Agroécologie : un repositionnement des connaissances des vétérinaires - La Semaine Vétérinaire n° 2026 du 22/03/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2026 du 22/03/2024

Transition agricole

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Répondre à la crise agricole passe aussi par l’appropriation et la mise en pratique des principes d’agroécologie. Les vétérinaires y ont leur place, et la formation initiale évolue en ce sens. Le point avec Alain Ducos, professeur à l’École nationale vétérinaire de Toulouse. Précurseur, il y a créé un enseignement d’agroécologie dès 2016.

Il y a plus de 10 ans, en 2012, Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, lançait le projet agroécologique pour la France1. En quoi l’agroécologie est-elle un enjeu pour la France ?

L’agroécologie est une réponse à l’évolution des systèmes alimentaires de nos pays industrialisés, qui conduit à une impasse. Je dis systèmes alimentaires et pas simplement systèmes agricoles (ou d’élevage), car il est illusoire de vouloir changer les pratiques agricoles si les autres éléments du système, en particulier la façon dont nous nous alimentons et nous approvisionnons ne change pas. C’est très bien résumé dans le préambule du document stratégique européen Farm to fork2. « Nous devons repenser nos systèmes alimentaires qui sont responsables aujourd’hui de près du tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), consomment de grandes quantités de ressources naturelles, entraînent une perte de biodiversité et des effets négatifs sur la santé (dus à la fois à la sous-alimentation et à la suralimentation) et ne permettent pas d’obtenir des rendements économiques et des moyens de subsistance équitables pour tous les acteurs, en particulier pour les producteurs primaires (agriculteurs). » Tous les éléments de la phrase sont importants et très solidement étayés par une littérature scientifique devenue, au fil du temps, extrêmement conséquente. Faire une transition agroécologique ne repose ni sur un cahier des charges ni sur des recettes toutes faites. Pour mettre en œuvre la transition des systèmes d’élevage, on mobilise 5 grands principes à adapter aux contextes locaux : 1) Réaliser une gestion intégrée de la santé animale ; 2) Potentialiser l’utilisation des ressources naturelles et des coproduits pour diminuer les intrants nécessaires à la production ; 3) Optimiser le fonctionnement métabolique des systèmes (boucler les cycles) et réduire les pollutions ; 4) Gérer la diversité des ressources et la complémentarité des animaux pour renforcer la résilience des systèmes d’élevage ; 5) Adapter les pratiques d’élevage de manière à préserver la biodiversité et à assurer les services écosystémiques associés.

Sur le terrain, cette transition est-elle vraiment amorcée ?

Oui, mais de façon insuffisante, car on fait face à de multiples et puissants freins et verrous. Il y a encore des verrous techniques, agronomiques, avec un manque de connaissances et/ou de technologies disponibles, par exemple pour développer l’agriculture de conservation des sols tout en réduisant l’usage des herbicides. Par ailleurs, aujourd’hui, les politiques publiques n’aident pas beaucoup. On sait qu’une réduction de l’usage de la chimie est associée à une baisse des rendements à court terme. On ne peut donc pas demander aux agriculteurs de produire mieux, en utilisant moins de chimie, sans les aider à le faire par des politiques publiques à la hauteur. On le voit d’ailleurs bien avec la crise actuelle majeure que traverse le secteur de l’agriculture biologique, dont la démarche s’approche de l’agroécologie. Certains groupes puissants trouvent aussi un intérêt dans le statu quo. À ce sujet, notons que les ministres eux-mêmes considèrent que les dispositifs prévus par les lois Égalim3 ne sont pas respectés, et qu’il convient d’y mettre bon ordre. Enfin, des freins sociologiques et psychologiques existent. Comme dans le passé, on peut être tenté par le techno-solutionnisme, qui est une approche réductrice des problèmes à résoudre. Changer les habitudes alimentaires est aussi très difficile. Les consommateurs n’aident pas beaucoup en continuant à plébisciter une alimentation industrielle peu chère, achetée principalement en grandes surfaces, en consommant de plus en plus hors domicile, circuits longs dans lesquels la valeur ajoutée échappe largement aux agriculteurs. Produire une alimentation de qualité se traduit évidemment par des prix de produits plus élevés. Mais avec un coût global pas nécessairement plus important (le système alimentaire actuel génère beaucoup de coûts cachés). Tant qu’on ne l’aura pas admis et compris, on n’avancera pas.

