Symposium
PHARMACIE
Auteur(s) : Par Amandine Violé
Le laboratoire Zoetis s’impose comme un pionnier en matière de technologie des anticorps monoclonaux. La mise sur le marché du lokivetmab (Cytopoint), du bedinvetmab (Librela) et du frunévetmab (Solensia) a notamment ouvert de nouvelles perspectives dans la prise en charge de la dermatite atopique canine et de l’arthrose canine/féline.
Dans le domaine de la biopharmaceutique, la technologie des anticorps monoclaux (mAb) constitue une innovation prometteuse. Fruits de plus de 25 ans de recherche en médecine humaine, ils n’ont investi que récemment le paysage des thérapeutiques vétérinaires. Afin de promouvoir ces thérapies novatrices s’est tenu, le 1er mars dernier, le symposium Zoetis InnoVetmAb organisé au pied de la tour Eiffel, symbole de la révolution industrielle d’antan. Entre conférences techniques et tables rondes d’experts, 120 vétérinaires se sont retrouvés pour cette journée, consacrée à la place des mAb en santé animale. Un rendez-vous scientifique riche en partage de connaissances, mené par Antoine Fordin (T 15), directeur médical de Zoetis France.
Des thérapies ciblées à l’innocuité prouvée
Si les mAb offrent des options thérapeutiques séduisantes, c’est en partie grâce à leur efficacité et leur tolérance avérées. Des caractéristiques uniques sur lesquelles Lisa Bergeron et Scott Knauer, directeurs de recherche aux États Unis pour Zoetis, sont revenus en ouverture du symposium.
Produites par une même lignée de lymphocytes B activés et reconnaissant avec une forte affinité un épitope précis d’antigène, ces immunoglobulines constituent des thérapies extrêmement ciblées. Cette capacité à se lier spécifiquement à leur cible explique leur grande efficacité. Leur dégradation par les voies physiologiques de la protéolyse n’impliquant pas le système hépatorénal leur assure une tolérance optimale, notamment chez des animaux à risque. Recyclés et protégés d’une élimination précoce par un récepteur spécifique conformationnel, le FcRn, les mAb bénéficient d’une longue demi-vie et, donc, d’une durée d’action prolongée. En pratique, leur administration mensuelle facilite l’observance pour le propriétaire.
Historiquement, les mAb utilisés en médecine vétérinaire ont été obtenus à partir d’anticorps murins soumis par la suite à un processus dit de “caninisation” ou de “félinisation”. Ce procédé contribue à diminuer leur potentiel immunogène, améliorant ainsi leur tolérance pour l’espèce visée. Les progrès des techniques de génie génétique permettent actuellement d’obtenir des mAb spécifiques à une espèce.
Lokivetmab, premier mAb chez Zoetis.
Le lokivetmab (Cytopoint) a été le premier mAb disponible en médecine vétérinaire et ce, pour la prise en charge de l’atopie canine. Il est venu compléter l’arrivée, non moins récente, sur le marché de l’oclatinib (Apoquel, Zoetis).
L’activité du lokivetmab résulte de son action anti-IL31, impliquée dans la physiopathologie de la dermatite atopique canine. L’IL31 est une cytokine neuro-immune, dont la fixation à son récepteur conduit à l’activation des terminaisons nerveuses cutanées à l’origine du prurit.
L’analyse de cas cliniques a été l’occasion pour trois spécialistes ainsi qu’une vétérinaire praticienne d’apporter leur expertise sur le sujet. Ces derniers insistent, unanimes, sur l’importance d’une démarche diagnostique approfondie face à l’animal présentant une maladie de peau prurigineuse. Cette démarche doit se fonder sur la réalisation systématique d’examens complémentaires tels que : raclage cutané, auriculaire, cytologie cutanée (calque ou écouvillon), peignage. Ces analyses permettent en premier lieu d’exclure d’autres dermatoses prurigineuses, condition sine qua non au diagnostic d’atopie canine, mais également de rechercher toute complication infectieuse (bactérienne, fongique), impliquée dans l’évolution de la maladie.
