La prothèse ostéo-intégrée, une option efficace pour garder ses 4 pattes - La Semaine Vétérinaire n° 2025 du 15/03/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2025 du 15/03/2024

Chirurgie

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

La pose d’une endoprothèse chez un carnivore domestique est rare en France. Depuis 2021, elle est expérimentée avec succès par Frédéric Sanspoux au sein de la clinique Sirius spécialisée dans les chirurgies lourdes. Explications.

Cela fait maintenant plusieurs années que les prothèses de hanche sont utilisées en chirurgie vétérinaire. En ira-t-il de même pour les prothèses d’amputation, appelées aussi endoprothèses ou prothèses ostéo-intégrées ? Ces dispositifs consistent à remplacer un membre amputé (ou qui le sera). Ils sont pour l’instant très rarement envisagés en France, avec a priori moins de 10 vétérinaires à les avoir expérimentés. Parmi eux, Frédéric Sanspoux, vétérinaire à Limoges (Haute-Vienne), est celui qui en a posé le plus. Depuis 2021, il aura opéré 7 chiens et 2 chats… et 10 prothèses ! « À ma connaissance, nous avons été premiers en France à utiliser cette technique d’impression 3D. Ailleurs dans le monde, elle est déjà utilisée depuis plusieurs années, notamment dans les pays de l’Est, mais aussi au Royaume-Uni, au Portugal ou en Espagne », explique-t-il. La procédure est simple à comprendre. En premier lieu, une scanographie est réalisée, afin de « reconstituer l’anatomie du patient en 3 dimensions et réaliser des mesures précises [à partir du membre sain auquel on applique un effet miroir, NDLR] pour la fabrication de l’implant ». Les images sont ensuite transférées à un bureau d’ingénierie biomédicale qui va modéliser, puis imprimer, la prothèse en titane.

Une indication en cas d’amputation distale d’un membre

Tous les métaux ne peuvent pas être utilisés, explique Frédéric Sanspoux : « le corps d’un animal ou d’un homme est un milieu très corrosif pour du métal. Certains métaux vont devenir toxiques au contact de fluides corporels, comme le vanadium, le nickel, le cuivre. D’autres vont provoquer une réaction d’encapsulement et in fine un rejet comme le fer, l’aluminium ou le molybdène. Les alliages de titane, mais aussi le niobium et le zirconium, sont bien tolérés, sans aboutir à des réactions du système immunitaire. » Il précise : « le titane est largement reconnu pour sa biocompatibilité, sa résistance à la corrosion et ses propriétés de fusion avec l’os permettant une ostéo-intégration. Les pièces imprimées en 3D en titane conservent ces propriétés, les rendant idéales pour les applications chirurgicales. L’alliage de titane qui est utilisé est le Ti6AI4V ELI ou Grade 23. » Une fois la commande passée, il faut compter entre 4 à 6 semaines de délai.

Les chiens comme les chats s’avèrent des bons candidats, tout comme les membres postérieurs et antérieurs. Il n’y a pas non plus de limites d’âge définies, excepté que la croissance osseuse doit être bien avancée. Bien qu’aucun consensus scientifique n’existe encore en matière de prothèse ostéo-intégrée à destination des carnivores domestiques, Frédéric Sanspoux recommande cette technique dans certains cas de figure pour les extrémités distales d’un membre : tumeurs sans métastases, des abrasions ou fractures sévères ne pouvant pas être traitées par une arthrodèse ou autre technique d’ostéosynthèse, des déformations ou malformations congénitales sévères et des agénésies. Pour les membres antérieurs, l’arthrogrypose sévère suite à un traumatisme par avulsion du plexus brachial est indiquée. Côté contre-indication, il cite les tumeurs à haut pouvoir métastatique comme les ostéosarcomes, les phénomènes vasculaires pouvant entraîner une nécrose partielle d’un membre, les infections osseuses persistantes, ou un os de mauvaise qualité (corticales trop fines, cavité médullaire réduite, ostéoporose, ostéopénie, etc.). « Les amputations plus proximales ne sont pas en soi une contre-indication, mais les résultats fonctionnels sont moins bons », explique-t-il.

