Aethina tumida, éradiquer ou vivre avec ? - La Semaine Vétérinaire n° 2031 du 26/04/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2031 du 26/04/2024

Apiculture

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Le petit coléoptère des ruches fait partie des maladies apicoles à éradication obligatoire. Mais sur l’île de la Réunion, plus d’un an après son introduction, la lutte a évolué vers une stratégie du « vivre avec ». 

Dans la loi européenne de santé animale de 2021, aucune des maladies apicoles répertoriées n’est soumise à une obligation d’éradication, mais seulement à une obligation de surveillance et de notification, impliquant le respect de règles de restrictions de mouvement entre les États membres. Ce principe de base a été renforcé par la France pour deux maladies absentes du territoire, et à fort impact sanitaire et économique, à savoir Tropilaelaps spp. et Aethina tumida, ou petit coléoptère des ruches. Ce renforcement a aussi été engagé dans d’autres pays, comme l’Espagne, l’Autriche, la Finlande, etc. En France, cette règle a pourtant été interrompue à la Réunion, seulement une année après la première détectiondu petit coléoptère début juillet 2022 dans le sud de l’île. En août 2023, un communiqué de la préfecture2 actait ainsi l’arrêt de la stratégie d’éradication, pour passer à une stratégie du « vivre avec », comme le demandaient fortement les organisations professionnelles apicoles face au constat de cas dans des colonies sauvages. Dans ce cadre, il avait été annoncé qu’un plan de gestion serait élaboré et mis en œuvre par les professionnels, avec l’appui du groupement de défense sanitaire (GDS) et des organisations professionnelles. Son objectif : contenir le coléoptère dans la zone sud, tout en ayant une surveillance sur le reste du territoire.

Des dégâts à ne pas sous-estimer

Mais peut-on vraiment vivre avec ? Comme le rappelle Fayçal Meziani, vétérinaire référent national en matière d’apiculture et de pathologie apicole pour la Direction générale de l’alimentation (DGAL), il ne faut pas sous-estimer les dégâts. « Aethina n’a pas d’action directe sur les abeilles adultes, mais une infestation provoquera un affaiblissement de la colonie touchée pouvant aller jusqu’à de la mortalité. Ce sont les larves qui posent le plus de problèmes, car elles peuvent être très nombreuses. » En effet, on compte 10 à 30 œufs par ponte (grappes), qui sont déposés dans les fissures du bois ou directement dans les cellules du couvain. De plus, au cours de sa vie3, une femelle pourra pondre de 1000 à 2000 œufs. Dans la ruche, les larves vont consommer les œufs mais aussi les réserves de miel et de pain d’abeilles, tout comme les adultes. Les larves peuvent aussi occasionner des dégâts physiques desdans les cadres, en creusant des galeries, ce qui aboutit à un écoulement du miel et un effondrement des cires. Par ailleurs, « les excréments des larves, qui contiennent une levure, vont provoquer une fermentation du miel, qui devient alors impropre à la consommation. Or, la filière apicole réunionnaise produit des miels à forte valeur ajoutée, comme le miel de litchi ou de baies roses. Avec la perte des qualités organoleptiques du miel réunionnais, on peut alors s’attendre à des pertes économiques importantes », souligne le référent.

Des mesures adaptées au contexte réunionnais

Les experts de l’Anses ont été mobilisés pour conseiller sur la stratégie de lutte. Jusqu’au bout, ils auront recommandé l’éradication. Dans un avis4 en date de juin 2023, malgré la découverte de cas dans des colonies sauvages, ils conseillaient la poursuite de l’éradication, « compte tenu de l’importance, sur un plan apicole et au vu de la spécificité des miels régionaux produits sur l’île de La Réunion, de limiter la diffusion de l’infestation sur le reste de l’île. La détection de premiers foyers dans des ruchers sauvages de cette zone de surveillance fragilise néanmoins l’atteinte de cet objectif ».

