#MetooVeterinaire
EXPRESSION
Auteur(s) : Anne-Claire Gagnon
Le monde vétérinaire n’a pas encore connu de MeToo. Pourtant, dans les congrès ou sur les réseaux sociaux, on parle des dick pics d’un enseignant ou d’un praticien réputé avoir la main baladeuse. « Oui, lui, il est connu… ». Nous sommes témoins, donc complices. Les brimades avec les paillardes et l’esprit carabin ont-elles fait le lit d’une complaisance ou d’un formatage éthiquement et juridiquement répréhensibles qui perdurent en milieu professionnel ? Pour quelques affaires qui défraient la justice (un confrère1 condamné en juillet 2023), combien y a-t-il de violences sexistes et sexuelles (VSS) restées tues, parfois toute une vie ? Comme le souligne la désormais célèbre phrase du juge Edouard Durand: « Quand elles parlent, on leur reproche de faire de la délation; quand elles écrivent, on leur reproche de faire des réseaux sociaux un tribunal populaire; quand elles désignent l’agresseur, on leur reproche de lancer une chasse à l’homme; quand elles ne le nomment pas, on leur reproche leur manque de courage6. »
Une absence cruelle de données
La question des VSS n’a pas été posée dans les études sur le mal-être professionnel, même si des conduites sexistes y sont relatées2. L’Association contre la maltraitance animale et humaine3 (AMAH) a réalisé une enquête sur les violences subies (dite de victimation) en milieu professionnel et personnel auprès des praticiens et praticiennes (N = 465, 68,84 % de femmes) et des ISPV (inspecteurs de santé publique vétérinaires). Comme pour la majorité des professionnels de santé (interrogés par la MIPROF4), avec des valeurs inférieures, la prévalence des violences sexuelles et du harcèlement sexuel subis dans le milieu professionnel (6 à 13 %) est inférieure à celle de la sphère personnelle (17 à 20 %). Ce sont les seuls chiffres, à notre connaissance, dont nous disposons actuellement.
En faisant un appel à témoignages pour documenter les VSS dans le milieu vétérinaire5, j’ai ouvert la boîte de Pandore. C’est pourquoi je remercie les victimes qui m’ont contactée pour leur courage et pour leur confiance. Toutefois, la publication de certains témoignages s’est heurtée au mur juridique de la diffamation. Prise entre le marteau et l’enclume, j’ai donc fait au mieux, et je salue l’initiative salutaire de la page Facebook PayeTaChatte qui témoigne du besoin vital de faire entendre « le présent perpétuel de la souffrance6 », notamment avec les incivilités toujours banalisées de vétérinaires hommes et parfois de femmes, qui ont tant intégré les codes machistes.
Une violence banalisée
Il y a une dizaine d’années, Simone7 était assistante (donc postdiplômée, post-internat) dans une ENV quand elle a subi un geste déplacé de la part d’un professeur. Alors qu’elle marchait avec un étudiant (ou un collègue) dans une salle de consultation, cet éminent professeur, chef du service, adulé de tous, arrive en sens inverse avec sa résidente. « Avant que je ne puisse faire quoi que ce soit, il m’attrape la tête, m’embrasse rapidement sur la bouche et s’éloigne en riant… Je n’ai pas réagi sur le moment tellement cela m’a surprise ! Après avoir digéré le truc, lors d’un barbecue ensemble, j’en parle aux autres “cadres” du service qui banalisent l’incident : un petit acte anodin et une blague sans conséquence selon eux… ». Simone finit par accepter que ce n’est effectivement pas très grave et termine son contrat au sein de l’école. En parlant avec d’autres petites mains du service, elle découvre néanmoins que cette histoire n’étonne personne et que ce confrère avait la réputation de ne pas avoir un comportement toujours approprié envers le sexe féminin. « Lorsqu’il intervient dans la même clinique que moi, des années plus tard, je fait part de cette mésaventure à mes patrons de l’époque, qui ne montrent aucune réaction. Il est toujours resté très correct avec moi et avec l’équipe, même s’il a gardé son côté enjôleur et séducteur qui plaît tant à toutes les personnes gravitant autour de lui ! Je n’y pensais pas plus que ça jusqu’à récemment où j’en ai reparlé à plusieurs amies qui ont toutes souligné le côté anormal et dérangeant de cette action, la lecture de votre article dans La Semaine vétérinaire confirmant l’omerta des violences sexuelles dans les écoles (sans oublier les violences entre le personnel encadrant/hiérarchie et les étudiants). »
Quand la violence vient de l’autorité hiérarchique
La subordination hiérarchique des ASV ou techniciens/techniciennes, victimes de VSS, est une difficulté supplémentaire pour ces auxiliaires à faire entendre les faits, ou même à répondre à des enquêtes sur leur temps de travail. S’agissant d’une stagiaire osant mettre une gifle à un très médiatique véto pour ses mains baladeuses il y a quarante ans, combien sont restées sidérées ? Cette jeune vétérinaire témoigne avoir subi une main aux fesses par l’un de ses employeurs. « Je n’ai rien osé dire, c’est d’ailleurs ce qui me hante, bien plus que le geste, c’est la culpabilité d’avoir laissé penser que ce n’était pas grave, et le sentiment d’avoir été salie en me taisant. » La sidération fait partie des réactions normales lors d’un psychotrauma dont la prise en charge est essentielle.
