La technologie vaccinale a évolué permettant de disposer au fil du temps de différentes approches : d’abord les vaccins de type vivants atténués, inactivés et sous-unités adjuvés, puis sont arrivés les vaccins vectorisés. Ces derniers sont intéressants car ils génèrent une réponse protectrice associée à moins de risques (virulence résiduelle sur des animaux immunodéprimés, excrétion de la souche vaccinale notamment). Toutefois étant donné que le vecteur ne se réplique pas, il s’avère beaucoup moins immunogène qu’un vaccin vivant atténué (lequel induit une réponse à médiation humorale et cellulaire, et une protection longue durée). Des vaccins vectorisés sont disponibles pour la leucose féline et la rage en France, mais aussi pour la maladie de Carré aux États-Unis. Ces vaccins sont faciles d’utilisation, et la compatibilité des associations a été testée, permettant de protéger simultanément contre les principales maladies infectieuses. En ce qui concerne les premières technologies vaccinales développées, qui correspondent à la majorité de nos vaccins, elles ont totalement démontré leur efficacité sur le terrain.
Des innovations sont-elles à attendre ?
Il existe plusieurs axes de recherche en vaccinologie humaine, qui pourraient trouver des applications en médecine vétérinaire. Ils visent en particulier à développer des innovations vaccinales contre des maladies infectieuses pour lesquelles les stratégies conventionnelles ont montré leurs limites pour induire une réponse immunitaire efficace. Ces nouvelles approches pourraient aussi s’avérer nécessaires contre les maladies émergentes, comme les maladies à transmission vectorielle dont le risque augmente sur notre territoire du fait du réchauffement climatique. Les recherches s’intéressent à des adjuvants nouvelle génération, les agonistes des TLR. Ces derniers sont des récepteurs exprimés par les cellules présentatrices d’antigènes. Ils permettent l’identification précise des agents pathogènes en cause (virus, bactéries, etc.), ce qui permet d’orienter la réponse immunitaire vers le profil le plus adapté. Un des vaccins disponibles contre le paludisme infantile contient un de ces adjuvants, tout comme le vaccin contre le zona pour les personnes âgées.
Un autre axe de recherche est le développement de nouvelles technologies vaccinales, il s’agit par exemple des vaccins à ADN et ARN. Enfin, il y a aussi des explorations en cours sur les voies d’administration. La voie des muqueuses s’avère intéressante. En effet, la plupart des agents pathogènes l’utilisent pour entrer dans un organisme. Par conséquent, réussir à stimuler une réponse immunitaire à ce niveau-là, permettrait d’agir très en amont du processus infectieux, en bloquant l’entrée du pathogène. À l’heure actuelle, cette voie ne montre une efficacité qu’avec des vaccins vivants. Un des intérêts de la voie muqueuse est aussi de ne pas interférer avec les anticorps maternels. La voie intradermique est également prometteuse, par rapport aux voies sous-cutanée et intramusculaire. Les expérimentations montrent qu’elle génère une meilleure réponse immunitaire, en lien avec la plus grande richesse en cellules présentatrices d’antigènes du derme.
Des innovations s’avèrent aussi nécessaires pour améliorer les vaccins existants. Par exemple, il serait intéressant de disposer d’une protection universelle contre la leptospirose. Des recherches sont en cours à ce sujet. De même, le calicivirus est un agent pathogène très variable impliquant des échappements possibles à la réponse vaccinale. Enfin, les agents du FIV et de la PIF restent sans solutions vaccinales. Ils représentent des vrais défis en termes de R&D. Le premier en raison de sa très grande variabilité, le deuxième en raison de sa capacité à se multiplier dans les macrophages et à favoriser la synthèse d’anticorps facilitants.
Quelles sont les applications en médecine vétérinaire ?
En médecine canine, nous avons une application de la voie des muqueuses avec les vaccins intranasaux contre la toux du chenil1. Un nouveau vaccin contre la leishmaniose2, NeoLeish (CZ Veterinaria – a obtenu son AMM3 en 2022, NDLR) combine plusieurs innovations. Il s’agit d’un vaccin à ADN plasmidique qui code un facteur de virulence issu de Leishmania infantum, le gène lack. Le plasmide est enrichi en motifs CpG, des agonistes TLR, ce qui va stimuler la réponse Th-1 nécessaire pour une bonne protection contre la leishmaniose. Il s’administre par voie muqueuse, en intranasale. Pour l’instant, il y a peu de données d’efficacité, mais les premières études montrent que le vaccin induit bien une réponse protectrice dans des conditions d’infection expérimentale.
