Une série de mesures pour assurer la pérennité de l’élevage français - La Semaine Vétérinaire n° 2024 du 08/03/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2024 du 08/03/2024

Politique

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Par Ségolène Minster

Dans un contexte de déprise de l’élevage en France, de difficultés des éleveurs, d’une balance commerciale dégradée et d’une baisse de la consommation de produits animaux, la commission Territoire, agriculture et alimentation du Conseil économique, social et environnemental (Cese) a rendu en janvier un avis sur les défis que la filière doit relever pour perdurer.

« Le défi majeur est de maintenir le plus grand nombre de fermes de polyculture-élevage en France. Il s’agit aussi de réintroduire ce modèle dans les territoires où il a disparu », indique le Cese. Après avoir dressé un état des lieux de la filière, de ses incidences positives et négatives, le Cese a émis 12 préconisations1. Elles sont portées par ses rapporteuses Marie-Noëlle Orain, productrice de lait bio retraitée à Châteaubriant (Loire-Atlantique), et Anne-Claire Vial, agricultrice en polyculture installée dans la Drôme, présidente de l’Acta2. Voici 4 de leurs propositions. 

Réformer les règles de l’OMC et les traités bilatéraux

L’avis du Cese se préoccupe tout particulièrement des disparités entre les normes européennes et les pays tiers. Elles soulèvent de nombreuses questions éthiques et sanitaires. Ainsi, les accords bilatéraux de commerce entre l’UE et d’autres États engagent la France et peuvent avoir des incidences significatives sur l’élevage. L’accord en préparation avec le Mercosur en fait partie. Mais la France s’y oppose car le texte prévoit de faciliter l’importation des produits agricoles en provenance de l’Argentine, du Brésil, de l’Uruguay et du Paraguay. Le Mercosur est déjà à l’origine de 70 % des importations de viande bovine et 50 % de volailles en Europe. Pour limiter cette concurrence, le Cese préconise « une réforme des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en vue d’harmoniser les normes en matière de conditions d’élevage » et « de rendre opposables, dans tous les accords de commerces bilatéraux des clauses sociales et environnementales afin de mettre fin aux importations de viande qui ne respectent pas les règles en vigueur au sein de l’UE ».

Préparer la nouvelle PAC de 2027

L’avis de Cese s’est également penché sur les politiques publiques de soutien de l’élevage, notamment de la PAC, au cours des dernières décennies. Les objectifs initiaux qui visaient à accroître les quantités produites ont encouragé les systèmes culturaux et fourragers. Ainsi André Le Gall de l’Institut de l’élevage (Idele) a déclaré lors de son audition : « Lorsque la PAC de 1992 a donné 300 euros par hectare au maïs fourrage et pas à l’herbe, on pouvait faire tous les calculs que l’on voulait, il valait mieux faire du maïs et du soja. » Mme Anne-Charlotte Dockès, ingénieur agroéconomiste à l’Idele, a rappelé que « l’herbe est au cœur des enjeux sociétaux et environnementaux. Les élevages de ruminants sont des élevages qui valorisent l’herbe, cela permet une durabilité environnementale, économique et sociale. Nous sommes face à des tendances de fond et à de nouveaux modèles alimentaires qui s’appuient sur des attentes éthiques portées par les citoyens ». L’avis préconise donc d’orienter la nouvelle PAC de 2027 afin de soutenir l’installation des systèmes d’élevages durables, notamment ceux avec une superficie agricole utilisée (SAU) comprenant plus de 75 % de prairie. Il recommande de soutenir la transition vers la polyculture-élevage, avec le financement des unités structurantes pour la filière (abattoirs, ateliers de transformation ; etc.). La rétribution des services environnementaux, notamment ceux liés aux prairies et aux haies, doit être encouragée.

Renforcer et réorienter la recherche

Autre levier d’action mis en avant par l’avis du Cese, l’excellence de la recherche française vétérinaire et agronomique. La recherche en génétique, au service de l’augmentation de la production, a permis de disposer d’animaux plus charnus à croissance rapide, de vaches et de poules produisant plus. Les sélections génétiques ont aussi « visé à adapter les cheptels aux nouvelles conditions d’élevage, en particulier à l’intérieur de bâtiments, en favorisant la valorisation d’aliments concentrés ». La longévité et la rusticité, y compris face aux manifestations du changement climatiques, revêtent aujourd’hui une importance majeure. Afin de renforcer la durabilité et la résilience de l’élevage, le rapport préconise de réaliser la synthèse de l’ensemble des résultats des recherches, expérimentations et travaux pour relever les grands défis de l’élevage. « Ce programme devra prendre en compte les approches alternatives, “ non technosolutionnistes”3 […] et comporterait plusieurs volets. » Ces trois volets sont d’ordre : technique et génétique (choix d’espèces et de races, etc.), organisationnel et ergonomique et, enfin, environnemental. Ce dernier permettant de renforcer la durabilité des exploitations (réduction des émissions de gaz à effets de serre, stockage de carbone, protection de la biodiversité, meilleure gestion des ressources, entretien des paysages, autonomie protéique, etc.).

