DOSSIER
Auteur(s) : Par Jean-Paul Delhom
Les vétérinaires ont un rôle central de santé publique et leur expertise est précieuse dans le cadre d’une approche Une Seule Santé. Garants de la santé animale, ils sont aussi de pertinentes sentinelles pour les maladies réglementées. Chez les carnivores domestiques, elles possèdent des spécificités. Décryptage.
Une formation sur les maladies réglementées des carnivores domestiques s’est tenue le 23 novembre 2023 à la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) du Val-de-Marne. Elle était coanimée par Jean-François Rousselot (A 77), président de l’Afvac, et Alain Guignard (T 80). Le premier abordait la description des maladies, le second les implications de la déclaration obligatoire. Leur objectif était de préciser les rôles et les missions des vétérinaires sanitaires1 canins dans ce domaine.
Des maladies catégorisées
La nouvelle classification de la loi de santé animale (LSA), qui s’applique à tous les États membres de l’Union européenne (UE), est entrée en vigueur le 21 avril 2021, mettant fin aux dangers sanitaires de première, deuxième et troisième catégories. Les 63 maladies animales transmissibles à déclaration obligatoire sont réparties en 5 nouvelles catégories qui reposent sur des systèmes de gestion nouveaux (plus stricts ou allégés). (voir encadré)
En France, les maladies des carnivores domestiques à déclaration obligatoire à la DDPP sont la rage (de catégories BDE), l’échinococcose (CDE) pour les canidés infestés avec Echinococcus multilocularis, la tuberculose (E) pour 3 mycobactéries (M. tuberculosis, bovis, caprae).
La rage, fléau mondial
Dans le monde, on estime à 59 000 le nombre de cas humains touchés par la rage par an. 40 % sont des enfants de moins de 15 ans. En France, les carnivores domestiques contaminés proviennent principalement du Maroc lors d’importation illégale. Depuis 1968, 44 chiens positifs importés ou contaminés ont été détectés dans l’Hexagone. C’est aussi le cas de 3 chats signalés en 2003, 2007 et 2020. Les chauves-souris sont considérées comme réservoirs de nombreux virus, dont un lyssavirus différent de la rage canine. Le risque est peu élevé pour l’humain (4 personnes décédées en Europe de 1977 à 2002, 1 décès à Limoges en 2019). Il convient cependant de ne jamais manipuler une chauve-souris vivante ou morte sans gants. En cas de morsure, avant de faire appel à un médecin, il faut bien laver la plaie avec de l’eau et du savon mais pas d’alcool. La France étant un pays indemne de rage vulpine et canine depuis 2008, elle préserve son statut sanitaire par des mesures aux frontières, une gestion des suspicions de rage sur son territoire et un protocole de suivi des animaux mordeurs, suspects ou introduits illégalement.
Le rôle central du vétérinaire dans la gestion du risque rabique
Le rôle du vétérinaire sanitaire est central dans le cadre de cette protection. Il a aussi pour mission de renseigner au préalable les voyageurs sur le risque de rage dans le pays de destination et de transmettre les recommandations associées.
La pathogénie de la rage est particulière. Il n’y a pas de porteurs sains. La durée d’incubation est longue (de 11 jours à plusieurs mois). L’excrétion salivaire du virus apparaît dans les 15 jours précédents les symptômes. Elle explique les délais à respecter pour la surveillance des animaux griffeurs ou mordeurs. Le détenteur de l’animal a l’obligation de faire examiner son chien ou son chat par un vétérinaire 3 fois dans les 15 jours qui suivent la morsure ou la griffure, même si l’animal est vacciné. La déclaration d’une morsure sur le site de l’Icad facilite cette démarche. Cette surveillance sanitaire peut être demandée par la personne mordue, les médecins ou les forces de l’ordre. Pendant la surveillance sanitaire, il est interdit de vacciner ou d’euthanasier l’animal. En cas de non-présentation, le vétérinaire doit en informer la DDPP. L’assurance responsabilité civile est susceptible de prendre en charge les frais des visites et les dommages provoqués. Le propriétaire d’un chien ayant mordu un humain a aussi l’obligation de soumettre son chien à une évaluation comportementale pendant le délai de surveillance sanitaire vétérinaire.
