IAHP : un impact massif sur la faune sauvage - La Semaine Vétérinaire n° 2033 du 03/05/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2033 du 03/05/2024

Biodiversité

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Au-delà de ses conséquences sur les filières d’élevage, le virus influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) du clade 2.3.4.4b auront aussi fortement impacté les populations sauvages, oiseaux comme mammifères. Le point avec Loïc Palumbo, chargé de recherche en épidémiologie et responsable de la surveillance renforcée de l’influenza aviaire chez la faune sauvage à l’Office français de la biodiversité.

Les années 2020 auront marqué un tournant pour le compartiment sauvage vis-à-vis de l’IAHP. Qu’est-ce qui a changé ?

Plusieurs phénomènes nouveaux se sont superposés. D’abord, l’observation d’une mortalité massive parmi les oiseaux sauvages. Auparavant, on découvrait un ou deux cadavres d’individus, mais pour 2022-2023, c’était plutôt de l’ordre de 10 à 20 cadavres sur une journée dans certaines zones, voire beaucoup plus ! Par exemple, dans les îles bretonnes, on a dénombré jusqu’à 30 à 40 cadavres par jour, pendant plusieurs jours d’affilée. C’est sans précédent pour le compartiment sauvage. De nouvelles espèces ont aussi été fortement touchées, comme les vautours fauves en France et en Espagne, ou les fous de Bassan en Bretagne (Sept-Îles), dans les colonies d’Écosse, dans la mer des Wadden et au Canada. En 2022 et 2023, a été constatée également une atteinte massive d’oiseaux marins de type laridés (goélands, mouettes, sternes). Par ailleurs, depuis l’été 2021, le virus circule de façon intense pendant la période estivale, alors que les épizooties d’influenza aviaire étaient caractérisées par une saisonnalité avec une période à risque en automne/hiver. Enfin, l’impact sur les mammifères a été beaucoup plus marqué, avec des détections plus nombreuses de franchissement de la barrière d’espèces. Dans la plupart des cas, il s’agissait de phénomènes isolés, la contamination se faisant par contact d’oiseaux infectés, voire par consommation. Mais on a aussi pu observer des mortalités massives de mammifères dans certaines zones à très forte densité de populations, comme en Amérique du Sud, avec la mort de milliers de mammifères marins, des otaries et des lions de mer. Au même endroit, a été constatée à cette période la mort de milliers de pélicans. Ces mortalités massives de populations de mammifères sur un espace limité, pose la question de la diffusion entre individus.

Certains territoires et certaines espèces ont-ils été plus fortement touchés que d’autres ?

Pour la France métropolitaine, globalement, il n’y a pas eu de territoires épargnés, même s’il est vrai que le pourtour Atlantique a été fortement touché, en lien avec l’écologie des populations d’oiseaux. Pour ce qui est des espèces touchées, on peut quand même noter une certaine tendance chez les laridés depuis 2022, avec un élargissement progressif du spectre d’espèces touchées au sein de cette famille. C’est lié à un génotype bien particulier, le FR9, qui est un réassortant entre un H5N1 HP et un H13 FP qui circule depuis longtemps chez les laridés. Par ailleurs, ce virus réassortant a conservé une capacité forte à passer la barrière d’espèces.

Le virus a-t-il fragilisé durablement certaines populations ?

Les données sont lacunaires quant à l’impact sur les écosystèmes. Après l’atteinte massive des fous de Bassan en 2022, il y avait une grande inquiétude pour la pérennité des populations en 2023, mais aucune mortalité importante n’a finalement été observée cette année-là, en lien notamment avec une immunité acquise. Ce qu’on peut dire est que de manière générale, en cas d’atteinte de populations sauvages plusieurs années consécutives, il y a un risque de déclin de ces populations. Cela appelle donc à suivre de près le compartiment sauvage. Après, il y a des cas particuliers. Par exemple, aux États-Unis, la -détection de quelques cas d’IAHP chez des condors de Californie, a rapidement mené les autorités sanitaires à envisager une campagne de vaccination1 pour protéger cette population très menacée. Il faut dire qu’elle ne comprend qu’une centaine d’individus, et que des efforts importants avaient déjà été faits pour conserver ces grands oiseaux. En France, ce type de solutions n’est pas envisagé, en partie car le règlement européen ne le permet pas, mais une réflexion est en cours par la réserve des terres australes et antarctiques françaises et des équipes de chercheurs pour les populations d’albatros d’Amsterdam dans les terres australes.

