Prescrire des AINS sur le long terme chez le chat - La Semaine Vétérinaire n° 2033 du 03/05/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2033 du 03/05/2024

Thérapeutique 

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Deux associations d'experts ont publié un nouveau consensus sur l’utilisation des anti-inflammatoires non stéroïdiens pour la douleur chronique chez le chat. Ces molécules sont relativement bien tolérées mais nécessitent quelques précautions.

Il est tout à fait possible de prescrire pour une durée prolongée des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) à un chat souffrant de douleur chronique. Mais des précautions doivent être respectées, détaillent les experts de l’International Society of Feline Medicine (ISFM), en collaboration avec l’American Association of Feline Practitioners (AAFP) dans un nouveau consensus1. Plusieurs troubles de la santé répondent aux AINS, et pas seulement les processus arthrosiques (ou plus globalement les maladies articulaires dégénératives2) : maladie parodontale, cystite idiopathique féline, affections oculaires comme l’uvéite, processus néoplasiques, affections gastrointestinales, syndrome de la douleur orofaciale, douleur post-chirurgicale (liste non exhaustive). Le méloxicam et le robenacoxib sont les deux principales molécules étudiées, « avec des preuves solides de leur sécurité et efficacité dans la prise en charge de la douleur liée aux maladies articulaires dégénératives, y compris pour les chats atteints d’insuffisance rénale chronique stable et précoce ». La prescription d’AINS repose sur une évaluation correcte du processus douloureux.

Identifier la douleur chronique

Selon les experts, ce sont les changements comportementaux de l’animal qui s’avèrent les meilleurs indicateurs cliniques. Cela dit, le diagnostic passe par un examen clinique complet (orthopédique, neurologique, dentaire/buccal, ophtalmique) sous sédation si besoin, incluant des examens d’imagerie dans certains cas. L’aide de vidéos prises au domicile du patient est un plus. Le praticien pourra s’appuyer aussi sur des échelles validées d’évaluation de la douleur. Dans la publication, un tableau résume les signes comportementaux et les résultats d’un examen physique des principaux troubles de santé associés à une douleur chronique.

Dans certains cas, il peut être difficile de conclure avec certitude à une douleur chronique. Pour lever le doute, il est possible d’en passer par un essai de traitement analgésique, avec une surveillance très objective de la réponse thérapeutique. Attention tout de même : selon les experts, à ce jour, il existe en réalité peu de preuves de l’efficacité des analgésiques pour la douleur chronique des chats, mis à part de l’usage des AINS et des anticorps monoclonaux anti-NGF (anti-Nerve Growth Factor, soit anti-facteur de croissance nerveuse) pour la douleur arthrosique. « L’absence d’amélioration à la suite d’un traitement d’essai ne permet pas d’exclure complètement la présence d’une douleur chronique ».

S’assurer de l’absence de contre-indication

Une prescription d’AINS impose de s’assurer que le chat supportera bien ce traitement sur une période longue. Ce qui nécessite d’identifier toutes les situations cliniques à risque, et les éventuels traitements déjà pris par le chat. Outre l’examen clinique, les auteurs recommandent de procéder à des analyses sanguines de base (taux d'hématocrites au minimum, numération formule sanguine complète idéale pour évaluer une éventuelle anémie ; biochimie pour évaluer les paramètres hématiques et rénaux) mais aussi de mesurer la pression artérielle systolique et de faire un examen du fond de l’œil. Un examen urinaire est essentiel pour les experts, avec la mesure du rapport protéines/créatinine en cas de détection d’une protéinurie. Il existe plusieurs contre-indications absolues, parmi lesquelles l'hypovolémie, l'hypotension, une insuffisance rénale chronique (IRC) à un stade avancé ou instable, un traitement qui affecte la fonction rénale, des signes digestifs. Tout comme d’autres situations appelant à plus de vigilance pour le suivi : un animal âgé, une anémie, un autre traitement, une insuffisance rénale chronique… Pour cette dernière maladie, les experts précisent qu’à ce jour, il y a peu de preuves « soutenant ou réfutant l’utilisation à long terme des AINS chez les chats souffrant de douleur chronique et d’insuffisance rénale concomitante ». Malgré tout, il est tout à fait possible de l’envisager, à la condition que l’animal ait une maladie stableainsi en va-t-il pour celui dont le niveau de créatinine a peu évolué pendant au moins deux mois, sans hypertension ni protéinurie ni infections urinaires, ou dont les affections concomitantes sont bien contrôlées (hypertension, hyperphosphatémie, protéinuries). Un topo explicatif détaille précisément les modalités de prescription dans le cas d’une IRC. Un tableau détaille aussi les principales interactions médicamenteuses, et la marche à suivre pour réduire le risque d’effets indésirables. Selon les experts, l’apparition de la plupart des effets indésirables est liée à un usage incorrect du médicament. Certains effets peuvent tout de même survenir malgré un usage correct (réactions médicamenteuses idiosyncrasiques).