Pour le praticien, tout animal présentant une encéphalite inexpliquée ne rétrocédant pas, un changement de comportement (mordeur), importé, un statut vaccinal douteux, décédant rapidement doit entraîner une déclaration à la DDPP.
Vaccination et traçabilité sont essentielles
La vaccination assure une excellente protection contre la rage. Le protocole avant exposition concerne les animaux identifiés âgés d’au moins 12 semaines (ou 3 mois selon le vaccin). Il convient de vérifier que l’animal n’est pas sous surveillance sanitaire en consultant le fichier Icad et de prêter attention à son passeport (origine, déplacements, etc.). La vaccination ne peut être pratiquée que par un vétérinaire sanitaire. La validité du vaccin est obtenue 21 jours après la primo-vaccination (4 semaines pour Purevax Rabies Chat). Les rappels se font dans les délais recommandés par le fabricant. Si le calendrier vaccinal n’est pas respecté, la revaccination est considérée comme primo-vaccination.
Les règles de circulation des carnivores dans l’UE exigent un passeport et une vaccination en cours de validité (vermifugation contre l’échinococcose pour certains pays). L’introduction en provenance d’un pays tiers nécessite un animal identifié, des vaccins en cours de validité, un titrage sérologique (sauf pour les pays tiers où la rage est maîtrisée). Les formalités administratives officielles doivent être vérifiées avant le départ auprès de l’ambassade, du consulat ou sur le site anivetvoyage.com. La démarche obligatoire prend entre 1 et 4 mois en fonction du pays de destination.
Les règles de circulation des carnivores hors UE diffèrent. Le titrage antirabique, exigé pour se rendre dans certains pays, et surtout pour revenir en Union européenne, est effectué sur un échantillon de sang prélevé par le vétérinaire sanitaire de l’animal (chien, chat ou furet), au moins 30 jours après la vaccination et au moins 3 mois avant l’importation. Le délai de 3 mois ne s’applique pas en cas de réintroduction d’un animal de compagnie, si le titrage avait été réalisé avec un résultat favorable avant d’avoir quitté l’UE. L’analyse est confiée à un laboratoire agréé. Le taux doit être égal ou supérieur à 0,5 UI/ml.
Lorsqu’un cas de rage est détecté, les animaux contaminés non valablement vaccinés seront euthanasiés. S’ils sont vaccinés, une dérogation à l’euthanasie est possible. Elle nécessite un rappel de vaccin et une surveillance de 6 mois. Pour les animaux éventuellement contaminés et qui ne sont pas à jour de leur vaccination antirabique, une surveillance de 6 mois est requise comme leur identification (si absente). Cette surveillance est de 1 mois s’ils sont vaccinés.
La maladie d’Aujesky sur le territoire
La maladie d’Aujesky des carnivores domestiques présente un tableau clinique d’encéphalite aiguë (évolution en 2 à 6 jours) avec un prurit démentiel, paralysie, difficultés respiratoires, coma et mort. Une augmentation des cas est observable chez des chiens de chasse (circulation active du virus chez les sangliers). La maladie humaine n’est décrite qu’en Chine. Il n’existe aucun traitement ni vaccin disposant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM). Il est recommandé de ne pas donner des abats ou des carcasses de sangliers aux chiens de chasse. Un vaccin à virus inactivé pour porcs, commercialisé par le laboratoire espagnol Hipra (Auskipra-BK), bénéficie d’une autorisation temporaire d’utilisation, dans les régions où la maladie est présente. Des effets secondaires peuvent survenir avec ce vaccin. Le vétérinaire doit procéder à une déclaration à la DDPP avant tout envoi de la tête de l’animal pour analyse au laboratoire (à l’Institut Pasteur si l’animal est mordeur ou au Laboratoire de la rage et de la faune sauvage de l’Anses à Nancy).