Tous les spécialistes réunis valident l’utilité, l’efficacité ainsi que l’innocuité du lokivetmab en pratique. Son action intervient dès 8 heures suivant son injection et jusqu’à 28 jours après son administration1. Ces derniers attestent de l’intérêt d’une utilisation combinée du lokivetmab et de l’oclatinib lors de poussées aiguës, ce dernier apportant un soulagement plus rapide pour le patient, d’1 à 3 heures après sa prise. Alors que l’oclatinib ne dispose pas d’AMM pour les chiens de moins de 12 mois, le lokivetmab peut être utilisé sécuritairement chez de jeunes patients, parfois diagnostiqués dès l’âge de 6 mois. Excepté des réactions au site d’injection, les effets secondaires rapportés s’avèrent rares et sans gravité. Les données de sécurité ne pointent aucune immunogénicité de la molécule.2
Utilisé précocement, le lokivetmab assure ainsi une stabilisation anticipée et au long terme de la maladie, sous réserve du respect de sa fréquence mensuelle d’administration. À son initiation, trois injections peuvent être nécessaires avant d’obtenir une réponse satisfaisante. D’expérience, les spécialistes ne rapportent qu’un très faible nombre d’échappements thérapeutiques. Les cas cités présentaient tous une complication infectieuse annexe non traitée (le plus souvent une pyodermite superficielle à Staphylococcus pseudintermedius).
Bedinvetmab et frunévetmab, solutions anti NGF à l’arthrose canine et féline
Alors que l’arthrose constitue la première cause d’incapacité fonctionnelle en France, peu de solutions thérapeutiques s’offrent à ce jour aux 10 millions de patients invalidés. Bien qu’attrayante, la thérapie des mAb n’a pas su passer le cap des nombreux essais cliniques commencés. En cause, le développement de cas d’arthrose destructrice rapidement progressive, non décrits en médecine vétérinaire. Le bedinvetmab (Librela) ainsi que le frunévetmab (Solensia) sont ainsi apparus chez le chien et le chat alors même que leur homologation se révèle infructueuse en médecine humaine.
Le bedinvetmab et le frunévetmab agissent comme antagonistes d’un acteur majeur dans la physiopathologie de la douleur arthrosique : le NGF (nerve growth factor), facteur pro-inflammatoire et pro-nociceptif dont ils bloquent la liaison avec son récepteur TrKa. Par ce biais, ils concourent à neutraliser les voies de sensibilisation centrale et périphérique, induites par l’action du NGF.
Les experts en orthopédie et algologie présents au symposium InnoVetmAb, bien que séduits par l’intérêt clinique de ces molécules, rappellent toutefois que l’arthrose doit être appréhendée comme une maladie pluritissulaire à l’évolution irrégulière. Des causes primaires (rupture ligamentaire, dysplasie, atteinte traumatique, etc.) sont à rechercher en premier lieu. Différentes douleurs ont été décrites (nociceptive, nociplastique, neuropathique) et imposent une approche pluridisciplinaire et individualisée. Tous s’accordent à dire que la mise en place de mesures non pharmacologiques (contrôle du poids, adaptations environnementales, maintien d’une activité physique à faible impact, ostéopathie, physiothérapie, etc.) s’avère essentielle, au même titre que toute autre médication.
Peu d’effets indésirables du bedinvetmab et du frunévetmab ont été jusqu’alors rapportés (douleur au site d’injection, vomissements, léthargie, anorexie, etc.). L’innocuité de l’association du bedinvetmab avec le carprofène a été démontrée sur une période de 14 jours chez de jeunes chiens sans arthrose3. En raison de la tolérance optimale des mAb, les experts pointent l’intérêt d’envisager leur usage chez des animaux âgés multimorbides. L’innocuité et l’efficacité du frunévetmab n’ont toutefois pas été étudiées chez les chats atteints d’une maladie rénale chronique de stade IRIS (International Renal Interest Society) 3 et 4.
En tant que maladies chroniques, l’arthrose comme la dermatite atopique requièrent une prise en charge au long terme associée à la gestion de crises aiguës. Les mAb s’inscrivent dans l’arsenal thérapeutique ayant permis d’améliorer nettement la maîtrise de ces affections. Face à des animaux à risque, ces molécules présentent un profil d’innocuité sécurisant pour le propriétaire comme pour le vétérinaire. De plus amples études de terrain semblent toutefois nécessaires afin d’évaluer leur utilisation dans un contexte de comorbidités fréquentes.
Ces molécules doivent intervenir dans le cadre d’une prise en charge plurimodale impliquant d’autres moyens pharmacologiques et non pharmacologiques. L’obtention de résultats optimaux implique une observance mensuelle rigoureuse et présuppose, au vu des suivis répétés et de l’implication financière qui en découlent, l’instauration d’un pacte thérapeutique fort avec le propriétaire. Cette donnée conditionne la réussite du projet bipartite instauré. Quoi qu’il en soit, les mAb semblent pouvoir répondre à de nombreux défis thérapeutiques.