« À mon premier entretien individuel, j’ai osé demander une augmentation, le vétérinaire m’a dit de me trouver un mari si j’avais besoin de plus d’argent. À côté de ça, il gardait pour lui tous les bons cadeaux qui nous étaient destinés. Je ne suis plus ASV aujourd’hui… Je suis salariée, respectée et bien payée ! », témoigne Corine Picard, aujourd’hui surveillante de travaux en assainissement pour une collectivité.
Une employée, qui a travaillé plus de dix ans dans une ENV, a souffert dans son unité de travail, tout comme ses collègues de sexe féminin, de remarques sexistes, de harcèlement, de dévalorisation permanente et de gestes déplacés de la part d’un collègue, connu pour son comportement sexiste. Il entrait dans les vestiaires des femmes, leur donnait des ordres alors qu’elles étaient aux toilettes et leur conseillait de mettre des tenues plus sexy. La hiérarchie vétérinaire a alors dédouané ce salarié. Après un nouveau geste déplacé en public et malgré une lettre cosignée par huit personnes du service adressée début 2018 à la direction de l’école ainsi qu’à la Direction générale de l’enseignement et de la recherche, aucun signalement à la justice n’a été fait. Une enquête indépendante a confirmé les faits décrits, soulignant les traumatismes psychologiques qui ont affecté ces femmes, parfois enceintes au moment des faits.
Droit de cuissage, loi du plus fort, quand le droit du travail est bafoué
Pour sa première expérience professionnelle, passionnée d’équine, Édith7 rejoint à 25 ans une équipe de huit vétérinaires, dont le directeur, de trente-cinq ans son aîné, s’entiche d’elle en usant de gestes déplacés. Au lieu de lui porter assistance, ses collègues féminines colportent des rumeurs, la dénigrent auprès des clients et l’isolent socialement du reste de l’équipe. Un soir, alors qu’elle est seule de garde avec les chevaux, son employeur débarque au milieu de la nuit. Elle donnera sa démission le lendemain. Plusieurs mois plus tard, elle se fera agresser verbalement en public par la femme de celui-ci, qui l’accusera d’avoir « couché » avec son mari. Dans une autre structure, après avoir pris position sur l’application du forfait jour, le non-respect du repos et du nombre de jours annuel travaillé, elle subit du harcèlement moral de la part de ses employeurs, et après plusieurs avertissements lui reprochant son autonomie dans la gestion de son emploi du temps, elle reçoit en recommandé une proposition de rupture conventionnelle (procédure qui par nature est à l’initiative du salarié). Effondrée, incapable d’articuler le moindre mot, paralysée, elle consulte son médecin : « Même si je savais que c’était injuste et illégal, j’ai accepté la rupture conventionnelle, c’était un réflexe de survie. Vu la toxicité dans certaines structures, je me suis posé la question d’arrêter ce métier plusieurs fois. Avec le temps et l’expérience, je mesure combien le fait d’être une femme, d’avoir une vision globale et stratégique, doublée d’une très bonne connaissance de notre convention collective et du droit du travail, semble irriter certains confrères à peine plus âgés que moi et qui ne savent qu’exprimer de la domination en lieu et place d’une collaboration constructive. »
Misogynie, sexisme et harcèlement moral
Une autre consœur raconte2. « Je pense qu’on peut qualifier ça de harcèlement moral. Dire “Mais ce n’est pas possible, mais t’es nulle ! Mais qu’est-ce que t’as fait ! » En chirurgie, il balançait tout par terre. Tous les instruments. Il hurlait aux ASV : “Mais on n’a pas un seul bistouri, dans cette clinique ? ». Et les ASV répondaient : « Ben ils sont tous par terre, quoi ! ». Enfin il était vraiment odieux. Je l’ai vu balancer de la Bétadine à la figure de notre ASV parce qu’elle ne lui avait pas donné la bonne, donc il lui a rebalancé le flacon. »
Des consœurs témoignent avoir subi des propos sexistes de la part de confrères : « Une femme ça ne va pas au cul des vaches », mais aussi de la part de certains clients qui disent par exemple à leur chien : « T’as de la chance kiki, j’aimerais bien être ta place » quand elles réalisent un toucher rectal. Parfois sous couvert d’humour : « Lors d’un de mes stages de fin d’étude, j’étais deuxième main pendant une chirurgie (le chirurgien était un homme). L’un des associés (65 ans au moment des faits, en 2017) rentre dans la pièce et me dit “Mais qu’est-ce que tu fais là ? Ta place est sous la table”. »
Éradiquer le sexisme et la culture de domination dans la profession demandera la mobilisation de chacune et chacun pour construire un respect mutuel salutaire.
Avec toute ma gratitude à celles qui ont accepté de s’exprimer.