L’animal en ville : pour un vivre ensemble harmonieux - La Semaine Vétérinaire n° 2033 du 03/05/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2033 du 03/05/2024

DOSSIER

Auteur(s) : Par Anne-Claire Gagnon

Ouvertes par Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, les assises de l’animal en ville se sont déroulées le 16 avril dernier au Conseil économique, social et environnemental (CESE). L’occasion notamment de dévoiler un livre blanc de l’animal en villecentré sur quatre thématiques : favoriser la présence du chien, maîtriser la prolifération et l’errance féline, préserver la faune sauvage, et gérer la cohabitation en ville avec les « liminaires ».

Élus, associations de professionnels du monde animal, de la protection animale ainsi que des représentants d’organisations et d’institutions, dont des vétérinaires, ont répondu présents à l’événement. Ces assises étaient organisées par le magazine 30 Millions d’amis, appartenant au groupe 1Health, et le site Peuple animal. La rencontre était sous le parrainage du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, avec le partenariat de Mars Petcare/Better Cities for Pets, Esthima et le Syndicat national des professions du chien et du chat (SNPCC), et une forte participation de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).

Julien Kouchner, le président de 1Health dont fait partie La Semaine Vétérinaire, a dévoilé la sortie du livre blanc de l’animal en ville (voir encadré), socle d’une véritable ambition des villes pour ce sujet sensible et important. Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, a souligné le rôle historique des associations de protection animale, des collectivités et des vétérinaires qui œuvrent au quotidien pour le bien-être animal, une des priorités du gouvernement pour laquelle des annonces prochaines sont attendues. Notamment l’interdiction enfin effective pour la France de la caudectomie, du tatouage (au profit de la seule identification électronique) et du port prolongé de la muselière et, dans le cadre du plan de l’État en faveur des carnivores domestiques, la prévention des abandons, avec, entre autres, la labellisation des compétences des éducateurs canins. La collaboration déjà active avec le ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, en matière de maltraitances animales, va désormais s’étendre au ministère de la Justice.

Replacer l’Homo urbanicus au sein du vivant

L’Association des maires de France (AMF) a nommé depuis un mois un référent bien-être animal (BEA) en la personne d’Eddie Aït, le maire de Carrières-sous-Poissy (Yvelines), fortement engagé pour la cause. Avec 80 millions d’animaux de compagnie et un regard des citoyens comme de la législation qui a changé, les maires sont conscients qu’agir pour la santé des animaux, c’est agir pour tous pour une santé globale et environnementale. « Dans les villes où des politiques sont mises en place pour le bien-être des animaux, on observe une diminution des nuisances et des actes de maltraitance, qui va de pair avec une meilleure qualité de vie pour les administrés. » Au sein des conseils municipaux, les élus en charge de la condition animale travaillent avec les vétérinaires, les associations de protection animale, la police, les pompiers, etc. Guides sur les droits et les devoirs des détenteurs, plans d’action, rejet de l’exploitation animale, critères prenant en compte les conditions d’élevage et d’abattage des animaux pour les commandes publiques, les initiatives des municipalités sont nombreuses pour que l’équilibre entre vie collective, conciliation avec la nature et la coexistence avec les animaux soit le meilleur possible. Les villes résilientes intègrent la biodiversité dans toutes leurs politiques. À noter que l’AMF avait été consultée pour l’élaboration de la loi du 30 novembre 2021 sur la maltraitance animale et, comme membre du comité de pilotage de l’observatoire des carnivores domestiques, elle a été auditionnée sur la question de la gestion des chats errants ou libres. 

Rappelant l’ampleur du déclin des oiseaux, avec 20 millions d’oiseaux en moins en Europe chaque année, Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), a souligné que les villes étaient des lieux de passage et d’hébergement pour de nombreuses espèces d’oiseaux, sous réserve de la préservation de la végétalisation. Il a appelé à une meilleure formation des élus et des employés des mairies à la biodiversité, afin de mieux revégétaliser, limiter la pollution lumineuse et rendre les villes plus accueillantes pour toutes les espèces.

Si le terme « nuisible » a disparu du vocabulaire juridique, il reste bien inscrit dans celui des concitoyens, ce qui en dit long sur les capacités à cohabiter. Pour exemple, qui serait serein de passer la nuit avec une souris, un rat ou un moustique (tigre ou pas) dans sa chambre ? Pourtant, ces trois espèces sont des « liminaires », à savoir des espèces animales vivant en liberté en milieu urbain, qui peuvent occasionner des dégâts, et qui nécessitent par conséquent une gestion de leurs populations. Bernardo Gallitelli, le directeur général de 1Health, a rappelé que, de tout temps, les villes ont été peuplées d’animaux. L’enquête réalisée par IPSOS a montré que 55 % des personnes ignorent la politique menée pour les animaux dans leur ville. Pour autant, 61 % d’entre elles estiment prioritaire la préservation de la biodiversité et la lutte contre les espèces susceptibles d’occasionner des dégâts, et 50 % considèrent nécessaire la gestion de l’errance et de la prolifération féline.

