Créer un numéro de signalement de maltraitance animale, c’est une première ! - La Semaine Vétérinaire n° 2027 du 29/03/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2027 du 29/03/2024

Protection animale

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Propos recueillis par Marine Neveux

Le Conseil national de la protection animale (CNPA) est à l’origine de plusieurs initiatives, dont l’important projet de ligne téléphonique nationale de signalement de maltraitance animale. Retour sur sa mise en place et son développement à venir avec Loïc Dombreval (A 91), le président du CNPA depuis 2022.

Vous portez le projet d’une ligne téléphonique de signalement de maltraitance animale, est-ce la première fois qu’une telle démarche est effectuée ?

En effet, c’est la première fois qu’une ligne téléphonique nationale de signalement de maltraitance voit le jour avec un numéro court à 4 chiffres à l’image du 3919 – toute proportion gardée avec les femmes – ou le 119 pour les enfants. C’est même inédit au niveau européen à ma connaissance.

Comment s’organisera le fonctionnement de la ligne ?

Nous allons nous appuyer sur des personnes sélectionnées, formées, rémunérées pour que la ligne téléphonique puisse fonctionner efficacement. Nous avons pris la décision d’externaliser le service à une plateforme spécialisée de réponse téléphonique qui dispose de toute la technologie nécessaire. Cela nous permettra aussi d’obtenir des données statistiques. Nous recrutons 3 personnes à temps plein et un superviseur (et 3 remplaçants en cas d’indisponibilités). Cela a bien entendu un coût, la ligne sera ouverte environ 10 heures par jour, 7 jours sur 7 et 365 jours par an.

À terme, prévoyez-vous une ouverture de la ligne 24h/24 ?

C’est l’objectif. Il faut évidemment que l’on ait plus de moyens, plus d’aides, de subventions. Le premier projet est celui d’une ouverture de 9 h 00 à 19 h 00 du lundi au vendredi, de 10 h 00 à 19 h 00 le samedi et de 10 h 00 à 17 h 00 le dimanche et les jours fériés.

À quel volume d’appels vous attendez-vous ?

Il est impossible d’anticiper avec précision le nombre d’appels qui peut être très supérieur à celui pressenti. C’est un nouveau service et nous sommes partis sur une hypothèse de 30 000 appels de 5 minutes par an, soit 80 par jour. Certains seront plus courts, d’autres inévitablement un peu plus longs. Une procédure avec une grille de réponses sera mise en place pour estimer le suivi à donner à chaque cas : signalement aux forces de l’ordre, aux associations de protection animale, enquête, pédagogie ou non-suite si ce n’est pas une suspicion pertinente, etc. En outre, la ligne téléphonique passera en revue dès le matin à 9 h 00 les éventuels signalements qui nous auront été déposés en ligne entre 19 h 00 et 9 h 00 du matin. Il y aura une possibilité de transmettre des pièces jointes pour preuves, photos, vidéos, etc.

Quelle suite donnerez-vous ?

C’est une ligne téléphonique de régulation, de filtre. Nous n’avons pas pour vocation d’enquêter ou de soustraire les animaux, de les placer en famille d’accueil ou en refuge. Notre objectif est de faciliter la vie des personnes qui ne savent pas, aujourd’hui, comment faire pour signaler une maltraitance… Et ils sont très nombreux.

Peut-on envisager, à terme, de croiser les données de la ligne avec celles consacrées à la maltraitance humaine ?

En effet, le lien entre les violences faites aux femmes ou aux enfants et les violences faites aux animaux est aujourd’hui avéré. Étayer le lien entre les maltraitances animale et humaine est un élément extrêmement important qui renforce encore le caractère d’intérêt général et d’intérêt public de cette ligne. Il est à craindre des appels téléphoniques et des signalements qui nous feront penser que la violence animale s’étend au cadre intrafamilial et que le signalement devra se faire non seulement vis-à-vis de la protection de l’animal mais également vis-à-vis de la protection de la femme, de l’enfant, de la personne maltraitée.

Quel est le coût d’une telle ligne ?

Le seul coût annuel de réservation d’un numéro de téléphone à 4 chiffres s’élève à 40 000 € ! C’est sans compter le coût des personnes qui l’animeront, la nécessaire communication sur les réseaux sociaux, dans les médias, etc. Tout compris, le budget annuel est d’environ 300 000 €, ce qui est un minimum et une broutille au regard du budget de l’État. J’ai rencontré à plusieurs reprises les cabinets de Marc Fesneau [ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, NDLR] et de Gérald Darmanin [ministre de l’Intérieur, NDLR] pour solliciter leur soutien sur ce projet. Je n’ai reçu aucune réponse. C’est assez décevant.

Quand sera-t-il lancé ?

En juin prochain. Aujourd’hui, des partenaires privés nous soutiennent. La période avant les vacances d’été est pertinente pour sensibiliser le public sur les questions de maltraitance et en particulier d’abandon.

Vous êtes aussi à l’origine d’avancées législatives en termes de protection animale ?

La loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale a ouvert au vétérinaire la possibilité de signaler une suspicion de maltraitance en levant le secret professionnel. C’est une des avancées intéressantes de cette loi.

Qu’attendez-vous de cette profession vétérinaire ?

Toutes les organisations professionnelles vétérinaires soutiennent le projet de ligne téléphonique. Je suis vraiment, vraiment fier de ce soutien et heureux que la profession ait répondu unanimement. Nous pourrons adosser à ce projet le logo de la profession vétérinaire sur l’ensemble des documents et de la communication. La protection animale est dans l’ADN vétérinaire. De Fernand Mery, véritable pionnier, à Jean-Pierre Kieffer, le CNPA a un fort historique de présidence vétérinaire. Son siège social est d’ailleurs situé à la Maison des vétérinaires, place Léon Blum, à Paris. Dans le bureau du CNPA, nous comptons des vétérinaires engagés comme Lorenza Richard (L 96), Brigitte Leblanc (N 88) et Julie Renoux (T 06). J’espère que beaucoup d’autres nous rejoindront car au-delà du soutien de la profession et des organisations représentatives, les vétérinaires peuvent être des ambassadeurs du CNPA dans les départements français. Toutes les candidatures seront reçues positivement pour devenir nos relais locaux, pour tisser et entretenir des liens avec les forces de sécurité intérieure, avec les pompiers, avec les municipalités, avec les directions départementales de la protection des populations (DDPP), etc. Si on arrive à disposer d’une cartographie de la maltraitance sur le terrain, cela permettra de faire bouger les lignes au niveau national. Les données objectives sur la maltraitance animale sont trop peu nombreuses, non vérifiées et il est donc très difficile d’avoir en réponse des politiques publiques adaptées. Les vétérinaires sont essentiels dans la chaîne de la maltraitance animale, du signalement aux soins, en passant par les enquêtes. Ils ne sont pas assez sollicités alors qu’ils peuvent avoir un rôle extrêmement important pour accompagner les services de l’État dans le cadre des procédures de maltraitance.