Le forfait, une clé pour le maillage vétérinaire ? - La Semaine Vétérinaire n° 2034 du 17/05/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2034 du 17/05/2024

DOSSIER

Auteur(s) : Par Marine Neveux

Une journée de réflexion était organisée par la cellule de surveillance et de soutien du maillage de l’Ordre national des vétérinaires le 17 avril dernier à Paris dans les locaux de la chambre d’agriculture. L’occasion de débattre sur les solutions pour pallier la désertification rurale. La forfaitisation apparait notamment comme une autre façon de rémunérer le vétérinaire. Décryptage.

« Quelles solutions pour le maillage ? Le forfait, une autre façon de rémunérer le vétérinaire » a été le fil rouge de la journée riche d’échanges. Pascal Ferey, président de la chambre d’agriculture de la Manche estime qu’il faut rassurer les jeunes pour que le métier d’éleveur soit un métier d’avenir. Il associe les vétérinaires au monde de l’élevage et pose la question de « Comment construire cette relation de confiance qui permet d’affirmer et d’affiner nos liens ? ». Dans cinq ans, un tiers des éleveurs auront quitté ce métier à l’âge de la retraite. Ainsi, il précise : « Il faut assurer la reconnaissance du monde de l’élevage dans nos territoires, préserver un revenu qui ne doit pas passer exclusivement par les largesses de la politique agricole commune (PAC) mais par la valeur du produit » et de poursuivre sur la pertinence de « continuer d’avoir cette excellence de soins avec les partenaires sanitaires que sont les vétérinaires. Il faut aussi que l’on soit capable d’innover dans cette relation ».

Scruter, anticiper les difficultés du maillage

Matthieu Mourou, membre du conseil national de l’Ordre en charge du maillage, et praticien dans les Pyrénées-Atlantiques, rappelle que « le maillage vétérinaire est un enjeu majeur, en termes de souveraineté alimentaire, de santé publique, et de sécurité sanitaire des aliments. Face à ce constat, l’enjeu est de nous saisir du sujet et d’impulser des dynamiques de territoires. Face aux causes si vastes, il n’y a pas une solution mais des solutions ». Il invite ainsi à réinventer la relation éleveur – vétérinaire. « Il est nécessaire de redonner du sens, de l’énergie à la médecine rurale. »

« Avant 2016, il y avait de nombreuses alertes, mais rien ne permettait de les matérialiser. » En 2019, la publication de l’étude prospective sur la profession a permis de dresser des premiers constats sur le maillage vétérinaire. Puis la fermeture d’un cabinet vétérinaire dans l’Aude a permis de mesurer l’urgence en mettant en exergue les difficultés inhérentes à l’exercice rural, et en pointant la désertification vétérinaire.

En décembre 2020, la promulgation de la loi Ddaddue 3 qui aide l’installation de confrères était une avancée prometteuse mais son application restait floue à l’époque. En 2021, la parution de différents décrets d’application a permis d’apporter des précisions.

Des diagnostics pour construire un plan d’action

Il y a deux ans, prenait forme l’appel à manifestation d’intérêt lancé par l’Ordre et le ministère de l’Agriculture. Le principe était de permettre aux territoires volontaires de bénéficier d’un diagnostic de leur situation (évaluation sur le plan qualitatif et quantitatif de l’offre vétérinaire et de la demande des élevages) et de coconstruire un plan d’action adapté aux besoins. Parmi les 23 terriroires qui avaient alors candidaté, 11 avaient été retenus, dont 5 territoires avec trois points en commun : des tensions peu perceptibles par les éleveurs mais perceptibles par les cliniques, des territoires qui présentent un avenir sombre dans les cinq années à venir.

