Les erreurs à éviter dans la gestion d’équipe - La Semaine Vétérinaire n° 2025 du 15/03/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2025 du 15/03/2024

Management

ENTREPRISE

Auteur(s) : Marine Neveux

Pierre Mathevet, président du cabinet de conseil Tirsev, a donné, dans le cadre de la journée européenne de l’Avef*, une conférence intitulée « Quelques bourdes de management ». L’occasion pour le consultant de pointer les erreurs qu’il rencontre souvent dans les structures vétérinaires et de donner des pistes pour les éviter.

« Une des grandes erreurs de base, c’est déjà ne pas définir les règles du jeu commun », martèle Pierre Mathevet (L 85). Et d’insister « si tous les acteurs du terrain n’ont pas les mêmes règles du jeu et n’ont peut-être pas envie de faire la même chose, cela va être une source de complications ! »

Deuxième écueil possible en management : malgré l’existence de règles communes, elles ne sont pas appliquées et les hors-jeu ne sont pas sifflés ! Le conférencier recommande qu’une personne au sein de l’établissement de soins vétérinaire développe des compétences en management pour qu’elle devienne la référente des salariés. Elle devra être soutenue dans son rôle par tous les associés. Elle aura la charge de faire respecter les règles. « C’est le cadre car, sans cadre, il n’est pas possible d’encadrer ni de recadrer. »

Enfin, troisième faille potentielle : la mécommunication, c’est-à-dire les sous-entendus, malentendus, non-dits, mal dits, dénis, etc. Le poids des non-dits est important, « ils vont s’accumuler et, à un moment donné, vont exploser », appelle à la vigilance Pierre Mathevet.

Établir des règles communes de fonctionnement

En l’absence de cadre, il n’y a pas de référentiel commun. Dans cette situation, la seule façon pour le manager de gérer un problème, « c’est de juger par rapport à son propre référentiel, à son expérience, à sa façon de voir les choses, vision qui peut être très différente de celle des autres membres de l’équipe. Et il va falloir être juste, peut-être par rapport à quelque chose qui a eu lieu plusieurs années avant. Le responsable va être contraint de juger, ce sera régulièrement considéré comme injuste. Et le sentiment d’injustice est un vrai pétard dans le management ! ». En outre, le besoin d’expliquer, de se justifier est énergivore. D’où la nécessité de mettre en place un cadre commun pour gagner en cohérence de fonctionnement. « Une équipe implique de la coopération, et pour l’avoir il faut de la cohérence de fonctionnement. »

Autre notion : la cohésion s’appuie sur la reconnaissance, la confiance, sur la notion de relations interpersonnelles au sein d’un groupe. Une équipe est d’autant plus performante que l’entente est forte. En revanche, impossible d’avoir de la cohésion sans une organisation rationnelle. 

Pierre Mathevet cite une situation en exemple. La question est posée par un employeur : « La majorité de mes ASV préfère récupérer des heures de repos plutôt que des heures supplémentaires payées. Quel cadre pouvons-nous imposer ? Quel délai de prévenance ? Quel effectif journalier minimal ? Quel délai maximal de pose ou de paiement le cas échéant ? Ou sommes-nous réduits aux desiderata de nos salariés ? » La réponse est claire pour Pierre Mathevet : « c’est de la responsabilité des dirigeants de poser ce cadre dans ce type de situation. Il sera ensuite partagé avec l’ensemble de l’équipe ».

Mettre en place des documents propres à l'entreprise

Le règlement intérieur des salariés au sein d’une entreprise est un outil de management intéressant. Bien qu’il ne soit pas obligatoire pour les entreprises de moins de 49 salariés, il est possible de lui substituer une charte de bon fonctionnement pour les plus petites structures comme nombre d’établissements de soins vétérinaires. « Cette charte est importante car elle récence l’ensemble des droits et des devoirs des salariés, et les droits et les devoirs des dirigeants. » Il est possible d’y inclure les horaires d’ouverture, les tenues vestimentaires, les règles de dépôt pour les demandes de congés, si l’on a droit de venir avec son animal sur le lieu de travail, etc. « Ne partez pas d’une feuille blanche » conseille Pierre Mathevet, qui a élaboré des modèles qu’il met à disposition des vétérinaires. « Vous ferez signer cette charte par ceux qui sont présents dans l’équipe. »

Autre document utile : la fiche de poste qui va définir toutes les missions attribuées au salarié.

