Le secteur vétérinaire britannique au cœur d’une enquête de l’Autorité de la concurrence et des marchés - La Semaine Vétérinaire n° 2027 du 29/03/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2027 du 29/03/2024

Royaume Uni

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Par Bénédicte Iturria

Le 12 mars, l’Autorité britannique de la concurrence et des marchés (CMA) a proposé d’ouvrir une enquête sur le marché vétérinaire, évalué à 2 milliards de livres sterling. Cette décision fait suite à un premier examen qui a mis en évidence plusieurs problèmes, notamment une hausse des coûts vétérinaires supérieure à l’inflation. En cause, la consolidation du secteur, c’est-à-dire sa structuration autour de grands groupes d’entreprises. Explications.

L’Autorité de la concurrence et des marchés (The Competition and Markets Authority, CMA), qui avait déjà réagi à plusieurs acquisitions de cabinets par de grands groupes vétérinaires, avait en effet annoncé le 7 septembre 2023 un examen de l’ensemble du marché des services vétérinaires. Elle souhaitait, en sollicitant l’opinion des professionnels et des propriétaires de cliniques, examiner les pratiques commerciales en matière de fourniture de services ainsi que les expériences des détenteurs d’animaux qui pourraient selon elle « ne pas bénéficier de tarifs avantageux ». Dans son communiqué de presse, la CMA évoquait « les chiffres qui suggèrent que le coût des services vétérinaires a augmenté plus rapidement que le taux de l’inflation ». Elle suggérait également que les propriétaires « peuvent avoir du mal à accéder aux informations nécessaires sur les prix et les options de traitement afin de bien choisir un vétérinaire et les services pour lesquels opter ». La CMA avait aussi souligné « l’évolution des structures vétérinaires au cours de la dernière décennie : le nombre de cabinets indépendants a diminué de moitié en huit ans – passant de 89 % en 2013 à 45 % en 2021. Dans certains cas, une seule entreprise peut posséder des centaines de cabinets, et il peut être difficile pour les clients de savoir si leur vétérinaire fait partie d’un grand groupe ». La CMA ajoutait : « Les gens peuvent également ignorer si leur vétérinaire fait partie d’un groupe qui possède d’autres cabinets dans leur région ou si les services qui leur sont vendus (tels que des tests de diagnostic ou des traitements dans un hôpital vétérinaire spécialisé) sont fournis par ce groupe. Cela pourrait avoir une incidence sur les choix des propriétaires d’animaux et réduire les incitations des cabinets vétérinaires locaux à rivaliser [...] Prendre soin d’un animal malade peut créer une réelle pression financière, en plus d’autres problèmes liés au coût de la vie. Il est très important que les gens obtiennent des informations et des prix clairs pour les aider à faire les bons choix ».

5 préoccupations majeures

Le 12 mars, la CMA a déclaré avoir reçu une réaction « sans précédent » à cet examen avec plus de 56 000 réponses. Si la plupart des contributions proviennent du grand public, environ 11 000 émanent de professionnels du secteur. L’étude publiée le même jour a identifié 5 préoccupations principales concernant la forme actuelle des prestations vétérinaires :

– Les consommateurs ne recevraient pas suffisamment d’informations pour leur permettre de choisir la meilleure clinique vétérinaire ou le meilleur traitement adapté à leurs besoins ;

– La concentration des marchés locaux, en partie due à la consolidation du secteur, pourrait entraîner une faible concurrence dans certains domaines ;

– Les grands groupes peuvent être incités à agir de manière à réduire le choix et à affaiblir la concurrence ;

– Les propriétaires d’animaux pourraient payer trop cher leurs médicaments ou leurs prescriptions ;

– Le cadre réglementaire est obsolète et pourrait ne plus être adapté à son objectif.

