DOSSIER
Auteur(s) : Par Caroline ROCHER
Organisées par le Syndical national des vétérinaires d’exercice libéral, les universités de printemps se sont déroulées à l’école nationale vétérinaire de Toulouse1. L'édition de 2024 avait pour thématique : « Véto et heureux, heureux et véto ». L’occasion de se pencher sur l’état de la profession, que des études décrivent en grande souffrance2.
Mesurer le bien-être au travail
Théo Delsarte (VetAgro Sup 23) a présenté les conclusions de sa thèse d’exercice vétérinaire portant sur la qualité de vie au travail des auxiliaires vétérinaires (ASV). Il ressort des 1 090 réponses recueillies que 54 % des ASV qui ont répondu à l’étude envisagent de quitter leur poste dans les deux prochaines années. Les auxiliaires vétérinaires demandent une meilleure reconnaissance, une amélioration de leur rémunération ainsi qu’une meilleure organisation de leur emploi du temps.
Les vétérinaires, eux, expriment le besoin d’un meilleur équilibre entre leur vie professionnelle et personnelle, soulignant un manque de temps libre significatif. Ces constatations émanent d’une étude présentée par Julie Membot, responsable RSE au pôle codéveloppement chez MSD Santé animale, qui souligne que « la pénurie de vétérinaires et le manque de personnel dans les cliniques entraînent un stress accru et une charge de travail excessive. Dans cette profession, le taux de suicide est alarmant, en raison des lourdes responsabilités et de la crainte des erreurs qui y sont associées. Par conséquent, 55 % des vétérinaires déconseilleraient à leur entourage d’exercer ce métier ».
Face à cette réalité inquiétante, la première démarche a été de se pencher sur l’identification du personnel à risque et de déterminer les causes sous-jacentes. Ainsi, il est possible d’évaluer la situation grâce à la mise en place de baromètres comme celui de la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT), un outil précieux qui va permettre d’établir un suivi du moral des employés. « Cet outil offre à la fois des données quantitatives et qualitatives sur le quotidien, via un formulaire en ligne. Ces informations sont essentielles pour identifier des solutions pratiques, telles que l’organisation de réunions matinales animées par des ASV, permettant notamment de discuter du bien-être moral ou d’estimer le niveau de neuroticisme d’une personne. Cela favorise l’intégration individuelle au sein de l’équipe », a expliqué Grégory Santaner, fondateur de VetoNetwork. Anne Daumas-Marchandet, directrice du Syndical national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL), a présenté les travaux menés par l’Observatoire AMAROK, une association qui s’intéresse à la santé physique et mentale des travailleurs indépendants. « Se soucier de la santé des entrepreneurs est une préoccupation tardive dans notre société, alors qu’elle constitue la colonne vertébrale même de l’entreprise », a-t-elle déclaré. En partenariat avec cette fondation et le soutien d’AG2R La Mondiale, le SNVEL évalue la santé des vétérinaires en exercice libéral. Les données révèlent des facteurs de stress tels que la surcharge de travail, les impayés ou l’absence de personnel. Les vétérinaires expriment leur satisfaction en cas de bons rapports avec la clientèle et les associés, tandis qu’un déséquilibre alerte sur le risque de burn-out. Cela permet d’autres outils de détection adaptés.
De nouveaux projets
Actuellement, de nouveaux projets de mesure émergent pour évaluer en temps réel le bien-être du personnel vétérinaire en clientèle. Par exemple, le projet Motivet, présenté par Maël Del Tenno, un étudiant de l’école nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA), a été proposé lors de la première édition du Hackavet en 2023. Ce logiciel permet de générer des scores individuels et collectifs directement via le logiciel utilisé au sein de la clinique. Il offre aussi la possibilité d’obtenir les retours positifs des clients de manière anonyme. En effet, la satisfaction des clients revêt une importance capitale pour le bien-être de l’entreprise, car elle influe directement sur le bien-être des employés et renforce leur désir de rester sur le long terme. « Nous avons lancé une initiative de collecte de témoignages positifs au sein de nos cliniques, appelés “mots doux”, et nous constatons avec satisfaction que nos clients apprécient énormément leur équipe vétérinaire », a déclaré Marie Tanguy (Oniris 19), cofondatrice de Dr Patounes, un site de conseils, et de Louveto, une plateforme de mentorat. Ces déclarations sont en accord avec celles de Jean-Frédéric Hitier, responsable du pôle santé animale chez Boehringer Ingelheim, qui a présenté en avant-première les résultats d’une étude sur la perception de la profession vétérinaire par les propriétaires français d’animaux de compagnie. Selon cette étude, 92 % de la clientèle exprime son attachement à son vétérinaire et se dit très satisfaite, que ce soit en matière d’accueil, de qualité des soins ou de relationnel.