Les facteurs de réussite permettant de construire un plan d’actions pour pallier la désertification sont la capacité à rassembler toutes les parties autour de la table, établir un constat clair autour du diagnostic qui permet de construire des solutions adaptées aux territoires. « La diversité des territoires impose un cadre local », insiste Matthieu Mourou. « La résilience du maillage face à la baisse de densité de l’élevage passe par l’attractivité des établissements vétérinaires et la résolution des problèmes organisationnels et humains. Une vision prospective est vitale. »

Un centre de ressources est accessible au public, dont 12 fiches d’actions qui sont le reflet des diagnostics territoriaux. Ces fiches portent sur l’accueil et le logement, la permanence et la continuité de soins, la mutualisation, l’aide à l’équipement, la collaboration entre vétérinaires traitants et référents, etc.

Un rapport public a été remis au ministre en avril 2023. Les différents acteurs ont créé la cellule de surveillance et d’appui au maintien d’un maillage vétérinaire. Ses missions : surveiller (analyse de données, recueil d’informations), alerter, déclencher un diagnostic de territoire, accompagner, suivre, innover, expérimenter.

Pourquoi la forfaitisation ?

La forfaitisation peut être une clé d’action. Elle nécessite un engagement bilatéral, un règlement des prestations échelonné sur l’année, un service qui peut être partiellement déterminé à l’avance. Frédéric Arzur, praticien dans le Finistère, témoigne de son expérience : « Aujourd’hui, on a plutôt une facturation au nombre de vêlages (et non à la tête). Dans la contractualisation, on intègre tout. » Le témoignage de Sébastien Landais, éleveur en Mayenne, apporte un retour positif sur ce type de relation contractuelle avec le vétérinaire : « On a gagné en sérénité, on a une relation totalement de confiance avec le vétérinaire qui passe une fois par mois avec un œil extérieur à l’élevage. On peut appeler le vétérinaire pour tout renseignement, question ou souci. » Frédéric Arzur insiste aussi sur cette notion de sérénité : « Les éleveurs gagnent en sérénité et en confiance. »

Sérénité et approche préventive

Julien Le Thual, praticien en Ille-et-Vilaine, explique que le forfait fait partie de l’offre de services de sa structure depuis une dizaine d’années. « À la base, c’était une demande de quelques éleveurs avec qui on travaillait en confiance. Leur réaction a été positive dès le départ. À un moment donné, il faut changer de paradigme et ne pas considérer le vétérinaire comme un coût mais comme un investissement. C’est gagnant-gagnant. Il y a un gain en charge psychologique aussi, les éleveurs ont une tranquillité d’esprit qui ne se mesure pas. » Comment les jeunes vétérinaires appréhendent cette contractualisation ? « Très positivement. On a une approche plus positive sur le suivi des cas. Il n’y a que du positif pour motiver des confrères sur la rurale. » Frédéric Arzur retient aussi que ce partenariat permet de renforcer l’approche préventive de la médecine. « On est plus pertinent grâce à ce rapport de confiance, on va effectuer plus d’examens complémentaires, il y a moins d’interventions d’urgence qui désorganisent, il y a plus d’interventions de prévention. »

Antoine Prioux, éleveur en Mayenne, témoigne aussi de la confiance qui s’est établie. « On a amélioré beaucoup de points sur la production laitière, avec moins de mortalité des veaux, etc. Ce qui est important avec ce système, c’est aussi d’anticiper le diagnostic sur les vaches, avec un sexage, de disposer d’une prévision laitière, etc. »

Olivier Crenn, praticien en Mayenne, témoigne que le forfait favorise la communication entre l’éleveur et le vétérinaire. « On est dans une communication où l’on a aboli les distances clients – patients. On dit aux éleveurs : “surtout n’hésitez pas à téléphoner”. En forfaitisation, ces éleveurs sont premium, les relations sont très bonnes. L’avantage, c’est que la première ligne d’intervention va aussi être contrôlée par nous. L’éleveur ne va pas tenter des soins tout seul. »

Des études de terrain 

Florence Beaugrand, maître de conférences en sciences de gestion à Oniris Nantes, a réalisé un travail de recherche pour évaluer l’intérêt de la mise en place d’un forfait. Elle a mené son étude en procédant à deux enquêtes, l’une en passant par des entretiens, l’autre en se basant sur des modélisations.