Aujourd’hui, la stratégie du « vivre avec » implique de mettre en œuvre des nouvelles mesures de gestion drastiques, pour réduire la pression d’infestation, et la diffusion. Dans un avis5 émis en décembre 2023, les experts de l’Anses montraient que la prévention reposait d’une part sur la surveillance, pour limiter la diffusion dans les territoires encore indemnes, en association avec des mesures de zonage en cas de détection. Et d’autre part, sur l’adaptation des pratiques apicoles avec l’objectif d’avoir des colonies fortes et en bonne santé moins à risque d’affaiblissement, et de réduire la pression d’infestation avec des pièges. Des mesures adaptées de biosécurité sont à appliquer dans les mielleries. Ces méthodes de gestion sont toutefois encore associées à des marges importantes de progrès, nécessitant des travaux de recherche, y compris pour identifier les mesures les plus adaptées au contexte réunionnais. « Les professionnels ont élaboré un plan de gestion6, indique Fayçal Meziani, mais malheureusement, l’Anses a indiqué que ce plan ne présentait pas suffisamment de garanties pour une bonne réussite, d’autant qu’il n’y a rien de contraignant. Les professionnels sont donc en train de revoir leur copie. L’État va accompagner la filière, y compris d’un point de vue financier, au moins pour les débuts. »

Les règles restent les mêmes dans l’Hexagone

Cette nouvelle approche ne change rien aux règles imposées par l’Europe dans son règlement d’exécution du 12 janvier 2023, valable pour 2024, qui interdit les exportations de produits de la ruche et abeilles, et rend obligatoire des mesures de surveillance, la conduite d’enquêtes épidémiologiques et de traçabilité des mouvements. Ni ne change l’objectif d’éradication en cas d’introduction dans l’Hexagone.

Aujourd’hui, la Réunion fait partie des rares territoires de l’Union européenne à être touchée. En fait, seule l’Italie est concernée depuis 2014. Mais dans la zone de l’Océan Indien, le petit coléoptère était déjà présent à Madagascar depuis 2010 et depuis 2017 à l’Île Maurice. En Italie, il y est cantonné en Calabre7, avec des foyers détectés chaque année, dont 5 déjà pour l’année 2024. Il avait été découvert aussi en Sicile, mais la dernière détection remonte à 2019. Là-bas, « l’éradication a été de mise les premières années, explique Fayçal Meziani. Pendant cinq années, les autorités sanitaires italiennes ont vraiment tout tenté pour l’éradication. Face à la situation endémique en Calabre, ils sont maintenant passés à une stratégie de confinement ». Mais cela ne présage en rien de la réussite, ou pas, d’une stratégie d’éradication. « J’en veux pour preuve l’exemple du Portugal où Aethina avait été identifié en 2004. La situation avait été maîtrisée avec des mesures de police sanitaire. En Sicile, la dernière détection remonte à 2019. » Pour lui, « la réussite dépend de la vitesse de réponse, des moyens disponibles, de l’application adéquate des mesures et de l’adhésion de l’ensemble des parties prenantes ». Pour la Réunion, un appel national au volontariat avait été diffusé dans les services déconcentrés pour mobiliser des techniciens et vétérinaires pour la gestion de la crise en 2022. Ce qui fait qu’aujourd’hui, il existe un réseau réactif et opérationnel d’une quinzaine de personnes qui pourraient être mobilisées en cas d’introduction dans l’Hexagone. Un retour d’expérience est aussi en cours.

D’autres pays8 ont, par la force des choses, déjà dû apprendre à vivre avec cette menace : c’est le cas des États-Unis et de l’Australie où le coléoptère est désormais bien établi depuis la première détection respectivement en 1996 et en 2002. De nombreux autres pays l’ont aussi détecté de manière plus ou moins régulière ; tous les continents sont concernés. Au Canada, où la première détection remonte à 2002, mais où les cas rapportés sont plus réguliers depuis 2020, il est considéré par les autorités sanitaires9 comme « un ravageur gérable que les apiculteurs peuvent contrôler dans la plupart des cas. Toutefois, l’énergie investie dans le contrôle du coléoptère a une incidence sur le temps qui peut être consacré aux autres activités de production ».