Témoignage
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Propos recueillis par Amandine Violé
Marie-Laure Théron (T 11), spécialiste en médecine interne, s’est expatriée à Hong Kong au début de l’année 2024 pour exercer dans l’un des plus grands centres vétérinaires d’Asie. Paradoxalement, c’est loin de la France qu’elle se sent à sa place et exerce la médecine vétérinaire telle qu’elle l’avait envisagée en embrassant le métier.
Exercer en France. Beaucoup font ce choix rationnel à la fin de leurs études. Mais si la majorité des vétérinaires y trouvent leur compte, à défaut de leur bonheur, d’autres décident de donner une autre tournure à leur trajectoire professionnelle. En l’occurrence, loin du pays. Comment l’expliquer ? Comment exercer un même métier tout en l’appréhendant différemment ? L’épanouissement professionnel passe-t-il par le changement ? Nous avons interrogé Marie-Laure Théron (T 11), spécialiste en médecine interne. Du Pays basque à Hong Kong, celle-ci n’a pas hésité à se réinventer.
Quel a été votre parcours depuis votre sortie de l’école ?
Diplômée de Toulouse puis du collège européen de médecine interne, j’ai exercé à L’Isle Adam (Val-d’Oise) avant de partir pour Biarritz où j’ai travaillé cinq ans en tant que salariée, responsable du service de médecine de la clinique où j’exerçais. J’ai fait un remplacement à Nantes puis je suis partie pour le Veterinary Medical Center de la City University de Hong Kong*.
Pourquoi avoir décidé de quitter la France ?
Je n’avais plus de perspective d’évolution et je sentais que je ne partageais plus la même philosophie que mes collègues. J’en étais arrivée à un point de rupture, prête à envisager une reconversion. À l’époque, j’intervenais en tant que conférencière pour ce centre à Hong Kong. Or, depuis le Covid et le départ de beaucoup de leurs « cerveaux », le pays a de gros besoins. De fil en aiguille, l’opportunité est devenue réalité.
Avant un tel changement, on pourrait être effrayé de toutes les démarches à effectuer. Qu’en a-t-il été ?
C’est difficile de travailler en Chine, car il faut prouver qu’aucune personne de nationalité chinoise n’est en mesure d’occuper le poste que vous briguez. Même si mon diplôme de spécialiste me permettait d’y travailler sans passer d’équivalence, beaucoup de documents sont demandés, notamment un visa de travail et une attestation délivrée par l’ordre local des vétérinaires, justifiant de mon droit à exercer sur le sol chinois. Par chance, la RH accompagne dans ce processus tous les nouveaux venus. Pour le logement, l’assurance santé, tout était organisé.
Quelles sont les conditions de travail proposées ?
J’ai un contrat renouvelable de trois ans avec un préavis de deux mois la première année puis de six mois. Pour les congés, c’est similaire, voire plus alléchant : mon contrat prévoit cinq semaines de vacances, et quinze jours sont dévolus au congrès européen. À cela s’ajoutent tous les jours fériés, il y en a plus de 18 !
Vous êtes dans un centre de spécialistes, le système de fonctionnement est-il proche de celui d’un CHV français ?
Comme en France, toutes les spécialités sont représentées, mais on travaille aussi avec des généralistes, des étudiants de dernière année, et une promotion d’internes. C’est très cosmopolite et, surtout, le staff est bien plus conséquent. La problématique du recrutement français n’existe pas.
Cela a-t-il un impact direct sur votre pratique ?
Totalement, surtout sur la qualité des soins. Beaucoup d’infirmiers sont des vétérinaires philippins ou indonésiens qui ne peuvent exercer ni dans leur pays ni en Chine. C’est triste, mais du coup, la qualité des soins est exceptionnelle.
En France, la surcharge de travail dans de nombreuses structures peut avoir des répercussions tant sur le plan professionnel que personnel. Qu’en est-il à Hong Kong ?
Je travaille quand même 4 jours par semaine. Certes, le nombre de consultations est peut-être moindre, mais le travail est tout aussi intense. J’ai surtout retrouvé une rigueur qui me manquait. De la rigueur sans rigidité, ce qui est très appréciable. Par exemple, à 8 h 30, tous les vétérinaires se réunissent pour la ronde clinique et ce, quel que soit leur service. Tous les cas hospitalisés sont passés en revue. Personne n’est laissé pour compte avec son cas compliqué. En France, persiste la pression de tout accueillir, tout le temps. Or, avec un peu moins de cas et plus de partage, le système fonctionne tout autant.
Quelle différence vous a le plus frappée entre ces deux manières d’exercer ?
La mentalité. Ici, tout le monde est très respectueux, généralistes et spécialistes échangent, le savoir circule, quel que soit le parcours. En France, la distance entre généraliste et spécialiste est parfois très palpable. Il faudrait œuvrer pour un même engagement au service du soin, en priorité.
Pensez-vous que les soins que vous prodiguez seraient accessibles pour nos clients français ?
Je pense que si je comparais les prix avec ceux qui sont pratiqués en CHV, il n’y aurait pas une grande différence, surtout pour la qualité proposée. Et pourtant, très peu de propriétaires sont assurés. Il faut aussi préciser qu’ils ont un rapport à la vie animale très particulier. Pour eux, l’euthanasie n’est que très rarement envisagée ; ils font beaucoup pour leurs animaux et leur consacrent un budget.
Comment s’envisage un départ si loin du territoire français ?
C’était un vrai challenge. D’ailleurs, lors de l’entretien, j’ai été transparente, « je ne peux rien vous promettre ! », ai-je dit. C’est un projet qui ne convient pas forcément à tous, mais je l’ai appréhendé comme une parenthèse, dont j’ignore encore la durée. Et étonnamment, il y a plus de 55 000 Français à Hong Kong, j’ai même eu mes premiers clients français !
Même si votre installation est récente, que retenir d’une telle expérience à l’étranger ?
Je pense qu’il est intéressant de voir ce qui se passe ailleurs, ne serait-ce que sur le plan culturel. Ils ont une façon très différente d’aborder les relations humaines, le conflit, le rapport à l’argent, au soin animalier. Personnellement, cette expérience m’a permis de renouer avec mon désir de rester vétérinaire. Si je suis amenée à monter une structure en France, je sais qu’un autre modèle, viable, est possible. Même dans un tel centre, tout est tourné vers l’humain et le soin. J’ai enfin la sensation d’être à ma place et de pratiquer la médecine vétérinaire telle que je l’ai apprise et projetée.