Une consultation en cours

La CMA entame un processus de consultation. Il se déroulera jusqu’au 11 avril pour permettre aux groupes du secteur de s’exprimer sur cette enquête qui est actuellement décrite comme une décision provisoire : Sarah Cardell, directrice générale de la CMA, a déclaré : « Nous avons lancé notre étude du secteur vétérinaire en septembre dernier, car il s’agit d’un marché critique pour les 16 millions de propriétaires d’animaux de compagnie du Royaume-Uni. La réponse sans précédent que nous avons reçue du public et des professionnels vétérinaires montre que cette question sensible soulève des réactions fortes et que nous avons eu raison de nous pencher sur ce sujet. Nous avons entendu les inquiétudes des personnes qui travaillent dans le secteur concernant les pressions auxquelles ils sont confrontés, notamment une grave pénurie de personnel, et l’impact que cela a sur les professionnels indépendants. Mais notre examen a identifié de multiples préoccupations concernant le marché qui, à notre avis, devraient faire l’objet d’une enquête plus approfondie. Compte tenu de ces signes importants d’inquiétude, il est temps de donner une base formelle à notre travail. Nous avons provisoirement décidé de lancer une enquête de marché, car c’est la voie la plus rapide pour nous permettre d’agir directement, si nécessaire. »

Des réactions contrastées

Les principaux organismes et entreprises du secteur vétérinaire ont immédiatement réagi à cette annonce. La présidente de la British Veterinary Association (BVA), Anna Judson, a déclaré : « Le secteur vétérinaire a considérablement changé ces dernières années et l’enquête proposée par l’Autorité de la concurrence et des marchés offre une opportunité précieuse de réfléchir à la manière dont les équipes et les cabinets vétérinaires peuvent continuer à fournir aux clients le meilleur service possible. » Elle a précisé que l’association avait déjà pris des mesures pour encourager les praticiens à être plus transparents sur les questions de tarification et de propriété de la structure vétérinaire. Le Royal College of Veterinary Surgeons (RCVS), l’équivalent britannique de l’Ordre, a révélé que son comité des normes sera invité à uniformiser ses orientations actuelles concernant les options d’approvisionnement en médicaments et les informations sur les prix, conformément selon lui aux recommandations de la CMA. Le RCVS a par ailleurs salué « la recommandation de l’autorité de moderniser notre cadre réglementaire par le biais d’une nouvelle législation, que nous demandons au gouvernement depuis [plus de] 20 ans ».

De nombreuses grandes entreprises vétérinaires sont restées prudentes, s’engageant à continuer de travailler avec les autorités tout au long du processus. Mais l’une d’elles, le groupe CVS, a révélé qu’elle faisait partie d’un groupe d’entreprises qui cherchaient à proposer des solutions qui, selon elles, répondraient aux préoccupations de l’autorité plus rapidement qu’une enquête, qui pourrait durer jusqu’à 18 mois. Une autre, Pets At Home, s’est dite « incroyablement déçue que les conclusions de la CMA aujourd’hui ne reflètent pas pleinement notre modèle commercial unique de cabinets vétérinaires locaux ». Dans un communiqué, elle a ajouté : « Bien que notre marque soit nationale, nos cabinets vétérinaires sont dirigés par des vétérinaires entrepreneurs individuels qui jouissent d’une liberté clinique et opérationnelle. » D’une manière générale, les équipes sur le terrain craignent de subir le poids du processus si l’enquête s’éternise. Anna Judson a signalé que les équipes vétérinaires avaient déjà été confrontées à « des comportements vraiment désagréables, souvent abusifs » après le lancement de l’étude, tandis que son homologue du British Veterinary Nursing Association (BVNA), Lyndsay Hughes, a critiqué ce qu’elle a décrit comme une « couverture médiatique inutile », qui a conduit à des « circonstances exceptionnellement difficiles » pour le personnel. Parallèlement le groupe VetPartners a déclaré : « Nous sommes préoccupés par l’impact continu d’une étude prolongée en raison du stress supplémentaire que cela provoque pour les membres de notre équipe ».