Tribune
COMMUNAUTE VETO
Laure Souriou-Payan (L 93), praticienne mixte à Velleron, pointe le décalage entre le cadre réglementaire de la médecine vétérinaire rurale et les attentes d’une clientèle nouvelle, dont le regard sur les petits ruminants a modifié considérablement le rapport aux soins.
Des particuliers récupèrent quelques chèvres ou brebis, pour certaines « sauvées » de l’abattoir. Ils les installent dans un petit bout de terrain, ou créent des « fermes pédagogiques ». Le plus souvent, ils ne sont pas issus du milieu agricole et ne disposent pas de connaissances sur les ruminants. Ces animaux acquièrent un statut d’animal de compagnie, pour lesquels l’attachement émotionnel est comparable à celui voué aux carnivores domestiques. Les demandes en soins vétérinaires tendent aussi à s’en rapprocher. On pourrait parler de « rurale de compagnie ».
Aujourd’hui, la place de ces animaux dans notre société est bancale. D’un point de vue légal, tous les ruminants sont soumis à la même législation. Le détenteur doit se déclarer auprès de l’établissement de l’élevage régional (EDER) et de la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) et désigner un vétérinaire sanitaire. Le déplacement des animaux dans d’autres départements est soumis à déclaration et autorisation. On est loin de la liberté de mouvement des détenteurs de chiens.
L’entretien de ces animaux pose souvent problème. Les ruminants ont un système digestif spécifique, qui tolère mal les écarts alimentaires. Or le propriétaire d’un animal de compagnie a souvent tendance à le « gâter » : il remplace l’aliment naturel, à savoir herbe et foin par ce qu’il trouve : branchages, déchets de jardinage, fruits, légumes et céréales. Bien qu’appréciés par ces animaux, ils ne sont adaptés ni à leurs besoins ni à leurs capacités. Ces écarts alimentaires sont sources de pathologies graves. Les chèvres issues d’élevages laitiers ont tendance à faire des montées de lait, même sans avoir de petits. Il n’y a alors pas d’autre solution que de les traire quotidiennement, ce que ces nouveaux propriétaires ne savent pas faire.
Considérés comme des animaux producteurs de denrées alimentaires, ils ne bénéficient pourtant pas d’un arsenal thérapeutique très étendu. Tout traitement utilisé doit avoir une AMM pour l’espèce dans laquelle une étude de LMR (limite maximale de résidu) a été réalisée. Bien que de compagnie, ces animaux peuvent à n’importe quel moment se retrouver dans la filière bouchère, exposant le vétérinaire qui utiliserait des médicaments hors AMM à des poursuites pénales et ordinales. Les techniques et technologies de pointe utilisées en médecine et en chirurgie des carnivores domestiques sont en théorie utilisables chez ces ruminants de compagnie. Très attachés à leurs animaux, les propriétaires voudraient des soins comparables à ceux destinés aux carnivores domestiques, mais avec des tarifs destinés aux animaux de rente. Par ailleurs, le mode de vie de ces animaux entraîne des souillures du pelage. On comprend la réticence d’un chirurgien à voir entrer ces animaux dans une salle de chirurgie dont il surveille minutieusement l’asepsie.
Ces ruminants de compagnie mériteraient de voir se développer une nouvelle discipline vétérinaire qui leur soit adaptée, à la manière de la spécialisation en médecine et chirurgie des NAC qui s’est développée ces dernières décennies. Nous avons besoin de vétérinaires qui soient formés, pour apporter un regard individualisé et de pointe sur une médecine naguère de groupe et soumise à des contingences de rentabilité. Nous avons besoin d’une volonté forte du secteur pharmaceutique permettant de développer un arsenal thérapeutique adapté. Nous avons besoin aussi d’une adaptation législative qui permettrait de libérer certaines contraintes entourant ces ruminants de compagnie, mais sans mettre en danger l’élevage réel. À ces conditions, nous pourrons voir apparaître des structures proposant des consultations spécialisées de qualité pour ces ruminants de compagnie, comparables aux consultations spécialisées pour les NAC.