Morbillivirus félin : une pathogénicité incertaine - La Semaine Vétérinaire n° 2030 du 19/04/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2030 du 19/04/2024

Infectiologie féline

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Les études montrent que ce virus est présent dans une multitude de pays et de populations félines. Mais en l’état actuel des connaissances, il n’est pas possible de conclure à son rôle pathogène, notamment à sa potentielle implication dans la maladie rénale chronique.

Depuis quelques années, les scientifiques s’intéressent à un nouveau paramyxovirus, le morbillivirus félin, identifié pour la première fois en 2012 à Hong Kong1 chez des chats errants. Jusqu’à alors, les morbillivirus, responsables notamment de la maladie de Carré chez les canidés ou encore de la peste des petits ruminants et de la peste bovine (éradiquée en 2011), n’étaient pas vraiment associés aux chats. Depuis, ce virus a été pointé du doigt comme un possible élément déclencheur de la maladie rénale chronique (MRC). Récemment, fin 2023, une publication2 a aussi montré une association avec une encéphalite aiguë chez un chaton de 2 mois. Une autre3 a révélé une association avec une infection aiguë, caractérisée par des signes généraux non spécifiques de type fièvre, leucopénie, mais aussi thrombocytopénie et ictère.

Malgré tout, en l’état actuel des connaissances, il n’est pas encore possible de définir le rôle pathogène de ce virus, explique Etienne Thiry, professeur émérite de virologie à la faculté de médecine vétérinaire de Liège (Belgique), qui a participé, avec le Comité consultatif européen sur les maladies féline (ou ABCD Europe, pour european Advisory Board on Cat Diseases), à un état des lieux4 de ce virus. « Il a été découvert à l’occasion d’une étude de “virus discovery”, dont l’objectif est de rechercher de manière large un portage d’une famille virale chez une espèce donnée, à l’aide des méthodes de séquençage haut débit. Il ne s’agit pas d’un virus émergent, il était préalablement présent dans les populations félines, souligne-t-il. Une fois identifié, les chercheurs ont voulu voir s’il pouvait être associé à des signes cliniques : dans cette optique, ils ont pu mettre en évidence un lien entre le portage viral et les lésions de néphrite tubulo-interstitielle, qui sont le plus souvent associées à la maladie rénale chronique. »

Deux modèles d’infection expérimentale

Depuis l’étude de Hong Kong, le virus a été identifié dans de nombreux autres pays d’Asie, dont le Japon, la Thaïlande, la Malaisie, la Chine, mais aussi d’Europe, en Allemagne, en Italie, en Suisse, en Turquie, et outre-Atlantique, aux États-Unis et au Brésil. Il a aussi été trouvé chez des félins sauvages, tout comme des chiens présentant des troubles respiratoires en Thaïlande. « C’est un virus qu’on pourrait qualifier d’endémique dans les populations félines, et assez fréquent. » Côté clinique, « les données dont on dispose proviennent à la fois d’études épidémiologiques et expérimentales. Sur le terrain, il y a autant d’études qui montrent un lien entre ce virus et la MRC que d’études qui ne le montrent pas. Au niveau expérimental, il y a manifestement un lien entre l’infection et les lésions rénales mais sans signes cliniques. De plus, l’excrétion urinaire du virus est significative ». Ainsi, dans un premier modèle d’infection expérimentale, sur cinq jeunes chats contaminés, aucun n’a développé de signes cliniques marqués si ce n’est, pour quelques-uns, de la fièvre, 3 à 5 jours après l’infection. Mais un examen nécropsique a révélé des lésions rénales non macroscopiques de type néphrite tubulo-interstitielle multifocale, associées à des lésions légères hépatiques et une activation diffuse des follicules lymphoïdes dans la rate. Un deuxième modèle d’infection expérimentale avec six chats a confirmé le lymphotropisme pendant les premiers jours tout comme le tropisme rénal. « À ce stade, l’hypothèse formulée est que ce virus induit des lésions primaires, lesquelles pourraient amener à une MRC. Mais elle reste toujours à confirmer. N’oublions pas que la MRC reste une maladie très fréquente », explique Etienne Thiry. À ce jour, il n’existe toujours pas de modèle félin d’infection chronique ni d’études longitudinales complètes permettant de conforter un rôle du virus dans le développement d’une maladie rénale chronique.

Pas de diagnostic possible à ce stade

Des éléments suggèrent aussi une atteinte hépatique, avec une cholangiohépatite lymphocytaire, « mais comme pour la MRC, il s’agit d’une maladie fréquente chez le chat ». Des éléments vont aussi dans le sens d’un neurotropisme, ce qui a été corroboré par l’étude récente présentant le cas d’une encéphalite aiguë chez un chaton. En résumé, « il s’agit d’un virus toujours à la recherche de sa maladie », souligne Etienne Thiry. À ce stade, donc, il n’y a pas de recommandation particulière pour le praticien. Comme l’indique l’ABCD, « une maladie associée à une infection aiguë peut se développer, et le morbillivirus pourrait être à l’origine d’une insuffisance rénale aiguë. L’infection pourrait être envisagée en cas de syndrome fébrile aigu, de panleucopénie et d’encéphalite d’origine inconnue. Les présentations cliniques les plus pertinentes de l’évolution chronique semblent être associées à l’insuffisance rénale chronique, les maladies du bas appareil urinaire et au développement de maladies hépatobiliaires ». Ainsi, même si le praticien peut toujours évoquer l’hypothèse du morbillivirus, cela ne change rien à la prise en charge, et, comme l’explique Étienne Thiry, « de toute façon, on ne peut pas faire de diagnostic dont les méthodes sont encore réservées à des laboratoires de recherche. Eventuellement, si on incrimine ce virus, on peut se poser la question de l’excrétion urinaire et de la contamination possible d’autres chats ». Mais d’autres études restent encore nécessaires pour bien comprendre les possibilités de transmission entre chats mais aussi entre chats et chiens. À ce jour, il n’y a pas d’élément suggérant un potentiel zoonotique.