Promouvoir les « éleveurs-innovateurs »

L’avis du Cese souligne le rôle clé de certains intervenants. À côté des acteurs institutionnels de la recherche en zootechnie, des groupes d’éleveurs expérimentent des méthodes innovantes. C’est le cas des centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (Civam) qui mènent des travaux sur les systèmes herbagers. L’avis conseille d’impliquer davantage les éleveurs dans les travaux de recherche en zootechnie, afin qu’ils participent à la définition des objectifs et à l’expérimentation de nouvelles solutions issues des travaux de la recherche et adaptées au contexte de leurs fermes. « Leur engagement et leur prise de risques pourraient être rémunérés grâce à un dispositif fiscal à concevoir s’inspirant du crédit impôt recherche qui a été mis en place pour les entreprises. » Deuxième préconisation dans ce domaine, mettre au point une méthode permettant de réaliser un diagnostic scientifique et technique d’un élevage dès son installation. Les agriculteurs connaîtraient ainsi la viabilité de leur exploitation d’un point de vue économique, social et climatique. En plus de ces suggestions d’ordre structurel, l’avis indique que « l’orientation industrielle de l’élevage a atteint ses limites » et émet aussi des préconisations du côté de la fourchette, afin de limiter la polarisation des positions entre éleveurs et consommateurs. Il s’agirait, d’une part, d’informer et de sensibiliser les acheteurs sur les enjeux de l’élevage et, d’autre part, de faire respecter l’obligation d’indiquer l’origine des viandes et des produits laitiers, en particulier dans le domaine de la restauration.

Qu’est-ce que le Cese et à quoi sert-il ?

Le Conseil économique, social et environnemental est la troisième assemblée citée dans la constitution. C’est une assemblée constitutionnelle consultative représentant les différentes catégories socioprofessionnelles françaises. Elle évalue les politiques publiques du gouvernement et du parlement. Elle peut être saisie par voie de pétition (à condition de recueillir plus de 150 000 signatures) ou s’autosaisir. Cette autosaisine a été attribuée à la Commission des territoires, de l’agriculture, de la pêche et de l’alimentation et s’est appuyée sur l’audition de 25 personnes qualifiées du monde de l’élevage, à savoir des éleveurs, des chercheurs en agronomie, des responsables d’instituts techniques, etc.

« La réciprocité des accords commerciaux bilatéraux est un enjeu majeur »

Interview de Jean-Luc Angot (T 82)

Président de la section « international, prospective, évaluation et société » du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), chef du corps des ISPV, membre de la commission d’évaluation du projet d’accord UE-Mercosur en 2020 et de la commission d’évaluation de l’impact du Ceta, le traité de libre-échange conclu entre le Canada et l’Union européenne en 2017.

Plusieurs rapports récents (du Cese, du CGAAER et du Haut conseil pour le climat) émettent des recommandations sur les transformations nécessaires de l’élevage. Certaines recommandations portent sur la nécessité de revoir les accords de commerce internationaux…

L’Organisation de l’Onu pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a aussi rendu un rapport* en décembre dernier sur les trajectoires pour baisser les émissions de gaz à effet de serre de l’élevage. Le rapport conclut que nous devons manger moins de viande et « mieux ». Cela ne doit pas se traduire par moins de production européenne et plus d’import en provenance de pays qui n’ont pas les mêmes normes. Par exemple sur le bien-être animal, la réglementation européenne est la plus exigeante, mais n’impose pas les mêmes règles aux pays tiers exportateurs de denrées animales vers l’Union européenne. Seule l’interdiction relative à l’administration d’hormones aux animaux d’élevage datant de 1996 s’applique à tous les animaux, quelle que soit leur provenance.

Les préconisations du Cese concernant les accords commerciaux sont-elles envisageables ?

Il est en effet possible d’introduire des clauses-miroirs dans les accords commerciaux bilatéraux. Par exemple dans celui entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande figure l’interdiction pour les animaux de provenir de feedlots (sauf qu’il n’y a pas de feedlots en Nouvelle-Zélande !). Des mesures de réciprocité peuvent être inscrites dans la réglementation européenne (mesures-miroirs), comme cela a été fait dans le nouveau règlement du médicament vétérinaire 2019/6. L’article 118 y indique que les animaux ou produits d’origine animale importés dans l’Union ne doivent pas avoir été traités avec certains antimicrobiens listés et réservés au traitement de certaines infections chez l’homme, ni avoir été traités par des antimicrobiens à des fins de promoteurs de croissance, comme c’est le cas des denrées animales produites dans l’Union européenne. Le dernier acte d’exécution de ce règlement vient seulement d’être publié et les dispositions n’entreront en vigueur qu’en 2026 !

Qu’est-ce qui freine cela actuellement ?

Le sujet de la réciprocité des accords est un enjeu majeur. Dans les faits, les choses n’avancent pas beaucoup. Les intérêts politiques européens divergents freinent la mise en place de clauses-miroirs. Les accords commerciaux, portés par la direction générale du commerce de la Commission européenne, sont fortement plébiscités par des pays dont l’économie repose sur l’industrie (automobile, chimie, etc.) et où l’élevage n’a pas le même poids qu’en France. Sur les recommandations de la commission d’évaluation du projet d’accord UE-Mercosur, dont j’ai fait partie, la France a porté le dossier de la réciprocité des normes pendant la présidence de l’UE qu’elle assurait au 1er semestre 2022, mais cela n’a malheureusement pas pu aboutir à une position commune des États membres.

*Rapport FAO. 2023. Pathways towards lower emissions – A global assessment of the greenhouse gas emissions and mitigation options from livestock agrifood systems. Rome.

  • 2. Acta, association représentant les instituts techniques agricoles et les organismes de recherche appliquée pour les productions animales et végétales https://www.acta.asso.fr
  • 3. approches basées sur la confiance dans la technologie pour résoudre un problème souvent créé par des technologies antérieures.