Préserver sa santé mentale
Entre le stress lié à la charge de travail, les exigences professionnelles, et la nécessité de trouver un équilibre entre vie personnelle et professionnelle, il est essentiel d’explorer les moyens de cultiver une pratique soignante épanouie et performante. « En clientèle, 30 % des propriétaires français d’animaux de compagnie perçoivent que le travail de vétérinaire peut être difficile », a déclaré Jean-Frédéric Hitier (N 90), d’après cette récente étude.
Anne Daumas-Marchandet a présenté les facteurs salutogènes qui désignent les éléments favorisant la santé et le bien-être. Dans le domaine vétérinaire, ces facteurs comprennent la conviction en son destin, la résilience et l’optimisme. Pour favoriser un état d’esprit positif au travail, il est donc essentiel de nourrir sa curiosité et de considérer les défis comme des occasions de croissance. « J’aime mon métier et, pour moi, il est important de poursuivre ses rêves et d’aller toujours de l’avant », a déclaré Rémi Gellé (T 77). Aussi, il est crucial de savoir se ressourcer, ce qui implique une capacité à se détacher du travail et à s’engager dans des activités en dehors du contexte professionnel, ou même au sein du cabinet lui-même. « Lorsque nous vivons des moments difficiles, comme l’euthanasie d’un animal qu’on suivait depuis longtemps, nous apprécions de déconnecter dans la salle de repos autour d’une boisson chaude et d’échanger avec toute l’équipe », a témoigné Lucie Février (T 14), qui participait à l’atelier portant sur le sujet. Un environnement de travail salutogène stimule non seulement le développement des compétences mais aussi le bien-être et la satisfaction au travail. Il repose sur le respect des valeurs professionnelles et personnelles, ainsi que sur l’harmonie entre les individus. Pour atteindre cet objectif, il est important de favoriser une communication efficace. De nombreux vétérinaires souhaitent également acquérir des compétences pour mieux gérer les situations difficiles. « Le socle commun passe par le respect de l’humain », a ajouté Françoise Bussiéras (T 88), secrétaire générale du SNVEL. La communication peut servir d’appel à l’aide lorsqu’on traverse des difficultés psychologiques, ou lorsqu’on a besoin de soutien. En ce sens, un numéro d’urgence3 a été mis en place pour aider et soutenir les professionnels vétérinaires confrontés à l’épuisement professionnel.
L’écoresponsabilité
Un autre aspect essentiel a été discuté : l’écoresponsabilité. « Ce n’est pas un sujet de demain mais un sujet d’hier et il faut vraiment s’y appliquer », a déclaré Véronique Luddeni (T 92), vice-présidente du SNVEL, qui animait l’atelier. Tout comme nous prêtons attention à nos habitudes en matière de recyclage, il en va de même au travail. Certains vétérinaires expriment même des désaccords entre leurs valeurs personnelles et les pratiques sur leur lieu de travail lorsqu’elles ne reflètent pas un engagement en faveur de la préservation de la planète. « Il est primordial d’adopter des pratiques écoresponsables afin de préserver à la fois la santé de la planète et celle des individus. C’est un aspect fondamental de notre profession. Cela s’inscrit dans le concept du “One Health” », a commenté une participante. D’autant plus que la prise de conscience environnementale croissante parmi les clients souligne l’importance pour les vétérinaires de communiquer sur leurs efforts en matière de durabilité et de responsabilité sociale. Ainsi, « 52 % des clients expriment l’importance pour eux que les traitements soient produits en France, tandis que 48 % d’entre eux indiquent être attentifs à leur empreinte environnementale », a affirmé Jean-Frédéric Hitier. Cela incite à réfléchir sur la façon dont on peut rendre la communication plus active auprès des clients. « Il pourrait être pertinent de considérer la possibilité d’effectuer une autoévaluation, voire une évaluation externe de ces structures, et éventuellement d’introduire des labels pour les cabinets vétérinaires », a proposé Claire Combelles (A 02), une participante à l’atelier. Et la responsabilité écologique doit être intégrée dès la formation : « Au sein des écoles nationales vétérinaires, nous avons pour objectif de réduire notre empreinte carbone de 10 % chaque année. Cela nécessite par exemple de reconsidérer les déplacements des étudiants lors de leur mobilité obligatoire à l’étranger ou pendant leur formation pratique », a déclaré Christophe Degueurce (A 90), directeur de l’école nationale vétérinaire d’Alfort.