Échinococcose : vermifugation et mesures d’hygiène
Les parasites responsables de l’échinococcose sont E. multilocularis et E. granulosus. Dans le cycle parasitaire d’E. multilocularis, l’hôte définitif principal est le renard (mais aussi le loup, le chien et le chat) expulsant les œufs du parasite dans ses excréments. L’hôte intermédiaire est surtout un rongeur (mais aussi le porc, le sanglier, le chien et l’humain). La contamination de l’humain par ingestion de baies sauvages est une impasse parasitaire, mais conduit à la gravissime échinococcose alvéolaire2. La zone historique d’endémie de l’est de la France s’étend désormais vers l’ouest. Le chien, hôte définitif, ne présente pas de symptômes et le diagnostic coprologique est très difficile. Sérologie Elisa et PCR sur selles sont des affaires de spécialistes. Certains pays demandent de traiter les animaux pour passer leur frontière (Royaume-Uni, Malte, Norvège, Finlande, Irlande) en utilisant un vermifuge disposant d’une AMM dans l’espèce animale et l’indication. Pour les chiens qui chassent dans les régions à risque, il convient de traiter une fois par mois avec du praziquantel (efficace sur les adultes et les larves, mais pas sur les œufs). Des mesures d’hygiène doivent être appliquées (laver régulièrement les animaux, brûler les excréments, protéger le potager contre les intrusions d’animaux sauvages et bien laver les légumes du jardin ainsi que les baies et autres plantes ramassées dans la nature et de préférence les faire cuire).
La tuberculose reste rare
La tuberculose est surtout transmise au chien et au chat par l’humain. Mais elle peut aussi se faire par les bovins, sans sous-estimer les contaminations par la faune sauvage. Chez le chien, on observe une localisation thoracique (bronchopneumonie, pleurésie) et abdominale (ascite) avec hypertrophie des nœuds lymphatiques entraînant une maladie d’évolution lente et cachectisante. Le chat semble plus résistant. Les chats chasseurs présentent, parfois, une forme cutanée à évolution lente avec des abcès froids contenant un pus grisâtre (Mycobacterium microti), non réglementée. Maladie rare en France, le diagnostic de la tuberculose canine et féline est compliqué (tuberculinisation par voie SC, prélèvement par lavage bronchoalvéolaire ou prélèvement d’un ganglion). Les prélèvements permettent de réaliser des cultures (3 mois). Une mise en évidence de la mycobactérie par PCR (24 h) ou par histologie avec la coloration de Ziehl-Neelsen (48 h) est possible. Il s’agit le plus souvent du reflet d’une tuberculose humaine. Les traitements sont interdits en santé animale et l’euthanasie est préconisée. En cas de refus, il convient de faire signer une décharge de responsabilité.
Le botulisme : évolution de la réglementation en 2025 ?
Le botulisme se caractérise par des paralysies flasques ne permettant qu’un diagnostic présomptif. La gravité des signes cliniques dépend de la quantité de toxines botuliniques absorbée. Les traitements antibiotiques sont souvent trop tardifs. Le sérum de cheval antitoxines doit être injecté dans les 24 heures suivant l’apparition des symptômes. Un traitement symptomatique visant à éliminer la toxine sera administré. La détection par PCR de Clostridium botulinum, après culture (fèces, contenu intestinal), est possible au laboratoire de Ploufragan (Côtes-d’Armor), dans 5 laboratoires vétérinaires (Labocea, LEAV, Qualyse, LABEO, laboratoire de l’Ain) et dans l’un des 43 Centres nationaux de référence pour la lutte contre les maladies transmissibles (CNR3). L’envoi de restes d’aliments suspectés d’être la source est recommandé. Il n’y a pas de transmission à l’humain. Il est prévu que la maladie soit déréglementée en 2025.
L’encéphalite à virus Nipah
L’encéphalite à virus Nipah4 a été décrite en 1999, observée en 1997 chez des porchers. Le réservoir du virus à ARN est une chauve-souris. Chez le chien, les symptômes évoquent la maladie de Carré. C’est une maladie inconnue en France, réglementée pour les porcs, les chiens et les chats.