La ville de Bordeaux a souligné la nécessaire cohabitation pacifique avec les animaux, tout en prévenant les problèmes sanitaires. Les déchets de streetfood avec l’expansion des terrasses des restaurants sont responsables de la remontée des rats sur les chaussées, mettant à risque les commerces alimentaires où leur présence est strictement interdite. Comme avec les pigeons, la psychoéducation des citadins est essentielle.

Disposer de chiffres

François Genthial, journaliste, ancien rédacteur en chef du magazine Capital, a questionné les chiffres et leur absence, comme par exemple le coût d’un nichoir contraceptif pour les oiseaux (30 K€ + l’entretien) sans en connaître la rentabilité, l’écopâturage dans lequel Bordeaux est pionnière (23 K€/an pour un troupeau de brebis, plus onéreux actuellement que le budget des agents municipaux, mais plus durable). Le traitement d’une infestation par une colonie de rongeurs pour un immeuble de 20 étages (5 000 € + usage de produits toxiques) dépasse largement celui de sa prévention (1 500 €). De la même façon, lors de la rénovation d’immeubles de 5 étages, l’installation préventive de nichoirs compensatoires est bien moins coûteux (3 à 10 K€) que le retard des chantiers lié à leur arrêt se chiffran autour de 100 K€. La Ville de Strasbourg* s’est dotée d’instruments de tomographie de pointe pour diagnostiquer précisément l’état de santé des arbres et préserver ceux en bonne santé. 

L’industrie du petfood continue sa progression, avec une production et des emplois sur le territoire national. En ce qui concerne les propriétaires, malgré la crise économique, l’attachement à leurs animaux pousse 41 % de ceux aux revenus les plus modestes à sacrifier leur budget personnel pour les besoins de leur animal. François Genthial a cité des chiffres de la SPA avec une augmentation du coût moyen annuel des dépenses pour son animal qui est passé de 692 € à 942 € en 2023. Il a félicité les professionnels de santé vétérinaire qui, face aux difficultés financières des maîtres, proposent l’échelonnement des paiements, pratiqué dans tous les pays selon des modalités différentes (88 % en France, 74 % en Allemagne et 40 % en Angleterre et aux USA).

François Genthial a également évoqué l’exception française, avec le plus grand nombre de chats rapporté au nombre d’habitants et une espérance de vie qui est passée de 9,6 à 13,1 ans entre 2003 et 2020, qu’il attribue à la seule alimentation. La qualité des soins vétérinaires en médecine féline et l’information transmise aux propriétaires de chats ont progressé de concert, même si un chat sur deux n’est toujours pas identifié. Plus surprenant, il a cité le taux d’obésité des chats qui a décliné en dix ans, passant de 7,8 à 3 %, sans préciser de chiffre pour le surpoids (au-delà de 20 % du poids normal).

Ces assises ont été l’occasion de nombreux échanges et rencontres inspirantes avec des élus, des membres d’associations de protection animale, d’institutions professionnelles, des économistes, des urbanistes et des représentants des ministères.

Palmarès des villes

Les assises se sont terminées par la présentation du 9e palmarès des villes où il fait bon vivre avec son chien en 2024. Parmi les 42 villes en lice, c’est Lille qui garde sa première place avec 20/20 (notamment pour ses actions de solidarité alimentaire pour les propriétaires en difficulté), suivie par Nice et Bordeaux. Terre d’accueil par nature, Lille s’est portée candidate, par la voix de Christelle Libert, conseillère déléguée au bien-être animal, pour héberger les 16 et 17 avril 2025 le 1er congrès de l’animal en ville dont Julien Kouchner, président de 1Health, a annoncé la tenue.

20 mesures

Katia Renard, la rédactrice en chef de 30 Millions d’amis et de Peuple-animal.com, a présenté les 20 recommandations pour l’avenir proposées dans le livre blanc*, suite à l’échange d’expériences entre 42 villes, 3 agglomérations de villes, 1 région et 120 associations, organisations professionnelles, experts, chercheurs et entreprises concernés par la problématique de l’animal en ville. Les réflexions se sont articulées autour des quatre principales thématiques, favoriser la présence du chien en milieu urbain, maîtriser la prolifération et l’errance féline, préserver et restaurer la faune sauvage en ville et la question de la cohabitation en ville avec les liminaires (espèces susceptibles d’occasionner des dégâts).

Chien citadin et citoyen

L’accès aux transports publics semble essentiel pour que les chiens puissent accompagner leurs maîtres sur leur lieu de travail, dans les espaces verts, chez leur vétérinaire (notamment pour les personnes âgées).