L’étude de terrain a été effectuée sur trois cliniques du Grand Ouest, où des contrats avaient été initiés entre 2015 et 2017 (le forfait en était le point principal). Les réponses montrent une très grande homogénéité pour les éleveurs interrogés : ils appellent plus vite le vétérinaire, plus fréquemment, ils ont moins de pertes d’animaux, car les diagnostics sont plus précoces et les traitements plus adaptés. Il y a moins de mésusages sur les antibiotiques et les antiparasitaires. Les pharmacies de ces élevages sont presque vides (en dehors de quelques rares produits d’urgence). L’enquête montre aussi de nettes améliorations sur les performances d’élevage, la reproduction (gain sur le temps de l’insémination, sur l’âge au premier vêlage, sur l’intervalle entre deux vêlages), les cétoses, les taux, etc. Les paramètres où il y a le plus de doutes ou d’insatisfaction concernent le renouvellement du troupeau avec la difficulté de savoir quelle vache envoyer à la réforme, car elles vont toutes bien, donc la stratégie de renouvellement se modifie !

Autres observations : une meilleure relation de travail, de la confiance, et le passage progressif à une médecine préventive de troupeau. « Il y a une grande part de travail planifié qui se met en route avec le vétérinaire mais aussi en amont », explique Florence Beaugrand. « Cette organisation un peu cadrée va donner davantage de sérénité à tout le monde. » Cela représente un coût vétérinaire plus important, car on met en place plus de prévention, mais c’est compensé par le gain de production. Autre bénéfice : la baisse de la charge mentale. « On délègue tout cela aux vétérinaires, ce qui inverse la délégation. Cette sérénité est un point que nous avions sous-estimé dans notre entretien mais qui est ressortie systématiquement ! ». Point de vigilance de l’enquête : les conclusions sont établies sur un échantillon limité.

L’impact économique

Nathalie Bareille, enseignante chercheuse à Oniris Nantes, s’est attachée à étudier l’impact économique du forfait de soins et de suivi. Elle pose les questions : Est-ce rentable pour l’éleveur ? Quel est l’impact du contrat forfait de soins sur les performances et l’économie ? L’approche de cette deuxième phase de l’étude s’est effectuée sur un modèle de troupeau à l’aide d’un simulateur où l’on représente tous les animaux du troupeau géré par un éleveur. L’idée est de ne changer que les effets du contrat sur la vie de cette exploitation.

Nicolas Courdent, praticien dans le Rhône, a soutenu une thèse de doctorat vétérinaire sur la contractualisation individuelle. Il est également titulaire d’un master en management et gestion des entreprises vétérinaires. Au cours de ce master, il a travaillé sur la contractualisation collective. Lors de son travail de thèse de doctorat vétérinaire, il a observé que le chiffre d’affaires augmentait de 20 % par vache et par an lorsque la forfaitisation était en place. Pour les actes, cela représente + 4 % de part du CA global. Et par vache et par an, + 66 % pour la médecine préventive. Le nombre de consultations en garde diminue de 54 %, alors que les consultations en journée augmentent de + 84 %. Cette étude a été menée lors de la première année de mise en place dans des élevages de bovins laitiers, il faudrait regarder sur d’autres années. « Au quotidien, je travaille en contractualisation collective », poursuit Nicolas Courdent, « on prend tout en charge, il n’y a pas de surcoût pour l’éleveur en cas de visite d’urgence. On réalise aussi moitié moins de visites en garde. On prend en charge toutes les chirurgies qu’elles soient simples ou complexes ». Notre confrère met aussi en place des réunions d’échanges avec les éleveurs. « On a tout à y gagner. La mise en place demande du temps et de l’énergie », conclut-il.

