Nutrition féline
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Tanit Halfon
Une stratégie de prévention devrait être mise en place chez les chatons, surtout en cas de stérilisation précoce. À cette fin, la communication entre le vétérinaire et le détenteur est sans conteste une des clés de réussite.
Comment éviter à un chat de compagnie de devenir obèse ? Cette question a récemment mobilisé une équipe de vétérinaires de l’université de Guelph, au Canada, dans le cadre d’une étude publiée* en février 2024 dans la revue Journal of Feline Medicine and Surgery. Selon eux, l’obésité féline concernerait 11 à 63 % de nos chats, avec pour conséquence des effets néfastes sur leur santé. Une fois le chat obèse, la mise en œuvre d’un plan d’amaigrissement n’est pas chose aisée. Au-delà d’une possible mauvaise observance du propriétaire, il peut y avoir des effets sur la santé de l’animal : une perte de poids trop rapide peut être associée à une lipidose hépatique. À l’inverse, si la perte est trop lente, il existe à tout moment le risque d’apparition d’un diabète sucré. Par ailleurs, les auteurs soulignent qu’une reprise du poids est fréquente après le plan d’amaigrissement. L’aspect financier n’est pas non plus à négliger : les détenteurs de chats en surpoids ou obèses dépenseraient bien plus que les autres en soins vétérinaires. Face à ces constats, l’enjeu pour le vétérinaire sera de prévenir la prise de poids. Cette stratégie de prévention doit être précoce, dès « la phase de croissance soutenue du félidé », soit vers l’âge de 5 à 12 mois. Cette période est en effet associée à un risque critique d’apparition de l’obésité selon les auteurs, d’autant plus que la stérilisation y est généralement réalisée. Avant cette période, en post-sevrage, soit entre 2 et 4 mois, le risque d’apparition de l’obésité est estimé comme modéré ; cela n’empêche toutefois pas un suivi du poids et une adaptation de l’alimentation en fonction des besoins énergétiques de l’animal.
Suivre la croissance
Le premier élément de la stratégie de prévention est le suivi du poids. Durant la période critique, il est recommandé de peser son chat très régulièrement. Le résultat est à reporter sur les courbes de croissance, pour mieux détecter le moindre trouble. Après la stérilisation, une pesée toutes les deux semaines, deux fois, puis une fois par mois, est recommandée, avec un suivi à la fois du poids corporel et de la note d’état corporel, voire de l’indice de condition musculaire. Ces deux derniers indicateurs ne sont pas validés pour le chat en croissance, mais les auteurs de l’étude soulignent le bénéfice pour le détenteur d’apprendre à les évaluer très tôt, car le diagnostic de l’obésité repose notamment sur ces paramètres.
Ce suivi du poids est associé à un contrôle strict des besoins de l’animal. Car il ne s’agit pas d’envisager une restriction énergétique, mais d’avoir une ration la plus adaptée aux besoins permettant d’éviter une prise de poids supplémentaire. Pour ce faire, on pourra s’appuyer sur des équations prédictives connues pour le calcul du besoin énergétique journalier de l’animal, tout comme une formule pour le calcul de la quantité de nourriture à distribuer (voir encadré). Pour cette dernière, il est conseillé d’utiliser une balance en grammes plutôt qu’un gobelet.
Choisir le bon aliment, distribuer la bonne quantité
En période de croissance, les aliments se caractérisent par une densité énergétique élevée, à la fois pour répondre à la demande accrue d’énergie, et aussi pour réduire la quantité d’aliments en volume. Dans ce cadre, il apparaît essentiel de bien calculer les besoins, et aussi de bien communiquer avec le détenteur de l’animal sur la quantité d’aliments à distribuer. En effet, avec un aliment à densité énergétique plus élevée, une simple petite augmentation de la quantité d’aliments distribuée pourra aboutir à une prise de poids. De manière générale, les auteurs recommandent de rechercher des régimes de croissance à faible densité énergétique. Dans le cas où l’état corporel du chaton est plus élevé que la normale, les auteurs ne préconisent pas de changer le régime au risque de se retrouver avec de la nourriture inadaptée tant d’un point de vue énergétique que nutritionnel pour ce qui est de la quantité de micronutriments utiles pour la croissance. Dans ce cas, un réajustement de la ration est nécessaire, avec un contrôle au bout de deux semaines. Ceci étant dit, il subsiste des inconnues sur les régimes alimentaires et la croissance. Les données manquent quant aux liens entre les macronutriments et la prévention de l’obésité après une stérilisation ; de même en ce qui concerne l’impact des différents types de régimes alimentaires. Pour ce dernier point, une étude a toutefois montré que des chatons nourris ad libitum durant les quatre semaines suivant la stérilisation avec un aliment sec, présentaient une prise de poids plus marquée les semaines 5 et 6 par rapport à ceux nourris avec un aliment humide. Un résultat qui serait en lien avec la densité énergétique plus faible de l’aliment humide mais aussi le volume d’eau. Dans ce sens, les auteurs mettent en avant l’importance d’une bonne hydratation pour la gestion du poids.
