FORMATION MIXTE
Auteur(s) : Juliette Pichery CONFÉRENCIÈRE ANNE RELUN (N 03), maître de conférences à ONIRIS, spécialiste en gestion de la santé des bovins, Dipl. ECBHM Article rédigé d’après la conférence « Maladie de Mortellaro : actualités sur la prévention, le diagnostic et les traitements », lors de la 13e journée vétérinaire bretonne du GTV Bretagne, le 26 mars 2024.
La dermatite digitale, ainsi qu’elle est référencée dans la littérature – anciennement maladie de Mortellaro –, continue d’être au cœur de nombreuses recherches en raison de son taux de prévalence, de son impact sur l'économie de l'exploitation et sur le bien-être animal.
La dermatite digitale touche 70 à 90 % des troupeaux français, avec 5 à 30 % des vaches atteintes en leur sein. Son éradication est à l’heure actuelle toujours illusoire. Pire, la maladie serait même plutôt en expansion, car on voit apparaître des cas dans des élevages jusqu’alors relativement épargnés, comme chez les bovins allaitants ou les jeunes bovins de boucherie.
Microbiote cutané et sélection génétique
Le microbiote des pieds du bovin développant des lésions de dermatite digitale est différent de celui d'animaux sains. Ainsi, quatre tréponèmes majeurs sont régulièrement isolés, dont l’implication varie en fonction du stade de la maladie. Toutefois, une inoculation de ces tréponèmes seuls sur la peau des bovins ne suffit pas à déclencher la maladie sans abrasion associée. D’autres bactéries au rôle incertain sont impliquées, notamment les mycoplasmes. Cette prolifération impacte négativement d’autres bactéries qu’on retrouve dans des proportions diverses sur des pieds sains, définissant une dysbiose.
La sensibilité génétique aurait aussi un impact sur la dermatite. Les éleveurs rapportent que certains individus seraient plus ou moins atteints, sans qu’on sache si cela est dû à une conformation particulière des pieds ou à une réponse immunitaire individuelle. Il s’avère en réalité que l’héritabilité de la maladie est relativement faible, mais cette information est à pondérer avec une forte variabilité : on peut donc malgré tout sélectionner sur ce caractère.
Tous ces éléments ouvrent la perspective de l’élaboration d’index génétique. Ainsi, en Angleterre on a montré que des vaches avec un index plus élevé pour la dermatite digitale avaient moins de risques d’en être atteintes et moins de risques de développer d’autres lésions podales.
La conduite d’élevage
Si l’éradication des tréponèmes est illusoire, il convient de chercher à limiter au mieux leur propagation. Pour cela, le matériel d’élevage est un facteur crucial : sur les outils de parage par exemple, les bactéries ont une survie moyenne de 2 heures. Le choix d’un protocole de désinfection fiable est donc indispensable. Trois produits testés ont prouvé leur efficacité : le Virkon 2 %, l’eau de javel 2 % et le FAM30 1 %. À ces concentrations, un trempage de 20 secondes est suffisant.
La survie des tréponèmes dans le milieu extérieur a également été documentée. Les bactéries survivent à des températures comprises entre 4 °C et 37 °C en anaérobiose et à des pH allant de 5,5 à 9. Le pH abomasal est donc trop acide pour permettre une survie des tréponèmes et une excrétion dans les bouses. En aérobiose, la durée de vie des bactéries dépend du substrat : de 15 minutes dans la paille jusqu’à plus de 7 jours dans le sable, avec une moyenne de 5 jours dans le fumier recyclé : la litière choisie a toute son importance. Les tapis sur aire d’exercice auraient aussi un effet protecteur.
La nutrition joue aussi un rôle dans la maîtrise de la dermatite digitale. Actuellement, on sait que le risque augmente avec l’utilisation de concentrés, même si les mécanismes sont encore obscurs : l’acidose, la consistance liquide des bouses ou encore le microbiote pourraient tous avoir leur part de responsabilité. Un article a montré l’intérêt de réaliser une cure d’oligo-éléments en début d’engraissement chez les jeunes bovins de boucherie, pour limiter l’impact de la maladie.
D’autres facteurs de conduite d’élevage ont été évoqués : le délai entre la mise en place du traitement et la prévalence, l’effet protecteur de l’alpage en été, la diminution des contaminations en stabulation entravée avec des animaux qui se déplacent peu, ou encore une nette diminution du risque de développer une dermatite si l’élevage ne réalise aucun achat.
Détection de la dermatite digitale
L'amélioration de la détection de la dermatite est un sujet d’étude. L’automatisation permettrait un tri facilité des animaux, voire une quantification des lésions essentielles pour le suivi. Plusieurs études ont ainsi été menées, notamment via l’utilisation de caméras GoPro ou infrarouges en salle de traite. On a ainsi pu remarquer que les températures étaient plus élevées au stade M2 (lésion aigüe superficielle ulcérative). Ces résultats sont en revanche à interpréter en fonction de la note d'état corporel, de la parité, de l’ambiance…
Il est aujourd’hui possible de doser des antigènes de tréponèmes dans le lait, mais si ce facteur est utile pour classifier les troupeaux (atteints ou non atteints), il manque encore de précisions pour en assurer le suivi.
Traitements individuels
L’intérêt du pansement fait toujours consensus : bien appliqué, il permet une guérison en 2 à 3 semaines et empêche de manière significative le passage à la chronicité, sans différence notable en fonction du produit utilisé. Oniris utilise le protocole suivant : application d'un topique, pose d’une compresse, de la bande à pied, puis de goudron de Norvège. Ce pansement est à laisser une semaine en place et à renouveler toutes les semaines jusqu’à la guérison.
L’utilisation de topiques est aussi documentée. On peut par exemple citer l’acide salicylique (Novaderma®, AMM en Allemagne), très en vogue dans les pays nordiques, malgré une reprotoxicité avérée sur l’homme. La phénytoïne, médicament humain anticonvulsivant utilisé en pulvérisation dans le Healosol®, se distingue par une action cicatrisante et anti-inflammatoire. Le sulfate de cuivre associé à la teinture d’iode montrerait aussi des résultats encourageants, mais comme les spécialités citées précédemment, aucune AMM n’est disponible en France.
La thérapie photodynamique, qui consiste en l’application d’un agent photosensibilisant comme le bleu de méthylène directement sur les lésions pourrait être prometteuse. Elle est déjà utilisée en médecine humaine dans le traitement des lésions cutanées, mais la question de l’applicabilité en ferme se pose.
L’usage des anti-inflammatoires se distingue toujours par son effet très significatif sur les vaches qui boitent. Aucune amélioration notable (production notamment) n’est en revanche notée sur les vaches sans boiterie.
Pédiluves et flores de barrière
De plus en plus d’études se focalisent sur l’émergence des flores de barrière, qui consiste en la pulvérisation de probiotiques directement sur les pattes. Toutes les molécules ne font pas leurs preuves mais une efficacité préventive des probiotiques se démarque malgré tout. En élevage de jeunes bovins, leur pulvérisation directement dans la litière semble prometteuse.
Nous ne disposons toujours pas de remède miracle pour la gestion de la dermatite digitale, mais les études se poursuivent et les connaissances progressent. Elle reste une maladie multifactorielle complexe et la mise en commun de toutes les ressources dont on dispose est nécessaire pour adapter la prise en charge en fonction de chaque élevage.