Génétique
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Tanit Halfon
La mutation du gène POMC influence le comportement alimentaire des labradors et des flat-coated retrievers qui en sont porteurs. Il en résulte pour ces chiens un risque d’obésité accru.
Le labrador, un estomac sur pattes ? Oui, mais certains le sont probablement plus que d’autres. En cause, la mutation du gène POMC qui est associée à un changement du comportement alimentaire, a confirmé une équipe de scientifiques de l’université de Cambridge, au Royaume-Uni, dans une étude publiée en mars 2024 dans Science Advances1. En 2016, une première grande étape avait déjà été franchie par cette même équipe2, en partenariat avec d’autres instituts scientifiques et universités, et avait démontré qu’une délétion de 14 paires de bases d’ADN dans le gène POMC (pro-opiomélanocortine – voir encadré) était associée à un poids corporel plus élevé, une plus grande adiposité (mesure par le score d’état corporel) mais aussi une plus grande motivation alimentaire (questionnaire DORA – Dog obesity risk and appetite – pour le détenteur de l’animal) chez les labradors. Dans cette recherche, près de 25 % d’une cohorte de 383 labradors (du Royaume-Uni) étaient porteurs de la mutation (20 % hétérozygotes et 2 % homozygotes – fréquence allélique de 12 %). Parmi la trentaine d’autres races de chiens testés, seuls les flat-coated retrievers (FCR) présentaient aussi cette mutation (fréquence allélique de 60 % sur une cohorte de 96 chiens – 29 % hétérozygotes, 39 % homozygotes). Et comme pour les labradors, les chiens porteurs étaient plus gros, avec un appétit accru par rapport aux autres.
Une plus grande faim, pour moins de dépense énergétique
Dans la publication de 2024, les chercheurs affinent la compréhension du comportement alimentaire, via la mise en place d’expérimentations visant à comparer des chiens porteurs de la mutation avec les autres. Dans une première expérience, un groupe de labradors est mis en présence de saucisses enfermées dans une boîte perforée, trois heures après un repas standard. Face à ce stimulus, il apparaît que les chiens hétérozygotes pour la mutation passent plus de temps à interagir avec la boîte et moins de temps d’exploration et de repos, illustrant une plus grande faim. Dans une deuxième expérimentation, un aliment en boîte est proposé aux chiens toutes les 20 minutes, la fin du test étant acté par le refus de nourriture ou la régurgitation ou vomissement. Aucune différence dans la satiété ne ressort, la quantité de nourriture ingurgitée étant élevée dans les deux groupes : ainsi, les chiens non porteurs de la mutation ont consommé en moyenne jusqu’à deux fois leur besoin énergétique total ! De la même manière, un autre test montre qu’il n’existe a priori pas de différence dans la perception du goût pour les chiens porteurs de la mutation. Au-delà du comportement alimentaire, les chercheurs identifient pour la première fois une dépense énergétique réduite au repos chez les FCR d’environ 25 %, « ce qui est suffisamment important pour réduire de manière significative la quantité de nourriture nécessaire au maintien d’un poids corporel sain ».
À noter que cette étude a aussi permis de démontrer une hausse de l’adiposité chez les FCR, ce qui n’avait pas pu être confirmé avec la cohorte de 2016.
Surveiller l’apport alimentaire
Pour les auteurs, ces résultats « confirment l’effet obésogène d’une mutation courante de la POMC canine, en lien à la fois avec une augmentation de la faim et une diminution de la dépense énergétique ». Pour les labradors et FCR porteurs, cela pourrait notamment se manifester par des comportements de recherche de nourriture, de vol et de mendicité. En pratique, cela signifie de maintenir une vigilance accrue pour ces deux races : ainsi, selon les auteurs, le maintien du poids de forme de ces chiens porteurs de la mutation implique forcément des quantités de nourriture inférieures à celle des chiens non touchés, en lien avec leur plus faible dépense énergétique. Si les races labradors et FCR sont touchées, il convient d’être encore plus particulièrement vigilant pour les chiens d’assistance de ces mêmes races. Dans l’étude de 2016, en effet, il était apparu que la mutation était plus élevée dans les populations de chiens d’assistance : sur 81 labradors testés originaires des États-Unis et utilisés comme reproducteurs de chiens d’assistance, la fréquence allélique était de 45 %. Pour les auteurs, cela « suggère la possibilité d’une sélection positive en faveur des chiens hétérozygotes ».
Ce facteur génétique prédisposant constitue « un défi pour ces chiens très motivés par la nourriture », mais « les nombreux chiens minces et atteints de cette cohorte attestent qu’il est possible d’y parvenir, même si cela demande beaucoup d’efforts », rassurent-ils. Demain, ces détenteurs seront-ils peut-être épaulés par un médicament à l’instar de ce qui se développe en médecine humaine avec les agonistes du MCR4, un récepteur pour une protéine codée par le POMC. En France, un médicament est déjà disponible, l’Imcivree3 à base de setmélanotide, du laboratoire Pharma Blue. Depuis 2022, il dispose d’une autorisation d’accès précoce, renouvelée déjà une fois, pour le « traitement de l’obésité et le contrôle de la faim dus à des variants génétiquement confirmés associés au syndrome de Bardet-Biedl (SBB) chez les adultes et chez les enfants âgés de 6 ans et plus ».
Le niveau moléculaire
Le gène POMC code pour plusieurs peptides neuroactifs, notamment les peptides α-MSH et β-MSH, des hormones qui stimulent les mélanocytes et les activateurs des récepteurs MC3R et MC4R, ainsi que l’agoniste mu β-endorphine. L’activation du MCR-4 va impliquer une réduction de la prise d’alimentation ainsi qu’une hausse de la dépense énergétique. Avec la délétion des 14 paires de base, il y a un arrêt complet de la production des β-MSH et β-endorphine, mais pas de celle de α-MSH.