Communiquer
En toile de fond de ce plan préventif, apparaît la qualité de la communication. Du côté des vétérinaires, ce n’est pas si simple : les remontées du terrain montrent qu’il y a une peur de froisser les détenteurs, de nuire à la relation clientèle, d’être perçu comme un praticien n’ayant que des motivations financières, et il y a aussi une question de manque de temps et de formation. Côté détenteurs, une étude terrain avait montré qu’ils seraient enclins à suivre les recommandations si leur vétérinaire s’adaptait bien à leur contexte de vie, proposait plusieurs options et était très clair et direct « plutôt que de faire des suggestions ambiguës ». Pour eux, le poids devrait être contrôlé à chaque consultation. Selon une autre étude, la prévention de l’obésité n’est mise en avant que dans 25 % des consultations, avec des explications plus ou moins complètes. « Si elles sont abordées de manière constructive et non conflictuelle, les conversations sur la prévention de l’obésité entre les propriétaires de chats et les vétérinaires peuvent être éducatives et efficaces. En utilisant des stratégies de communication efficaces, la prise en charge de l’obésité peut devenir un effort d’équipe à long terme plutôt qu’une intervention non sollicitée ou écrasante », expliquent les auteurs. Dans cette optique, inclure les détenteurs dans le processus de décision apparaît central pour une meilleure adhésion aux soins.
Calcul du besoin énergétique de croissance
Dans l’étude canadienne, les auteurs proposent plusieurs équations du besoin énergétique, en fonction de l’âge et du sexe de l’animal. Ces équations sont basées sur des populations spécifiques de chats domestiques à poils courts – certaines races en son exclues comme le Maine Coon, le Ragdoll ou encore le Sphynx –, rappellent les auteurs. Ils précisent qu’il n’existe pas d’équation spécifique aux chats stérilisés, « bien que les recherches suggèrent une réduction des besoins énergétiques journaliers après une gonadectomie ». Une formule de calcul de la ration alimentaire est aussi indiquée :
Allocation alimentaire (g/jour) = DER (kcal/jour)/densité énergétique (kcal/g)
A noter qu'une autre équation connue du besoin énergétique journalier est la suivante1 :
BEJ (kcal EM) = 6,7 ∗ (e −0.189∗(Pchaton /Padulte) −0.66) ∗ 100 ∗P 0,67 chaton
Dans cette équation, figure le poids adulte standard de la race du chat. Le BEJ sera ajusté suivant l’état physiologique2 de l’animal : en cas de stérilisation précoce, il est recommandé de réduire de 24 % les apports énergétiques, et de les diminuer de 33 % en cas de stérilisation vers 6 mois. Dans ce dernier cas, un passage à un aliment pour chat stérilisé est conseillé. Le poids adulte est atteint à 40 semaines d’âge, sauf pour certaines races comme le Maine Coon ou le chat des forêts norvégiennes, ce qui implique une nouvelle équation du BE.
Favoriser l’exercice
Prévenir l’obésité implique de s’attacher aussi à la distribution alimentaire. Les données manquent actuellement sur le lien entre fréquence de distribution de l’alimentation et obésité. Selon les auteurs, il y a un consensus sur le fait de nourrir les chats plusieurs fois par jour, mais « une alimentation unique peut être bénéfique pour favoriser la satiété et l’oxydation des acides gras chez les chats par rapport à une alimentation multiple ». Par ailleurs, les auteurs recommandent de favoriser de manière générale l’exercice du chat dans le cadre de la prévention de l’obésité. Cela passe notamment par déplacer ou cacher la nourriture, et disposer d’un enrichissement permettant d’imiter la chasse. Consacrer quinze minutes par jour de jeu avec son chat est aussi conseillé, à répartir en une ou plusieurs fois dans la journée. On peut aussi inciter les chats à bouger/sauter avec les arbres à chats, plateformes en hauteur… Enfin, les jouets alimentaires pourraient avoir un intérêt tant pour l’activité physique que l’enrichissement cognitif. Mais une étude pilote n’a pas mis en évidence de lien entre jouets et activité globale des chats adultes castrés ; cela participe toutefois à une réduction du stress et à un bien-être accru.