Cette transition implique d’avoir des accompagnants du secteur agricole formés. En ce sens, depuis 2016, vous avez introduit l’agroécologie dans la formation initiale à Toulouse. En quoi consiste cet enseignement, et comment a-t-il évolué ?

Cet enseignement est progressivement monté en puissance. Depuis 3 ans, les étudiants de deuxième année (A2) ont un cours de 10 heures intitulé Transition agroécologique des systèmes alimentaires, qui s’inscrit dans l'unité d’enseignement Élevages, filières, société. Le contenu est en libre accès (voir encadré). En complément de ce cours, je diffuse depuis bientôt 2 ans aux étudiants et collègues intéressés une newsletter mensuelle, pour les aider à poursuivre et consolider leur réflexion (voir encadré). Cette newsletter est une synthèse de ce que j’ai repéré dans la littérature scientifique et dans les médias (journaux, podcasts, etc.) en rapport avec le contenu du cours.

Un rapport du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche donne des clés pour que chaque établissement intègre à sa formation les enjeux de la transition écologique et du développement durable. D’autres évolutions de l’enseignement vétérinaire sont-elles attendues ?

Un groupe de travail composé de formateurs des 4 ENV a été mis en place en 2023. Il doit proposer le cadre d’un module de formation de nos étudiants sur les grands thèmes de la transition écologique, du développement durable et de la responsabilité sociétale et environnementale. Il est animé par Lucile Martin (N 90) (chargée de la coordination des formations pour ENVF). Cela fait effectivement suite à une demande du ministère de l’Enseignement supérieur, relayée par la direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER). Deux réunions sont d’ores et déjà prévues.

Par ailleurs, un projet ambitieux de Campus de l’agroécologie et des transitions4 (CAT) est en construction sur la place toulousaine (impliquant l'Inrae, différents établissements d’enseignement supérieur, le lycée agricole, etc.) en réponse à un appel d’offres de l’Agence nationale de la recherche (ANR) « Compétences et Métiers d’Avenir ». La formation continue des vétérinaires est intégrée à ce projet. La lettre d’intention vient d’être favorablement reçue et le travail de conception fine du projet doit commencer.

Sur le terrain, quelle place auront les vétérinaires dans la transition agroécologique des systèmes alimentaires ?

Les vétérinaires appliquent déjà en partie les principes de l’agroécologie, en lien avec les connaissances acquises durant leur formation. Par exemple, de nombreux éléments de leur formation sont en rapport avec le principe de gestion intégrée de la santé. La formation dispensée par les collègues de l’unité pédagogique d’alimentation / nutrition est au cœur des principes de valorisation des ressources naturelles pour réduire les intrants nécessaires à la production et d’optimisation du fonctionnement métabolique des systèmes, etc. Les connaissances acquises ne seront pas chamboulées, même si elles devraient être mieux coordonnées et complétées pour aller vers une compréhension plus fine des systèmes complexes, intégrant par exemple des éléments sur la biologie des sols. Elles devront être repositionnées dans une logique globale de transformation systémique. Mais les réponses ne seront pas uniquement techniques. L’accompagnement de la transition devra aussi s’appuyer sur des collectifs probablement élargis à d’autres corps de métiers. Dans cette optique, on pourrait habituer nos étudiants dès leurs études à interagir avec des camarades de cursus agronomiques, au travers de modules interdisciplinaires. Sur le terrain, un nouveau modèle d’accompagnement des éleveurs est aussi sans doute à inventer.

Des connaissances en libre accès

- Les supports de cours d’Alain Ducos (agroécologie) sont accessibles via ce lien : bitly.ws/3fJcM

- Les archives des newsletters sont consultables ici : bitly.ws/3fJcY

- Il est aussi possible d’être inscrit à la liste de diffusion de la newsletter. Pour ce faire, il suffit de lui envoyer un mail à l’adresse suivante : alain.ducos@envt.fr">alain.ducos@envt.fr">alain.ducos@envt.fr">alain.ducos@envt.fr