Lutte contre le trafic de chiens : la France en avance sur l’Europe  - La Semaine Vétérinaire n° 2026 du 22/03/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2026 du 22/03/2024

DOSSIER

Auteur(s) : Par Irène Lopez

Considéré comme l’une des activités criminelles les plus lucratives du monde, le trafic illégal de chiens en Europe met en danger la santé et le bien-être des animaux et suscite des inquiétudes en matière de santé publique. La France s’est dotée de structures efficaces pour lutter contre ce fléau.

Il suffit de taper « chiot » dans l’outil de recherche d’un site de petites annonces gratuites pour voir apparaître instantanément 10 291 offres. Sur une page, un chiot chihuahua « unique » à 1 000 € ; sur une autre, un « rare » bull-terrier miniature à 2 300 € ; ou encore un chiot berger australien au prix de 700 € dont il est précisé que la mère a les deux yeux bleus. Les photos sont accompagnées d’un numéro d’identification, de l’acronyme LOF (Livre des Origines Français) tant convoité et de l’information « vacciné : oui ». « Le renseignement des mentions sur les sites Internet ne rend pas pour autant les mentions dignes de confiance », met en garde Carol Loyau, responsable adjointe du pôle investigations de la Société protectrice des animaux (SPA).

44 % des ménages dans l’Union européenne (UE) possèdent un animal de compagnie. La demande annuelle de chiens, rien que dans l’UE, pourrait dépasser 8 millions d’animaux. Même si une partie de cette demande est satisfaite par des éleveurs agréés ainsi que par des importations légales, une autre partie est malheureusement couverte par le commerce illégal. La détention, l’élevage et la vente de chats et de chiens dans l’UE représentent une activité économique majeure et lucrative, dont la valeur annuelle est estimée à 1,3 milliard d’euros. Ce « gâteau » attise des convoitises. À tel point que le trafic d’animaux, de manière générale, est considéré comme l’une des activités illégales les plus rentables du monde après le trafic de drogues, d’armes et de personnes.

Un modus operandi bien ficelé

Un rapport de la Commission européenne paru en décembre 20231 permet de faire le point sur l’action coercitive de l’UE entre 2022 et 2023 et met en lumière plusieurs points.

Les opérations illégales sont souvent déguisées en mouvements non commerciaux (donc moins de 5 animaux transportés à la fois), ce qui permet d’éviter les contrôles aux frontières quand les animaux proviennent de pays hors UE et, donc, d’échapper à la réglementation fiscale et aux contrôles vétérinaires. En outre, les animaux sont souvent accompagnés de faux documents. Leur parfaite réalisation les rend difficiles à détecter. D’autre part, des réseaux organisés vendent un grand nombre d’animaux illégalement, sous couvert de sauvetages. Le modus operandi est connu. Les transports intra UE proviennent de Roumanie, Hongrie et Pologne vers l’Allemagne. Hors UE, les animaux transitent de la Turquie vers les Pays Bas, de la Serbie vers la Slovénie et l’Autriche et de la Russie et de la Biélorussie vers la Pologne et la Lettonie.

L’application de la loi se heurte à plusieurs écueils. En premier lieu, la difficulté à collecter des preuves et identifier les opérateurs. L’absence de base de données commune avec des informations précises et fiables est une autre raison. Tout comme les différences de réglementation sur l’identification et l’enregistrement d’un État membre à l’autre. À cela s’ajoute le manque de moyens alloués aux investigations sur les crimes concernant les animaux. La Commission européenne reconnaît que le trafic continuera tant que perdurera une telle disproportion entre les forts gains générés par le trafic et les faibles sanctions encourues/prononcées. À titre d’exemple, même une amende de 600 000 euros contre un éleveur grec n’a pas affecté la continuité de son commerce…

Des structures pour lutter contre le trafic

La France s’est dotée de plus de moyens efficaces que ses voisins européens. Le fichier national d’identification des carnivores domestiques, géré par la société I-CAD2, est ainsi l’unique document officiel pour le suivi sanitaire et le suivi comportemental effectués par le ministère de l’Agriculture. « C’est une référence internationale. La France se distingue de ses voisins européens. Elle est, en effet, l’un des rares pays qui ait choisi de placer la gestion des identifications d’animaux carnivores domestiques sous la tutelle de son ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, et d’en confier la maîtrise opérationnelle à des professionnels concernés par la protection de l’animal : éleveurs et vétérinaires », argumente Pierre Buisson (L84), président du fichier national I-CAD.