La labellisation des éducateurs (qui n’adoptent pas tous encore des méthodes bienveillantes) est nécessaire, de même qu’une véritable formation des propriétaires. Si la loi du 30 novembre 2021 l’a prévue, elle n’est encore que théorique donc insuffisante, et on peut rêver d’un portefeuille de compétences graduelles, incluant au-delà du bien-vivre avec son chien, l’apprentissage de la préservation de la petite faune sauvage que certains chiens pourchassent sans vergogne.

Maîtriser la prolifération et l’errance

En ce qui concerne les chats, même si la proposition a fait débat au sein des professionnels réunis, la stérilisation obligatoire devrait permettre d’endiguer la prolifération et l’errance féline, dont Katia Renard aspire à ce qu’elle soit une cause nationale en 2025. Stopper l’entrée des chats en fourrière serait une mesure originale pour limiter l’hécatombe que subit la population féline. Même si les derniers chiffres datent de 2016, faute d’un dispositif pourtant promis par la DGAL pour comptabiliser les abandons passifs ou actifs, ils étaient édifiants avec plus de quatre chats sur dix euthanasiés à l’issue de la fourrière (pour cause sanitaire ou absence de sociabilisation, que les manipulations par du personnel non qualifié lors de leur séjour en fourrière aggrave) alors que neuf chiens sur dix sont restitués à leur maître. Confier ces chats directement à des associations de protection animale pour être stérilisés et remis sur site paraît pertinent.

Préserver et restaurer

Pour ce qui est de la petite faune sauvage, c’est à une véritable biodiverCity qu’ont rêvé les associations et les professionnels en proposant de réviser les pratiques du bâti, notamment en revégétalisant les aménagements, ou en ouvrant les clôtures pour laisser passer les hérissons. Et pourquoi pas représenter les non-humains dans les conseils municipaux ?

Cohabiter sereinement ?

Enfin les liminaires ont créé un débat nourri, car la cohabitation avec les moustiques tigres, les rats, les souris reste un sujet hypersensible. La proposition de repousser ces espèces liminaires sans les tuer est une première étape, en sécurisant l’espace public (poubelles, déchets de restauration des terrasses, composteurs) et en informant les citadins sur leur rôle essentiel. Permettre à chacun de comprendre la place de l’autre est la première étape pour changer ses réflexes, par exemple, exfiltrer une araignée plutôt que l’écraser.

Le livre blanc a été mis à disposition de 23 000 communes et 27 000 professionnels, avec l’objectif de pouvoir partager, s’inspirer et co-construire de nouvelles initiatives pour rendre les villes plus accueillantes pour les animaux et les humains.

https://evenements.peuple-animal.com/les-assises-de-l-animal-en-ville/content/publication

Des initiatives variées

La LPO tient à la disposition de tous les vétérinaires ses affiches pédagogiques, pour encadrer la prédation des chats d’extérieur.

Mars petcare a lancé une étude mondiale sur les animaux sans foyer. Depuis trois ans, la Marche de l’animal en ville rassemble début octobre les chiens et leurs propriétaires pour promouvoir le bien vivre ensemble. Rendez-vous est donné le 4 octobre à Lille, qui par ailleurs accueillera en juin la Woofest, un nouvel évènement animalier.

La Région Ile-de-France a mis en place un label Ville amie des animaux, qui récompense des villes de toutes tailles, avec deux sessions par an.

L’AMF soutient la biodiversité et les nombreuses initiatives des municipalités pour que l’équilibre entre vie collective, conciliation avec la nature et la coexistence avec les animaux soit le meilleur possible.

Le SNPCC regroupe 11 métiers animaliers pour lesquels l’ACACED est une formation minimale insuffisante a estimé Anne-Marie le Roueil, sa présidente. Le SNPCC encourage les bonnes pratiques et méthodes bienveillantes d’éducation et se réjouit du brevet de maîtrise d’éducateur-comportementaliste canin, félin et NAC, qui inclut la médiation animale, de niveau 5 de l’Éducation nationale.

Esthima autorise la présence des animaux de ses salariés et offre un jour de congé* lors d’un deuil animalier, une pratique encouragée par la charte du deuil animalier, portée par Marie Le Lan, élue de Suresnes.

* SantéVet accorde déjà deux journées de congés lors de l’adoption d’un animal et une journée lors de deuil animalier

Addendum

L’urbanimalisation n’a pas commencé en 1980 mais a été nommée comme telle par notre confrère Ange Condoret, qui fut président de l’Association française d’information et de recherche sur l’animal de compagnie (AFIRAC), la première à mener des actions pour les animaux auprès des villes.

  • Jacques Guérin, président de l’Ordre des vétérinaires. Interview lors des assises de l’animal sur http://www.bit.ly/44mSQLS