La complication infectieuse est le principal risque

Sur les 9 animaux traités, il a eu à gérer 2 échecs. « Un chien est décédé dans les 48 heures, mais nous n’avons pas mis en évidence de lien avec l’implant. Il n’y avait pas de trace d’inflammation ou d’infection », rapporte-t-il. Plus récemment, un implant a cassé chez un chien, mais il s’agissait d’un défaut de design. « Tout implant a une résistance limitée dans le temps. Et si les forces appliquées sur lui dépassent ses capacités de résistance, il peut se rompre. C’est ce qui s’est passé sur un de nos patients seulement au bout de trois semaines sans que l’animal soit en faute par un exercice trop intensif. La prothèse était sous-dimensionnée », explique-t-il. Il n’a eu à gérer aucun cas d’infection, qui est le risque majeur d’une endoprothèse. « Si l’étanchéité n’est pas parfaite entre l’implant et les tissus mous, une infection peut se propager le long de l’implant, créer un biofilm protecteur pour les bactéries et rendre tout traitement antibiotique illusoire », indique-t-il. Prévenir l’infection dépend, comme pour toute chirurgie, du respect scrupuleux des conditions d’asepsie, mais aussi ici d’une quantité suffisante de peau, afin de pouvoir recouvrir le dispositif jusqu’au collet pour l’étanchéité. En postopératoire, le premier mois nécessite des changements de pansements tous les 1 à 3 jours sous conditions d’asepsie chirurgicale. Ils s’espacent ensuite progressivement, et se font chez le vétérinaire traitant toujours sous conditions strictes d’asepsie au moins pendant 2 mois. Les détenteurs de l’animal prennent la suite à la maison. Certains patients ne portent plus de pansement du tout au bout de quelques mois, mais « nous conseillons une protection systématique de la jonction cutanée, surtout lors des sorties. » À l’avenir, « l’évolution de la technologie va nous permettre de recouvrir les implants de matières bactéricides ou non propices au développement bactérien, créant ainsi une barrière aux micro-organismes ».

À noter qu’il existe aussi un risque thermique, en dessous de 0 °C. « L’endoprothèse est constituée de métal qui, par sa nature, est un excellent conducteur thermique. Les températures basses peuvent donc causer une douleur légère à modérée au patient. Il est alors conseillé de couvrir correctement l’extrémité du membre pour les sorties. »

Une récupération rapide

Tous les autres cas ont été des réussites, avec des récupérations rapides et surtout un animal qui retrouve une démarche quasi-normale. « Pour l’instant, je bricole des fausses pattes à accrocher au bout de l’implant, avec des tubes en inox ; c’est comme un embout de béquille. Car à mon sens, il n’existe encore aucune solution technique satisfaisante. Mais des recherches sont en cours à ce sujet. » Pour cette partie d’exoprothèse, il conseille d’éviter les solutions trop rigides, qui risquent de répercuter tous les chocs dans le membre, et les systèmes trop bruyants lors de l’impact au sol. « L’exoprothèse doit être aussi facilement interchangeable, car c’est une pièce qui s’use dans le temps ou peut se casser sous la contrainte à laquelle elle est soumise. » Avec le recul, Frédéric Sanspoux trouve que le chat est « un meilleur candidat, en lien peut-être avec le fait qu’il soit plus léger, et avec une meilleure capacité d’adaptation. Il se met à marcher normalement rapidement, généralement en une dizaine de jours. Pour le chien, cela peut prendre jusqu’à 3 à 4 semaines, et il a tendance à plus se préoccuper de la prothèse au départ que le chat. » Dans sa pratique, c’est désormais l’option qu’il propose en priorité, devant la prothèse externe que « je ne trouve plus assez satisfaisante, avec notamment une démarche qui s’avère bien moins naturelle qu’avec la prothèse d’amputation ». Selon Frédéric Sanspoux, « une fois la phase de rétraction cutanée achevée, le patient ne se soucie plus de cet élément et semble le considérer comme étant un membre à part entière. »

Au final, le vrai facteur limitant s’avère le prix. Comptez entre 4 500 et 6 000 euros la prise en charge globale de l’animal, inclus les soins postopératoires. « Le challenge des années à venir est donc d’optimiser les coûts de fabrication des implants car ils représentent aujourd’hui plus de 2000 €. »

  • Une vidéo d’intervention chirurgicale est librement accessible sur la chaîne YouTube de la clinique : bitly.ws/3fyU7