Un engagement mutuel

Lors de la table ronde, Pascal Ferey a martelé l’importance de s’intéresser aux territoires en début de déprise, « il faut redonner une âme à ces territoires par le projet politique, qui passera par le renouvellement des installations ». La formation est aussi importante. « L’aspiration des jeunes n’est pas forcément celle que nous avions de père en fils. Il faut regarder quels sont les besoins de la jeune génération. Il faut leur offrir des services, des sachants. Le vétérinaire pompier, pour moi, il est derrière. J’ai besoin du vétérinaire sachant dans son approche globale. »

Hervé Marie, agriculteur producteur de lait dans le Cotentin, président du groupement départemental de défense sanitaire (GDS) de la Manche porte un regard positif sur le forfait. « Le GDS en parle systématiquement à tous les jeunes. Dans les élevages qui ont mis en place ce système, il y a moins d’interventions des pompiers, il y a moins d’antibiotiques, car les vétérinaires travaillent sur les tarissements. Ils apportent leur expertise sur l’alimentation, c’est intéressant aussi. »

Tiffany Lequertier, praticienne en Mayenne, estime aussi que la contractualisation est pertinente : « Cela me permet de faire ma place auprès des éleveurs. Le fait qu’ils ne payent pas à l’acte engendre un climat plus serein. » Charles Fossé, éleveur en Bretagne, ajoute : « Si l’on veut des vétérinaires demain, il faut savoir comment on s’engage auprès d’eux et auprès de la jeune génération de vétérinaires. Notamment comme ils s’orientent plus vers la pratique canine, il faut un engagement mutuel. »

Et la génération de demain, qu’en pense-t-elle ? Aymeric Guillemot, étudiant vétérinaire à Oniris Nantes, qui réalise une thèse sur la contractualisation, observe que la forfaitisation attire. « C’est un facteur de fidélisation. » Hervé Marie reconnaît : « Nous avons la chance dans nos cliniques vétérinaires d’avoir de jeunes vétérinaires. Le bien-être animal, c’est d’avoir un maillage vétérinaire qui répond à l’urgence de l’animal et de l’éleveur. On aura ce système de garde et de pompier que si autour on dispose d’un système qui fonctionne bien. » Et Tiffany Lequertier d’ajouter que « le lien de confiance avec les éleveurs, c’est la base. Dans ce système de contrat, on a des liens ».

Les stages tutorés vecteurs de vocation

Jacques Guérin, président de l’Ordre national des vétérinaires a insisté sur la réflexion du premier contact entre l’étudiant vétérinaire et le monde de l’élevage. Depuis quelques années, une politique de stages tutorés se développe dans les écoles vétérinaires permettant à des étudiants d’être très imprégnés dans le monde rural dès leur premier contact. Les stages tutorés apportent beaucoup, reconnaît Tiffany Lequertier : « Ces stages m’ont confortée dans la volonté de ne faire que de la rurale. Cela permet aussi de conforter le choix des cliniques ».

Pour Pascal Ferey « Si l’on n’est pas capable de reconnaitre qu’un sachant de 7 ans d’études après le bac ne peut pas être mieux rémunéré qu’un mecano avec un cursus de CAP, on ne pourra pas voir la contractualisation se concrétiser. Ne comptons pas sur le gouvernement pour régler le problème, c’est à nous de trouver des solutions ».

Pour Alain Meyer, praticien à Vouziers (Arnnes), « ce n’est pas possible de mettre une contractualisation avec les tarifs déficitaires des missions de service public liées au mandat sanitaire ». Et Pascal Ferey de souhaiter que l’on ne mélange pas ce qui tient du privé, de ce qui tient de la mission publique de l’État. Mais il s’interroge : « Quelle est l’ambition de l’État ? Avoir un haut niveau sanitaire ? ».

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