Les ENV à la pointe des innovations pédagogiques - La Semaine Vétérinaire n° 2035 du 24/05/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2035 du 24/05/2024

Conférence

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Des nouvelles méthodes d’apprentissage émergent dans les écoles nationales vétérinaires. Elles permettent une montée en compétences plus sereine, tout comme elles optimisent le temps d’enseignement. Le numérique y trouve une place croissante. 

Dans les écoles vétérinaires, l’approche par compétences prime depuis plusieurs années. Le principe : organiser le cursus, les enseignements et les évaluations sous l’angle de l’acquisition des compétences minimales à maîtriser le jour de l’obtention du diplôme. Dans ce cadre, les enseignants développent plus particulièrement pour la pratique clinique de nouvelles méthodes d’apprentissage telles que présentées à l’Académie vétérinaire de France, le 25 avril dernier. Elles permettent d’une part d’outrepasser certaines limites structurelles des écoles, comme l’a expliqué en introduction Dan Rosenberg (A 94), ancien maître de conférences en médecine interne à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA) : « L’acquisition de compétences est dépendante de la répétition des actes et des raisonnements dans des conditions au plus près de la réalité professionnelle. Or, ces conditions sont de plus en plus difficiles à réunir dans les ENV. Les CHUV peinent à organiser un parcours qui garantisse la complétude de l’homogénéité des apprentissages en situation pratique. » D’autre part, il apparaît que ces nouvelles méthodes favorisent une montée en compétences plus progressive et sereine, tout en étant plus attractives pour les nouvelles générations d’étudiants.

S’essayer à la pratique sur des modèles

Premier exemple choisi : la salle de simulation médicale. Les quatre écoles en sont équipées. Le principe : acquérir la maîtrise d’un certain nombre de gestes techniques sur des mannequins et modèles inertes, avant de les réaliser sur des animaux bien vivants. Anne Gogny (N 92), praticienne hospitalière à Oniris, est venue présenter l’expérience acquise à Oniris après sept ans de fonctionnement. « On doit transmettre des gestes qui sont pour la plupart complexes et qui nécessitent un enseignement rapproché dans un contexte où le temps enseignant est limité. Ces gestes ont une courbe d’apprentissage assez longue avec des étudiants qui ne sont pas sélectionnés sur des critères d’habileté manuelle… Les profils d’étudiants sont donc variés. On observe aussi un problème de confiance en soi », a-t-elle expliqué. La salle de simulation étant en accès libre, elle présente l’avantage de pouvoir apprendre à son rythme et surtout de répéter les gestes « à l’infini » ; les modèles permettent de bien découper les gestes en différentes étapes, et de les répéter jusqu’à leur maîtrise. À la clé, une meilleure confiance en soi. À la dimension pédagogique s’ajoute une dimension éthique : jamais la première fois sur l’animal. Tout comme des considérations économiques avec une optimisation du temps d’enseignement, ou encore une baisse de la consommation des consommables.

Des outils au service du réel

Dans la salle, les étudiants ont accès à des postes de travail associés à des objectifs bien précis et des notices pédagogiques détaillées expliquant le geste. Suivant le poste, ils ont aussi accès à des tutoriels vidéo, des QCM, et à d’autres documents supports. Certaines activités rentrent dans le cadre des enseignements et sont donc obligatoirement suivies par les étudiants. Les activités visent aussi bien les animaux de compagnie que de rente. « Nous faisons un suivi de l’avancée des étudiants : à la fin d’une activité, ils doivent scanner un QR code qui alimentera leur compte de suivi des études Moodle en association avec une grille d’autoévaluation. Nous avons aussi élaboré un système de récompense basé sur des badges virtuels qui formalisent le nombre d’ateliers suivis. Le plus haut badge est le stétho d’Or. » Il y a déjà 180 activités qui sont classées en fonction du niveau de difficultés et du niveau d’études. Pour la conférencière, les bénéfices sont réels, même s’il reste encore à accumuler des preuves d’efficacité. « L’idée n’est pas de remplacer le réel mais d’avoir une première étape avant la clinique, indique-t-elle. On veut que la simulation s’affranchisse de certains aspects du réel afin que l’étudiant se focalise sur l’objectif pédagogique déterminé… le réalisme n’est pas forcément corrélé au résultat pédagogique. »