Créé en 2004, l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP) est un service de police judiciaire à compétence nationale. Parmi les entités qui le composent figure la toute jeune Division nationale de lutte contre la maltraitance animale3 (DNLMA), opérationnelle depuis août 2023. Elle comprend des gendarmes, des policiers et une vétérinaire. Laure Paget (N02), conseillère vétérinaire du chef de l’OCLAESP, est un véritable atout pour cette entité. Elle possède à la fois les casquettes d’expert technique, d’enquêteur, de formateur et de conseiller international. Jérôme Nangis, adjudant-chef de gendarmerie, explique : « La mission prioritaire de la DNLMA est de traiter les dossiers de grande complexité ayant une dimension internationale, de criminalité organisée, ainsi que ceux présentant une sensibilité médiatique. » Tout part des signalements effectués, par exemple, par les vétérinaires sur la page d’accueil du site Internet du ministère de l’Intérieur. Une suspicion de maltraitance, un passeport falsifié ou autre cas louche, et les Sherlock Holmes de la division commencent leurs investigations. C’est souvent en tirant sur un simple fil que l’enquêteur réussit à dénouer la pelote d’un trafic et finit par démanteler tout un réseau de commerce illégal.

La DNLMA travaille de concert avec des partenaires tels que les Directions départementales de la protection des populations (DDPP), les associations de protection animale reconnues d’utilité publique ou la Brigade nationale d’enquête vétérinaire et phytosanitaire (BNEVP). Cette dernière lutte contre la délinquance sanitaire organisée et, notamment, contre le commerce illégal des carnivores domestiques. Depuis peu, elle se consacre à une filière criminelle organisée depuis la Pologne. L’affaire permet de rappeler que les trafics de carnivores domestiques peuvent également présenter un risque de santé publique. En effet, quatre jours après être arrivé dans l’Yonne, en Bourgogne, un spitz (acheté 2 000€) est mort en présentant de graves symptômes neurologiques laissant suspecter la rage. Le laboratoire qui a fait l’analyse a heureusement infirmé la présence du virus de la rage, mais l’alerte était très sérieuse. « Pour démanteler ces trafics et éviter les risques d’introduction de maladies graves, nous devons travailler à la fois sur l’amont de la filière et sur l’aval, explique Franck Verger, enquêteur à la BNEVP. Dans le cas présent, concernant l’aval, nous avons tenté de retrouver les 20 autres chiens qui faisaient partie de la cargaison. En ce qui concerne l’amont, nous sommes remontés jusqu’à l’origine du trafic en nous appuyant sur toutes les informations disponibles comme la preuve des virements effectués par la propriétaire. »

Plus récemment, la loi visant à lutter contre la maltraitance animale renforce ces dispositifs. En effet, depuis le 30 novembre 2021, tout chien importé en France doit avoir au moins une dent d’adulte. Elle atteste que le chiot est âgé de 15 à 17 semaines et qu’il a l’âge d’être importé sur le territoire, même si cela ne garantit pas le respect des délais de vaccination, ni l’authenticité du passeport.

Tous ces garde-fous font, qu’entre 2022 et 2023, seuls 254 cas de fraudes et 3 procédures judiciaires ont concerné l’Hexagone : les chiffres les plus faibles enregistrés en Europe.

Un règlement européen attendu pour unifier les données

Un projet de règlement européen est en cours de discussion. Il prévoit notamment qu’avant toute cession d’un chat ou d’un chien, celui-ci soit identifié. L’identification repose sur une puce et un enregistrement effectué par une personne qualifiée dans une base de données agréée et gérée par l’État. L’ambition de ce futur règlement est l’interopérabilité entre les différentes bases de chaque pays. Pierre Buisson conclut : « Si, pour la France, la contrainte sera quasi nulle du fait de l’existence du fichier national d’identification, certains pays vont devoir structurer leurs données. C’est le cas, par exemple, de l’Espagne où de très nombreux fichiers privés coexistent. En Allemagne, certains länder ne pratiquent aucun recueil de données, les bases existantes ne servant parfois qu’à percevoir une taxe. »

Entretien

Jacques Guérin (N88), Président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires

« Plus les vétérinaires assumeront leur devoir d’alerte, moins ils permettront aux trafiquants de prospérer »

Cela commence par les enquêtes de la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP) et de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP). Le Procureur de la République est ensuite saisi et une procédure pénale est menée. L’Ordre est informé lorsque des vétérinaires sont concernés car nous sommes, bien souvent, réquisitionnés en qualité d’autorité compétente. Nous nous portons systématiquement partie civile pour avoir accès au dossier. Lorsqu’un vétérinaire est impliqué, il l’est au titre d’une personne qui intervient en tant que vétérinaire traitant, bien souvent aussi vétérinaire sanitaire. Cela ne préjuge pas de sa culpabilité. S’il a été abusé, il peut d’ailleurs porter plainte.

L’Ordre n’a aucun pouvoir d’enquêter. Tout vétérinaire, y compris conseiller ordinal, ne peut se substituer à la police ou à la gendarmerie. Face à des documents non conformes, le vétérinaire a le devoir de rédiger un rapport à son autorité de tutelle, la direction départementale de la protection des populations (DDPP). C’est à l’administration d’en tirer des conséquences et d’agir. Il peut également s’en ouvrir à l’Ordre. Ces deux démarches sont complémentaires.