Et dernier levier, même si cela peut paraître galvaudé aujourd’hui, « il est essentiel de définir les valeurs de votre entreprise, qu’est-ce qui fait que vous avez envie de travailler d’une certaine manière, comment on travaille au sein de votre établissement : la qualité de vie, le professionnalisme, l’honnêteté, la loyauté, le plaisir, l’innovation, l’esprit d’équipe, etc. » En regard de ces valeurs, le spécialiste invite à décliner les comportements attendus. Par exemple, l’esprit d’équipe passe par « la poursuite de nos objectifs communs passe par l’entraide, le soutien, la coopération, la compréhension de l’autre et le respect de ses positions ». Les valeurs de l’entreprise révèlent comment l’on fonctionne, « et c’est opposable entre deux dirigeants, entre un dirigeant et un salarié, entre deux salariés ».

Il s’agit une fois encore de poser un cadre avant tout. « C’est un espace de sécurité. On ne voit pas le cadre comme quelque chose qui empêche d’agir, mais à l’intérieur du cadre, c’est comme cela que l’on va développer l’autonomie, Tant que vous respectez les règles, vous avez le droit de jouer comme vous le voulez. »

Respecter les règles

Pour faire respecter le cadre, l’exemplarité du dirigeant est un fondement du management. « Il n’est pas possible de demander aux autres ce que l’on ne s’applique pas à soi-même. »

Quel mode de management alors ? « On a besoin en clinique vétérinaire de passer du management sympathique au management empathique », surenchérit Pierre Mathevet. Savoir gérer l’empathie est à développer, une bonne communication aussi … « Attention aux émoticones. Ce n’est pas toujours facile de savoir ce que l’on veut dire, et cela peut créer des grandes difficultés en termes d’intégration de la communication ! » La communication dans le management, même entre associés, « est avant tout au niveau de la communication orale ».

Pierre Mathevet nous renvoie à une communication selon les 5 accords toltèques : « d’abord que votre parole soit impeccable, la parole a une force et une valeur énorme. Une parole intègre : je dis les choses, à la bonne personne, en faisant attention à l’autre, avec une notion d’empathie, car ma parole peut être quelque chose de positif, ou de destructeur, donc il faut prendre conscience de sa parole et faire attention à ne pas être agressif ».

Prendre le temps de dire

Il est essentiel de prendre le temps de se dire les choses. « Je prends sur moi depuis plusieurs mois, mais rien de change, peut-on entendre régulièrement », explique le conférencier. « Mais avez-vous fait des retours à la personne sur ce qui ne vous convient pas ? » Il faut impérativement dire les choses, « on a tous en tête cette phrase “ce n’est pas grave”. C’est le pseudo blanco. Si c’est pas grave, on l’oublie, si c’est quelque chose que l’on va garder dans sa tête, et qui fait monter dans les tours régulièrement, il faut peut-être mieux décoller le timbre à ce moment-là, plutôt que d’avoir un catalogue de timbres à jeter à la figure de l’autre qui n’a jamais rien vu venir et va forcément mal réagir ! »

Très souvent, on ne dit pas les choses au bon moment, note Pierre Mathevet : le nouvel embauché qui arrive un matin, la clinique qui est vendue à un groupe privé, le départ d’un collaborateur, les augmentations des tarifs, etc. « Quand notre cerveau ne sait pas, il imagine, et très souvent le pire ! Donc communiquez, quitte à dire que je suis sur un projet et que je n’ai pas plus d’information. »

Autre erreur : ne pas communiquer au bon moment. « Si je viens de me faire écraser par le cheval et que je me fais réprimander, je suis déjà dans un état d’émotion élevée. Le feedback va être mal pris. »

En outre, il convient de ne pas faire de critique devant un client, et d’attendre que les personnes soient réceptives pour prendre le temps d’échanger et de discuter et pour qu’elles soient à l’écoute.

S'adresser à la bonne personne !