Travailler l’environnement

En ce qui concerne le choix de la molécule, les experts estiment que le méloxicam et le robenacoxib sont les AINS de choix pour la gestion de la douleur à long terme. Le dosage peut varier suivant les cas, tout comme la fréquence d’administration (tous les jours, tous les deux jours…). En cas de fréquence abaissée, il convient de bien surveiller la douleur afin d’éviter tout « traitement sous-optimal ». Pour la dose, la stratégie de la plus petite dose efficace est recommandée « bien que les données d’efficacité disponibles à ce sujet soient limitées ». À noter qu'en cas d’incertitude, d’autres analgésiques peuvent être envisagés tels que des anticorps anti-NGF en cas d’arthrose.

Les signes comportementaux demeurent les meilleurs indicateurs de la réponse au traitement, notamment pour la douleur neuropathique pour laquelle les AINS peuvent ne pas être adaptés. Le praticien doit aussi s’aider des échelles de douleur pour standardiser le suivi. Par ailleurs, à ce jour, il n’y a pas de données qui permettent de déterminer le nombre d’analyses sanguines de suivi à réaliser. Malgré tout, les experts recommandent d'effectuer une prise de sang tous les six mois pour les patients stables, tout comme pour ceux avec une IRC bien contrôlée. Un suivi plus fréquent de la créatinine pourrait être conseillé pour les chats recevant du robenacoxib. En cas de changement d’AINS quelle qu’en soit la raison (coût, effets indésirables…), les experts recommandent de respecter une période sans traitement.

La prescription n’est rien sans un travail sur l’environnement de l’animal, afin d’améliorer l’accessibilité des ressources. Tout comme la prise en compte des émotions de l’animal, tant à la maison qu’en clinique vétérinaire, sachant que les émotions positives diminuent la perception de la douleur. À noter qu’il existe un phénomène nommé analgésie induite par le stress : une situation de stress intense, de douleur, de peur, peut entraîner une réduction de la perception de la douleur par mécanisme de survie. Ce phénomène est à prendre en compte pour ne pas sous-estimer la douleur chronique chez le chat, notamment en clinique où l’équipe devra s’attacher à réduire les facteurs de stress.

Double fardeau

La prescription prolongée peut aller de pair avec ce qui est qualifié de « fardeau du soignant ». En parallèle, un chat auquel on administre plusieurs médicaments expérimente le « fardeau de pilules » associé à des émotions négatives. Un soutien mental du détenteur de l’animal par l’équipe soignante « par des conversations ouvertes sur les défis et succès qu’il a rencontrés » pourra s’avérer bénéfique. Pour le chat, l’administration du traitement dans sa nourriture habituelle n’est pas conseillée au risque d’une aversion alimentaire.

  • 2. La MAD intègre la dégénérescence de tout type d’articulation et pas seulement synoviale (intervertébrales, fibrocartilagineuses, appendiculaires).