Les vétérinaires ont une capacité d’analyse. Je leur demande d’être curieux et de ne pas se contenter de mettre un coup de tampon. Un œil averti détectera de fausses vignettes de vaccins par exemple. Une soixantaine de chiens nés à quelques dates identiques, identifiés et vaccinés le même jour en suivant rigoureusement et systématiquement le schéma type du protocole d’exportation au jour près, alertera le vétérinaire sanitaire. La certification a un sens. Elle est gage de qualité et de confiance. Le vétérinaire a le pouvoir de ne pas certifier. Les vétérinaires ne sont pas là pour donner l’apparence de la légalité à des pratiques qui seraient inacceptables. Plus les vétérinaires assumeront leur devoir d’alerte, moins ils permettront à ces trafiquants de prospérer.

Témoignage

David Quint (T03), praticien en Corrèze

La rage et les problèmes comportementaux sont les plus à craindre

J’ai déjà été confronté à un chien que je soupçonnais de provenir d’un trafic illégal. C’était un jeune chiot de race shiba inu originaire de République tchèque. La date de naissance inscrite dans ses papiers d’identification ne correspondait pas à l’âge du chien que j’auscultais. Il était évident qu’il avait moins de 4 mois. Avec de telles données et vue son origine, il pouvait provenir d’un trafic et n’avait peut-être pas été vacciné contre la rage. J’ai donc usé de pédagogie auprès du propriétaire en lui expliquant le danger auquel il s’exposait en cas de morsure ou de griffure.

Ce que nous ne savons pas dans un tel cas, c’est l’âge auquel le chiot a été retiré à sa mère, et il est à craindre qu’il l’ait été trop jeune, ce qui peut être à l’origine de troubles du comportement. Cela a été le cas de ce shiba inu qui se révélait très peureux et peu sociable, fugueur, et qui ne se laissait attraper par personne. Là encore, il faut prévenir le propriétaire des difficultés que peut représenter un chien doté de tels troubles. J’ai dû déclarer le cas à la DDETSPP* qui a notifié le propriétaire d’une surveillance à la maison durant laquelle il devait rendre compte de tout comportement anormal de l’animal. Une fois tout cela terminé, il a bien sûr fallu refaire un protocole vaccinal complet. 

Témoignage

Déborah Infante-Lavergne (Cordoue 96), cheffe du service régional de l’alimentation à la direction régionale interdépartementale de l’alimentation de l’agriculture et de la forêt (DRIAAF)

La maîtrise du risque rage passe par la protection des frontières

La rage est une maladie systématiquement mortelle dès l’apparition de symptômes. La France en est indemne, mais elle est présente partout dans le monde. Près de 60 000 cas de rage humaine sont recensés chaque année. Le risque majeur en France est l’introduction de carnivores domestiques. Un animal qui rentre en France, quel que soit le pays de provenance, doit être valablement vacciné contre la rage. C’est-à-dire identifié au préalable et âgé de 12 semaines ou 3 mois selon le RCP du vaccin. Cela est vrai pour tous les chiens issus de trafic illégal international comme du « chaton mignon » qu’un voyageur ignorant ramène de ses vacances à l’étranger. Compte tenu du statut indemne de rage de la France, la maîtrise du risque rage est aujourd’hui la protection des frontières. Le rôle du vétérinaire sanitaire est déterminant : c’est lui qui reçoit l’animal en premier, repère ceux entrés en France sans vaccination préalable et déclare cette introduction à la DDPP. Elle décidera, selon une analyse de risque, de la mise sous surveillance à domicile ou en fourrière, voire de l’euthanasie de l’animal.

Depuis 1968, 43 chiens et 3 chats positifs au virus de la rage ont été dénombrés en France. Un cas particulièrement médiatisé est celui d’un chien en provenance du Maroc en 2004, mort de la rage. Son propriétaire l’avait auparavant promené dans tous les festivals du Sud-ouest durant l’été. Il a fallu identifier toutes les personnes qui avaient eu un contact potentiellement contaminant avec le chien. Les moyens déployés ont été à la hauteur du danger : cellule de crise, Numéro Vert, annonces dans la presse… 3 000 visites dans les centres antirabiques et 1 500 traitements post-exposition avaient été nécessaires. 

438 000

C’est le nombre de chiens proposés en ligne en permanence dans l’U.E. (80 000 chats). Le commerce des animaux domestiques s’est digitalisé. C’est le « syndrome Amazon » : « Je veux un berger australien avec des yeux vairons. Je le veux tout de suite et pas cher. »

Source : Illegal trade of cats & dogs EU enforcement action, rapport de la Commission Européenne, décembre 2023

  • 1. Illegal trade of cats & dogs EU enforcement action bitly.ws/3fRJr