La vaccination s’est ouverte à d’autres disciplines, comme la cancérologie. Cette approche est-elle développée pour les animaux de compagnie ?
En médecine humaine, des avancées sont faites dans le développement de vaccins prophylactiques ou thérapeutiques contre certains cancers, grâce aux progrès faits en biologie moléculaire et à l’amélioration des connaissances des voies de stimulation du système immunitaire. Dans les deux cas, la difficulté majeure est de pouvoir identifier les antigènes cibles tumoraux. Des milliers d’essais sont en cours dans le monde pour la vaccination thérapeutique. Pour la prophylaxie, à ce stade, la seule approche qui ait abouti concerne le cancer du col de l’utérus, avec le vaccin contre les infections à papillomavirus, dont on sait qu’elles sont pro-cancéreuses. Mais dans ce cas, la cible correspond à des antigènes viraux et non cellulaires… En médecine vétérinaire, des essais cliniques sont en cours aux États-Unis pour un vaccin thérapeutique pour les chiens atteints de mélanome de stade 2 et 3 (Oncept melanoma vaccine, déjà commercialisé). Il s’agit d’un vaccin à ADN plasmidique codant la tyrosinase humaine, qui est surexprimée dans les cellules tumorales. Elle est suffisamment éloignée du système immunitaire canin pour qu’elle ne soit pas reconnue comme du non-soi, mais suffisamment proche de la tyrosinase canine pour que le système immunitaire puisse la cibler en tant qu’antigène tumoral. La voie d’administration est intradermique. Les premiers retours d’efficacité sont aléatoires, variables d’une étude à l’autre.
Aux États-Unis, une start-up Calviri4 mène des recherches sur un outil vaccinal permettant de prévenir la survenue de processus tumoraux. Elle avait annoncé en 2019, le lancement d’une étude de grande envergure, Vaccine Against Canine Cancer Study. Les premiers retours sont présentés comme positifs. Est-ce une voie d’avenir ?
C’est une approche très novatrice, basée sur la découverte de néoantigènes tumoraux, qui sont des peptides anormaux synthétisés suite aux erreurs de transcription des cellules tumorales. Les chercheurs ont découvert que parmi tous les néoantigènes synthétisés, certains semblent communs à de nombreux types tumoraux, et constituent donc un pool d’antigènes non spécifique d’une tumeur donnée. De plus, ils ont aussi prouvé que ces néoantigènes pouvaient être reconnus par le système immunitaire. On sait aussi que de manière générale, plus le système immunitaire reconnaît et s’arme tôt contre des cellules cancéreuses, plus la réponse immunitaire pourra être efficace. Dans ce cadre, leur idée est donc de générer une réponse immunitaire sur des animaux cliniquement sains, qui pourrait éliminer des cellules cancéreuses dès leur apparition. Ils ont pu constituer une banque de néoantigènes issus des 8 cancers les plus fréquents chez le chien, dont ils ont démontré qu’ils étaient immunogènes chez des chiens sains. Une étude prospective multicentrique, randomisée en double aveugle, est en cours. Une cohorte de 800 chiens sains âgés de 5 à 11 ans, a pu être constituée, elle est divisée en un groupe vacciné et un groupe non vacciné. Le protocole vaccinal utilisé est complexe, afin de pouvoir générer une réponse immunitaire forte et adaptée, qui inclut notamment la voie intradermique et un agoniste TLR. Le premier objectif est de confirmer l’innocuité et l’immunogénicité du vaccin ; le deuxième de déterminer l’incidence d’apparition de cancers dans les 2 groupes et de suivre leur évolution. Chaque animal sera suivi pendant 5 ans. La fin de la primovaccination a eu lieu en octobre 2022, les premiers résultats sont attendus pour la fin de l’année 2024 ou le début de l’année 2025.