Communiquer sur les prix
Un atelier a abordé la question de la tarification des traitements et des soins vétérinaires. En effet, la gestion morale peut être source de stress et d’épuisement professionnel lorsqu’on est confronté à des situations difficiles telles que des abandons ou le mal-être des animaux, souvent liés au manque de moyens financiers des propriétaires. Il a été souligné que diverses associations sont impliquées dans ce domaine, et il a été précisé que depuis octobre 2022, un certificat d’engagement et de connaissance est obligatoire pour les acquéreurs d’animaux de compagnie, conformément à la loi visant à lutter contre la maltraitance animale et à renforcer le lien entre les animaux et les humains, promulguée le 30 novembre 2021. De plus, faisant face régulièrement à des remarques sur les coûts peut également être éprouvant dans la pratique quotidienne. « Cela passe par la communication, c’est-à-dire l’explication du prix, mais sans essayer de le justifier », a expliqué une participante à cet atelier. Il est donc essentiel de favoriser la communication et d’adopter une attitude plus transparente envers sa clientèle.
Accompagner les jeunes diplômés
D’autres aspects de réflexion ont également été discutés, comme l’intégration des nouveaux diplômés ou des nouveaux arrivants au sein d’une équipe vétérinaire. Parmi les membres de la profession, les jeunes diplômés se retrouvent souvent en première ligne, exposés aux risques de stress et d’épuisement liés à la réalité du métier. La transition de la vie étudiante à la vie professionnelle peut être un défi de taille, caractérisée par de nouveaux enjeux et de nouvelles responsabilités. Selon Julie Membot, « cette population est sujette à une pression particulièrement forte, liée à des conflits de valeurs et à des préoccupations financières ». Pour atténuer cette pression, il est crucial de créer un environnement de travail qui favorise l’épanouissement professionnel et qui tienne compte des besoins spécifiques des jeunes vétérinaires. C’est dans cette optique que des initiatives d’accompagnement spécifiques voient le jour. Ainsi, la mise en place d’un livret d’accueil dédié aux jeunes praticiens, présenté par Joëlle Finez-Leteneur (N 83), administratrice du SNVEL, s’avère être une solution pertinente. Cet outil d’intégration au sein des cliniques vétérinaires vise non seulement à surmonter les difficultés de recrutement mais aussi à contribuer à la prévention des risques psychosociaux. Divisé en deux guides, ce livret offre une assistance à la fois à l’employeur et au nouvel arrivant. Accessible sur le site internet du SNVEL*, il propose des informations sur le déroulement de la première journée, l’organigramme de la clinique et d’autres détails pratiques sur les conditions de travail au sein de l’établissement.
Par ailleurs, comme en a témoigné un participant, de nombreux vétérinaires, en particulier les jeunes diplômés, sont confrontés au phénomène du syndrome de l’imposteur (lorsqu’on éprouve le sentiment de ne pas avoir les compétences requises). Pour remédier à cette situation, il est essentiel d’instaurer des dispositifs de soutien et de mentorat, similaires à ceux déjà largement adoptés aux États-Unis. Ces programmes visent à accompagner les nouveaux arrivants et à les aider à surmonter leurs incertitudes et leurs appréhensions.
Étude de la santé genrée au travail
Il convient de mettre en lumière l’importance de prendre en considération les spécificités liées au genre lors de l’analyse de la santé mentale en milieu professionnel. En effet, les femmes vétérinaires, qui représentent 90 % des salariés, peuvent être confrontées à des défis particuliers en raison de leur genre. Ainsi, des études spécifiques dans ce domaine pourraient permettre de comprendre et de prévenir les risques de stress et d’épuisement chez cette population plus exposée aux maladies cardiovasculaires et aux épisodes dépressifs. Comme le souligne Annick Valentin-Smith, consultante chez Vet IN Tech, une association dédiée à la e-santé animale, « 87 % des femmes vétérinaires en exercice se considèrent en bonne santé mais la moitié d’entre ces femmes souffre d’une pathologie et 54 % d’entre elles ne prennent pas de rendez-vous médical. En outre, 42 % des femmes vétérinaires vont changer ou adapter leur poste après leur maternité ». En partenariat avec le SNVEL et VigiVéto, une enquête en cours porte sur l’évaluation et l’état des lieux de la santé des femmes vétérinaires. « Il faut agir, informer, et libérer la parole », a ajouté Anne Daumas-Marchandet.