Autre problème de communication : ne pas dire les choses à la bonne personne ! « Quand on réprimande tout le monde, c’est personne ! De plus, tout le monde va trouver cela injuste. » Il convient donc de ne jamais faire de reproches généralisés, mais de personnaliser les taches, les missions, de responsabiliser les gens. « Pas de reproche généralisé dans une réunion, et pas de mail généralisé à toute la clinique ! » La seule option est de définir une seule personne.

Et Pierre Mathevet de constater que « la communication indirecte du billard français » est fréquente et délétère, c’est-à-dire on a du mal à parler à la personne responsable, on le fait dire à quelqu’un par quelqu’un d’autre. « Cela va faire monter la tension et poser des problèmes. »

Une erreur serait aussi de ne pas s’attaquer aux désaccords. « Parce que nous avons tous des expériences, une éducation différente, on n’aura jamais la même vision de la situation. Les désaccords sont inévitables. Une équipe est un équilibre instable. On a besoin de réguler les tensions au sein d’une équipe. Elles sont normales, c’est ce qui nous permet de progresser. Si l’on ne régule pas les tensions, on arrive à une crise, et on finit à un conflit. »

« Il est aussi nécessaire de comprendre les besoins fondamentaux de l’autre pour comprendre les besoins sous-jacents qui font sa motivation. » La motivation renvoie aux besoins et aux aspirations profondes. Ils varient en fonction des individus. « Dans une équipe performante, chacun ose exprimer ses peurs et ses besoins. » Règle d’or donc : laisser s’exprimer les ressentis.

Ne surtout pas négliger le feedback

« On a besoin de dire des choses agréables et, parfois, on a besoin de dire des choses non agréables. » Pour ce faire, « le management directif, cela ne marche plus. Le manager va poser des questions, pour mettre l’autre dans la position d’acteur, essayer de lui faire comprendre que s’il y a de véritables raisons, elles sont chez lui, lui faire comprendre pourquoi il fonctionne comme cela. Ne pas donner de feedback à quelqu’un est extrêmement destructeur. On préfère même avoir un feedback négatif, plutôt que de ne pas avoir de feedback du tout. L’indifférence est extrêmement destructrice ». 

Le feedback négatif se fait avec une communication non violente. Pierre Mathevet recommande la technique suivante : O observation, S sentiment, B besoin, D demande. « Avec cette technique, on n’est pas agressif, on s’appuie sur des faits réels, on peut exprimer ses sentiments et ressentis, on identifie et on partage ses besoins avec l’autre, on formule la demande par rapport à un besoin. »

Et ne pas oublier que la reconnaissance, l’encouragement sont très mobilisateurs. Une situation commune : « Elle le sait que je suis contente de son travail. » Et bien non, pas forcément ! « Envoyez du positif, cela nous manque beaucoup dans les cliniques vétérinaires ! », déclare Pierre Mathevet qui conclut par la phrase du tennisman, Yannick Noah, qui a mené plusieurs fois l’équipe de France à la victoire en Coupe Davis « La joie précède la victoire. »

Célébrer les victoires

S’attacher à bien manager les équipiers, c’est augmenter leur motivation, leur engagement, leur plaisir à travailler, l’absence de sous-effectif. Pour les clients et les animaux, c’est plus de satisfaction et de fidélisation, un bouche-à-oreille positif, des avis internet positifs, « ce qui va aussi donner une motivation accrue de l’équipe ». Et pour les résultats financiers, « un euro investi dans une équipe en rapporte 4 », estime Pierre Mathevet.

« Célébrez toutes les victoires, toutes les petites choses de bien dans une clinique, les animaux que vous avez sauvés, toutes les petites victoires du quotidien sont importantes ».

Les règles d’or à retenir

• Poser un cadre et des règles du jeu partagées, connues et comprises par tous

• Siffler le hors-jeu pour faire appliquer les règles

• Se dire les choses, faire des feedbacks

• S’attaquer aux désaccords et éviter qu’ils ne dégénèrent pas en conflits

• Faire de votre équipe une priorité

  • * Le 15 juin 2023. Lire aussi le dossier paru dans La Semaine Vétérinaire n°2024 du 08/03/2024. Lien : bitly.ws/3fzpZ