E-santé animale
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Par Tanit Halfon
La santé des animaux de compagnie prend une place croissante au Consumer Electronics Show de Las Vegas, le plus grand salon high-tech international1. À l’instar de ce qui se fait en santé humaine, les solutions développées présagent d’une surveillance continue des animaux, ouvrant la voie à de nouvelles relations entre les détenteurs et les vétérinaires. Le point avec Annick Valentin-Smith (A 78), présidente de l’association Vet In Tech, et Grégory Santaner (N 99), consultant en nouvelles technologies à VetoNetwork.
Cela fait maintenant cinq années que vous arpentez les allées du CES de Las Vegas. Le secteur de la e-santé animale a-t-il significativement progressé ?
GRÉGORY SANTANER et ANNICK VALENTIN-SMITH : C’est évident, que ce soit d’un point de vue quantitatif ou qualitatif. En 2024, près de 50 stands étaient dédiés à la santé animale, soit le double de l’édition précédente, avec les Sud-Coréens qui étaient particulièrement représentés. De plus, auparavant, les technologies exposées étaient souvent des initiatives individuelles. Aujourd’hui, on sent qu’il y a davantage d’acteurs qui sont portés par des grandes entités industrielles, comme Samsung pour les Coréens du Sud, ou encore des pays. Certains ont bien compris qu’il y avait un marché pour le petcare. Les technologies sont plus matures. On s’éloigne des concepts et des gadgets pour arriver à des vraies offres de services technologiques personnalisées. Le temps des colliers connectés avec seulement la géolocalisation est derrière nous.
Est-ce que les avancées en intelligence artificielle boostent le développement de ces nouvelles technologies ?
GRÉGORY SANTANER : Il y a désormais une couche d’intelligence artificielle de manière quasi systématique dans les solutions développées. C’est tellement intégré que cela n’est même plus mis en avant par les fabricants. Cette évolution est liée à l’amélioration de la qualité des modèles d’IA, mais aussi à la miniaturisation, que ce soit des calculateurs (microprocesseurs), ou encore des systèmes de batterie. Par exemple, la start-up française Iten a présenté sa microbatterie qui tient sur un ongle ! On va donc pouvoir se retrouver avec des objets d’une taille raisonnable, caractérisés par de très fortes capacités de traitement de données. La miniaturisation est bien illustrée par le dispositif Minitailz d'Invoxia2 qui se fixe sur le collier d’un chien. En un an, ce boîtier a perdu en volume et en poids, le rendant beaucoup plus intéressant à l’achat. À cela s’ajoute une réduction globale des coûts de développement, permettant d’envisager plus facilement le lancement de solutions visant le marché du grand public.
ANNICK VALENTIN-SMITH : Il faut aussi savoir qu’aujourd’hui, une start-up n’a plus besoin de disposer de moyens financiers significatifs pour élaborer des solutions qui s'appuient sur l’IA. Des sociétés spécialisées dans l’hébergement, le traitement et l’analyse des données – la plus connue étant Amazon – proposent désormais de valoriser ces informations. Elles vont concevoir sur demande des solutions d’IA. Certaines solutions sont aussi en libre accès. Le développement d’une IA n’est donc désormais plus ni un frein technique ni un frein financier.
Ces innovations concernent-elles autant les animaux de compagnie que les animaux de rente ? Les détenteurs que les vétérinaires ?
G. S. et A. V.-S. : 80 % des solutions présentées au CES concernaient les animaux de compagnie. Seule une petite dizaine concernait les animaux de rente. Le CES reste centré sur le marché du petcare, qui vise essentiellement le grand public.
G. S. : Pour retrouver les solutions destinées aux vétérinaires, il faut plutôt faire un tour du côté du Veterinary Meeting & Expo (VMX). J’y vais depuis quatre ans maintenant, et je constate que les nouvelles technologies y sont de plus en plus présentes. Elles représentent environ 20 % des stands du congrès ce qui est déjà notable, plus d’une centaine d’exposants.
Est-ce que les technologies développées semblent aller dans le bon sens ? Y a-t-il des manques ?
G. S. : De prime abord, certaines technologies semblent inutiles. Mais à y regarder de plus près, on se rend compte que ces outils pourraient permettre de suivre en permanence l’état global de santé de nos animaux de compagnie. Ils ne permettront pas d'établir, dans un premier temps, un diagnostic, mais de générer des alertes signalant un possible problème de santé, poussant à consulter son vétérinaire. Toutes ces données s’ajouteront à celles collectées lors des visites vétérinaires. C’est un vrai continuum de la santé. Ce genre de suivi est déjà avancé dans le secteur des animaux de rente.
A. V.-S. : Mais d’année en année, on constate un vrai manque d’études qui peuvent apporter des preuves de fiabilité de l’outil développé, en particulier par rapport aux solutions existantes lorsqu’il y en a déjà. La sécurité des données est aussi une question pas encore résolue. Au CES, la question apparaît comme secondaire, et il n’y a aucune communication à ce sujet.
Existe-t-il des freins au développement ?
G. S. et A. V.-S. : La principale limite est encore et toujours l’argent. Il y a aussi un frein réglementaire en Europe par rapport aux autres pays. En santé humaine, c’est un véritable chemin de croix pour développer un dispositif connecté, et certains acteurs investissent d’abord sur le marché de la santé animale, plus facile d’accès car moins réglementé. Les limites sont de moins en moins d’ordre technologique.
Au vu de toutes ces innovations, qu’est-ce qui va changer dans le quotidien des vétérinaires praticiens ?
G. S. : La santé ne sera plus uniquement centrée sur nos établissements de soins. La donnée de santé sera produite partout et en permanence. On pensait Dr Google enquiquinant, mais demain il faudra faire avec les algorithmes qui, eux aussi, donneront un avis souvent pertinent. Ils pourraient s’avérer ultra-performants. Par exemple, aux États-Unis, le collier Whistle qui était sorti en 2015 avait montré dans une étude sa capacité à détecter les prémices d’une crise de prurit chez des chiens atopiques, jusqu’à 17 jours avant une observation clinique. On se dirige vers une médecine prédictive et personnalisée. Et cela risque d’aller très vite. Je pense que d’ici dix ans, ce sera présent dans le quotidien des vétérinaires. Le problème est que pour l’instant, les vétérinaires ne sont pas prêts, ne sont pas formés à ces nouvelles pratiques.
A. V.-S. : C’est en quelque sorte une prise de pouvoir par les détenteurs d’animaux. Ils deviennent acteurs de la santé de leur animal. Les relations avec les vétérinaires vont changer. C’est déjà ce qui se passe chez les éleveurs.
G. S. : Ce pouvoir est aussi partagé avec les entreprises qui développent et commercialisent ces outils. Par exemple, l’entreprise Mars Petcare est en train de capitaliser sur une vision qui fait de la collecte et de l'analyse des données la clé du marché de la santé animale. Ils sont désormais un des acteurs majeurs de ce marché qui nous conduit vers une médecine personnalisée.