La brucellose en augmentation
La brucellose canine provoque une baisse de la prolificité et une légère augmentation de la mortinatalité dans les élevages. Les avortements sont tardifs (45e jour). Chez la femelle, on observe des métrites, chez le mâle des orchites. Les localisations extra-génitales sont rares (lymphadénite, abcès, arthrite). Chez les carnivores domestiques, cette maladie est réglementée pour B. abortus, B. suis. Depuis 2018, on observe une augmentation des cas probablement en lien avec le commerce en ligne. La bactérie est très résistante en milieu extérieur rendant difficile l’éradication de la maladie. La contamination se fait par les muqueuses oro-nasales, conjonctivales et génitales. La transmission indirecte par les locaux d’élevage ne doit pas être oubliée. Dans les élevages atteints, les personnes exposées doivent se protéger. Le diagnostic de laboratoire utilise des tests sérologiques, peu coûteux, réalisés sur l’ensemble des animaux, puis répétés afin de suivre l’infection. Le diagnostic direct vise à mettre la bactérie en évidence (PCR). L’identification de l’espèce B. canis peut se faire par bactériologie, amplification moléculaire (PCR) ou spectrométrie de masse Maldi-Tof (matrix assisted laser desorption ionisation/time of flight). La principale limite est le manque de sensibilité de ces tests.
Il faut limiter la diffusion de la maladie (isolement, dépistage de tous les animaux, arrêt des saillies, nettoyage et désinfection, prévention de la transmission à l’humain). Le dépistage est fait 2 fois à 1 mois d’intervalle. Il est recommandé d’euthanasier les animaux infectés. L’antibiothérapie est déconseillée car il y a absence de guérison bactériologique. Les animaux traités malgré tout doivent être retirés de la reproduction et stérilisés chirurgicalement. Dans les cas rares de la brucellose des ruminants chez les carnivores domestiques (zone montagneuse limitée avec présence de ruminants sauvages atteints), la police sanitaire demande un contrôle sérologique des chiens et élimination des chiens infectés. La brucellose porcine (sangliers) due à Brucella suis est très peu pathogène pour l’humain. Il existe 2 cas décrits de transmission aux chiens5.
La tularémie, zoonose majeure
La tularémie est une zoonose majeure en Europe. Cette maladie mortelle est due à Francisella tularensis holarctica. Elle affecte surtout les lièvres parmi 150 espèces animales sensibles (mammifères, oiseaux). La tularémie se transmet principalement entre animaux par l’intermédiaire de piqûres de tiques contaminées, le contact ou l’ingestion de carcasses infectées. Enfin, l’inhalation d’aérosols peut aussi transmettre la maladie. La contamination peut se faire à l’humain par les mêmes voies. Les malades présentent une congestion généralisée, splénomégalie, hypertrophie ganglionnaire, micro-abcès. Les carnivores domestiques font office de sentinelle. La transmission des carnivores à l’humain est exceptionnelle et peu documentée. Le diagnostic est difficile (immunofluorescence, Elisa, PCR). L’antibiothérapie est envisageable. Il ne faut pas toucher un lièvre mort sans gants. La cuisson détruit la bactérie.
Les 5 catégories de maladie réglementée
– Catégorie A : maladie normalement absente de l’UE - Éradication immédiate ;
– B : maladie devant être contrôlée par tous les États membres - Éradication obligatoire ;
– C : maladie soumise à contrôle volontaire des États membres - Éradication volontaire ;
– D : maladie pour laquelle des restrictions aux mouvements entre États membres s’appliquent ;
– E : maladie soumise à surveillance et notification européenne obligatoire.
Une maladie pourra ainsi dépendre d’une combinaison de catégories. Elle pourra être ADE, BDE, CDE, DE ou simplement E. Ces combinaisons entraîneront différentes obligations. Ce sont des maladies animales pouvant entraîner des dangers sanitaires pour les animaux ou pour les humains.