"Scroller" pour apprendre

Autre innovation présentée : un robot conversationnel (ou chatbot) d’apprentissage de la pathologie locomotrice des bovins, développé dans le cadre d’une thèse de fin d’exercice encadrée par Raphaël Guatteo (N 01), professeur en médecine des animaux d’élevage à Oniris (partenariat avec la société Askovet). L’idée résulte de plusieurs constats : un manque général de temps de travail disponible, mais aussi l’appétence de la nouvelle génération pour des formats courts (en lien avec le possible manque d’attention constaté), pour les nouveaux outils et pour l’information disponible à la demande. Avec ce robot, l’idée était de proposer des séquences de micro learning qui pouvaient facilement s’insérer dans l’emploi du temps. Le scénario pédagogique construit est composé de 5 séquences autonomes de 5 minutes à étaler sur 5 jours, en amont d’une séquence de TD. Dans chacune, il y a des vidéos et/ou des photos, associées à des questions. Avec en toile de fond les réponses programmées qui ont été voulues les plus bienveillantes possibles. En parallèle, les étudiants ont accès à leur polycopié. L’efficacité de ce chatbot a été évaluée dans un pool d’étudiants, avec une différence significative dans la réussite à un questionnaire en faveur de ceux qui avaient suivi ce programme. « Toutefois, un tiers des étudiants l’ayant suivi n’ont pas eu la moyenne. Ce n’est pas non plus quelque chose qui révolutionne les connaissances. » Si l’efficacité est bien démontrée à court et à moyen terme, elle reste à démontrer pour l’ancrage des connaissances à long terme. Les retours des étudiants sont globalement très positifs.

S’immerger dans une ferme virtuelle

Dernier exemple : l’usage de la réalité virtuelle pour former à une visite d’élevage porcin. Avec une immersion totale, puisque c’est à travers des lunettes connectées à 360 degrés que les étudiants évoluent dans la ferme virtuelle. Cet outil est proposé aux étudiants des 4 écoles nationales vétérinaires. À Alfort, Maxime Delsart (A 97), maître de conférence associé en pathologie des animaux de production et plus particulièrement du porc, est en charge de cette « expérience ». Si le digital s’invite dans les apprentissages en lien avec les évolutions des étudiants, il apparaît aussi particulièrement utile pour l’attractivité de certains enseignements comme le sien, estime Maxime Delsart. De plus, il constate qu’il est de plus en plus difficile de rentrer dans les élevages en raison de la biosécurité, de la baisse du nombre d’élevages mais aussi de la taille des promotions. Il aura fallu six mois pour construire l’escape game (jeu d'évasion) autour d'un cas clinique de caudophagie. La visite scénarisée dure 45 minutes et se développe comme un jeu vidéo ; les étudiants la font en petit groupe (au moment où un étudiant ne porte pas le casque, il a tout de même accès aux images en direct via un ordinateur).  « L’enseignant n’intervient pas mais écoute, puis il y a une phase de débriefing à la fin de la séance. » D’autres visites virtuelles sont prévues, pas forcément sous la forme d’un escape game (visite d’un élevage de volailles, d’une usine d’aliments). Un autre projet va bientôt être développé avec des lunettes connectées. « Un groupe d’étudiants se rendraient dans un élevage avec des lunettes équipées d’une caméra. Les images seraient transmises en direct à d’autres étudiants qui seraient restés à l’école. Ils pourraient communiquer entre eux pour résoudre un problème. » Pour Maxime Delsart, ces dispositifs sont appelés à se multiplier. « Nous avons été contactés en ce sens par trois écoles d’ingénieurs pour développer ce genre d’outils, eux aussi ont du mal à rentrer dans les élevages. »