En 2024, le risque pour le compartiment sauvage est-il toujours aussi présent ?

Une accalmie est constatée depuis octobre 2023 en Europe2 et a priori en Amérique, mais on constate toujours des épisodes de mortalité, plus ou moins importants dans le monde, au sein de l’avifaune sauvage, illustrant le fait que le virus continue à circuler. Des détections ont notamment été faites récemment en Antarctique continentale, un territoire qui n’avait pas été touché jusqu’à présent. Cette accalmie pourrait être liée à une acquisition d’immunité, au moins partielle, permettant de réduire fortement les mortalités. Mais aussi à l’écologie des espèces par rapport aux évolutions du climat. Les deux phénomènes pouvant être concomitants. À noter qu’en dehors de l’Europe et de l’Amérique, les données sont plus parcellaires en Asie et en Afrique, même si par exemple on sait qu’il y a eu un épisode majeur de mortalité de manchots en Afrique du Sud en 2022 et 2023.

La prévention des épisodes de mortalité massive de la faune sauvage est-elle possible ?

Globalement, nos moyens sont limités. Malgré tout, en matière de prévention, il a été montré l'intérêt, au moins dans certains cas, d'éliminer les cadavres d'oiseaux afin de baisser la pression infectieuse, mais cela est à mettre en balance avec le risque des abandons de pontes et de nichées pour les populations les plus sensibles au stress, du fait de l'intervention humaine. Prévenir la circulation dans les élevages est aussi une partie de la solution afin d’éviter le retour du virus dans la faune sauvage. De plus, une évolution virale est toujours possible en cas de passage dans un élevage, vers de nouveaux génotypes pouvant engendrer de plus fortes mortalités ou toucher de nouvelles espèces. Ce retour à la faune sauvage bien que documenté est difficile aujourd’hui à quantifier et objectiver dans de nombreux cas.

Une circulation virale mondiale

Le virus de la lignée A/goose/Guangdong, détecté pour la première fois en Asie en 1996, a progressivement évolué et s’est diffusé dans le monde1. Après une première extension locale en Chine et en Asie du Sud-Est, le clade 2.2 (H5N1) a été à l’origine d’une première vague panzootique en 2005-2006 en Asie, en Europe, au Moyen-Orient, et en Afrique de l’Ouest. D’autres vagues ont suivi. En 2008, a émergé le clade 2.3.4.4b en Chine, donnant lieu à une nouvelle vague panzootique en 2016-2017 (H5N8 notamment) en Asie, au Moyen-Orient, en Europe, et en Afrique, puis une deuxième en 2020 toujours en cours qui s’est étendue jusqu’aux Amériques. Dernier territoire touché fin 2023 : l’Antarctique2, le virus ayant été introduit très probablement par les migrations d’oiseaux. 

1. https://urlz.fr/qoMe

2. https://urlz.fr/qoMi

Un large spectre de mammifères touchés

Selon les données de l’Efsa*, une cinquantaine d’espèces de mammifères, sauvages et domestiques, a été touchée par l’IAHP depuis 2016. Le sous-type H5N1 est celui qui a été le plus retrouvé dans les cas d’infections de mammifères, avec le biais que d’autres sous-types pourraient être moins visibles du fait d’un impact clinique moindre. Les phoques communs, les phoques gris et les renards roux ont été infectés par le plus grand nombre de sous-types en lien avec leur plus forte exposition à des oiseaux et leurs comportements de charognage. 

* https://urlz.fr/qoMn

  • 2. En Europe, le nombre de cas rapportés dans l’avifaune sauvage a été divisé par trois en décembre 2023-mars 2024, par rapport à la même période en hiver 2022-2023 (https://urlz.fr/qoMn).