L’addiction au travail - La Semaine Vétérinaire n° 2027 du 29/03/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2027 du 29/03/2024

Santé mentale 

ENTREPRISE

Auteur(s) : Par Marie-Alice Paragon

Le workaholisme touche fortement la profession, comme l’a pointé l’enquête sur la santé psychologique des vétérinaires en France*, menée à l’initiative de l’Ordre et de l’association Vétos-Entraide par l’équipe de Didier Truchot. Un penchant qui peut avoir des conséquences graves sur la santé mentale et physique. Décryptage.

Le workaholisme, ou addiction au travail, se réfère à une dépendance compulsive et excessive au travail, caractérisée par une préoccupation obsessionnelle pour son emploi, une incapacité à s’en détacher et une tendance à lui consacrer un temps disproportionné au détriment d’autres aspects de la vie. C’est un phénomène préoccupant dans nos sociétés occidentales, puisqu’il affecte de nombreux professionnels, y compris les vétérinaires. Cette dépendance excessive au travail peut avoir des conséquences graves sur la santé physique, mentale et émotionnelle des vétérinaires, ainsi que sur la qualité des soins prodigués aux animaux.

Un contexte spécifique

Un contexte spécifique à la profession peut permettre de comprendre les raisons pour lesquelles de plus en plus de vétérinaires sont concernés par ce phénomène.

- Ils sont confrontés à une charge de travail très élevée, avec des journées surchargées et des horaires imprévisibles. Les consultations, les urgences, les chirurgies et les visites à domicile s’accumulent, créant un environnement de travail stressant et exigeant.

- Des décisions rapides et cruciales doivent être prises pour assurer le bien-être des animaux. Cela peut inclure des diagnostics complexes, des traitements d’urgence et des euthanasies, ce qui ajoute une pression supplémentaire.

- Ils portent une grande responsabilité envers les animaux, leurs clients et la communauté. Ils doivent respecter des normes élevées en matière de soins, tout en jonglant avec des demandes concurrentes et parfois contradictoires des propriétaires et d’autres parties prenantes.

- Le travail peut être psychologiquement éprouvant, surtout lorsqu’il implique des situations de souffrance animale, des décisions difficiles et la perte d’animaux. Les vétérinaires doivent gérer leur propre charge émotionnelle tout en apportant un soutien à leurs clients.

- Manipuler des animaux malades ou stressés comporte un risque de blessures.

- Ils ressentent souvent une pression financière pour maintenir la rentabilité de leur structure. Cela peut entraîner des compromis dans la qualité des soins ou des arbitrages difficiles concernant la tarification des services, ce qui est rarement un sujet simple à aborder pour la majorité d’entre eux.

- La gestion du personnel se complique du fait de l’augmentation générale de la taille des structures. Gestion des plannings, congés payés, arrêts de travail s’ajoutent à une comptabilité et une logistique déjà complexes.

- La gestion des conflits, que ce soit en interne ou avec des clients, demande aussi une énergie considérable aux praticiens, en sus de la tension que cela entraîne.

- Ils sont par ailleurs confrontés à un phénomène croissant : les sollicitations incessantes de proches ou de moins proches pour des conseils ou des soins pour leurs animaux de compagnie. Cette pression, amplifiée par les réseaux sociaux, peut générer du stress, du mal-être, voire de la gêne, en particulier chez les jeunes praticiens.

Tous ces facteurs forment ainsi un terreau fertile pour développer cette dévotion quasi obsessionnelle au travail.

Le risque d’épuisement professionnel

Mais la combinaison de ces défis et pressions peut aussi évoluer vers un épuisement professionnel, également connu sous le nom de burn-out. Les praticiens ressentent alors un épuisement à la fois physique et psychique, une profonde détresse, un sentiment de solitude exacerbé, une grande démotivation et un sentiment de diminution de l’accomplissement professionnel, mettant en péril leur bien-être global et leur capacité à exercer efficacement.

D’autres incidences négatives sur la santé sont constatées. La surcharge de travail et le stress chronique associés contribuent au développement de troubles de santé tels que l’hypertension, le sommeil altéré, l’anxiété, la dépression, voire le suicide – dont la profession est malheureusement une bonne représentante. Ces troubles affectent non seulement le bien-être des praticiens, mais parfois leur pratique, en compromettant la qualité des soins ou en détériorant les relations avec les clients.

En outre, apparaissent de plus en plus de répercussions sur la vie personnelle. L’addiction au travail peut entraîner des conflits familiaux, des difficultés relationnelles et un sentiment de culpabilité pour ne pas consacrer suffisamment de temps à des activités extraprofessionnelles.

Il est crucial de sensibiliser les vétérinaires à ce risque car ils sont nombreux à vivre dans le déni ou, du moins, à minimiser la réalité. De plus, il faut leur fournir des ressources et un soutien adéquats pour prévenir et gérer ce problème.

Plusieurs axes de réflexion à mener

Promouvoir l’équilibre travail-vie personnelle : Encourager les vétérinaires à établir des limites claires entre leur travail et leur vie personnelle en favorisant des horaires de travail réguliers et en les incitant à la prise de congés réguliers pour se reposer et se ressourcer. Ils doivent également apprendre à dire non lorsque les portes de la clinique sont fermées et qu’ils ne sont pas de garde.

Favoriser une culture de soutien et de communication ouverte : Créer un environnement de travail où les vétérinaires se sentent à l’aise pour exprimer leurs préoccupations, leurs difficultés et leurs besoins en matière de santé mentale. Mettre en place des programmes de soutien par les pairs, des sessions de groupe de discussion et un accès à des ressources professionnelles tels un soutien thérapeutique ou un accompagnement de coaching.

Promouvoir des pratiques de gestion du stress et de l’équilibre émotionnel : Offrir des opportunités de formations et des ateliers sur la gestion du stress, du temps, la résilience émotionnelle, la communication efficace et les techniques de relaxation peuvent être des pistes à explorer.

Inciter à la prise de conscience de soi et l’auto-soin : Les sensibiliser à l’importance de l’auto-soin et de la reconnaissance des signes précoces de stress et d’épuisement professionnel. Encourager la pratique régulière d’activités bénéfiques pour la santé mentale telles que l’exercice physique, la méditation et la socialisation en dehors du travail.

Promouvoir la formation continue et le développement professionnel : Leur proposer de poursuivre leur formation et leur développement professionnel pour rester compétents et motivés.

Soutenir la recherche et la sensibilisation : Investir dans la recherche sur les causes et les impacts de l’addiction au travail afin de mieux comprendre le problème et de développer des interventions efficaces pour sa prévention et sa gestion. Sensibiliser les vétérinaires, les employeurs et les institutions professionnelles à l’importance de reconnaître et de traiter le workaholisme comme un problème de santé publique sérieux.

En mettant en œuvre ces mesures, il est tout à fait possible de créer un environnement de travail plus sain et plus durable, favorisant le bien-être et l’équilibre des vétérinaires tout en fournissant des soins et des services de qualité. Une chance de réconcilier les vétérinaires avec leur métier qui, bien qu’intense et parfois contraignant, peut s’exercer avec plaisir.

  • * shorturl.at/bfHNO