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FORMATION MIXTE
Auteur(s) : Tanit Halfon
Quels sont les facteurs d’affaiblissement des populations d’abeilles, et plus globalement des pollinisateurs ? À quel point pèsent-ils sur la santé des insectes ? Y a-t-il un effet synergique entre eux ? Bien que l’on dispose déjà d’éléments de réponse à ces questions, le projet européen de recherche Poshbee1 vient compléter les connaissances sur le sujet. Lancé en 2019, ses objectifs étaient de quantifier l’impact des pesticides sur les abeilles mellifères, incluant l’abeille domestique Apis mellifera, le bourdon (Bombus terrestris) et l’osmie (Osmia bicornis), en combinaison avec les effets de la nutrition et de l’exposition aux agents pathogènes. Trois niveaux d’expérimentations ont été menés : en laboratoire, en tunnel et sur le terrain. La force du projet était sa grande envergure d’une part, avec la participation de 8 pays, sur 128 sites d’étude, qui a permis de collecter un volume de données assurant des résultats robustes et très informatifs. D’autre part, l’évaluation combinée des facteurs environnementaux permet de mieux s’approcher des effets réels observés sur le terrain.
Des effets bénéfiques des ressources alimentaires
Premier grand enseignement : les questions d’ordre environnemental sont très complexes et ne peuvent pas faire l’objet de conclusions généralistes, explique Marie-Pierre Chauzat, responsable du laboratoire national de référence de l’Union européenne pour la santé de l’abeille, et chercheuse à l’Anses qui a participé au projet. En effet, il a été montré que « l’impact des stress combinés peut excéder parfois, mais pas tout le temps, la somme de chacun des impacts des stress pris indépendamment les uns des autres, explique-t-elle. De plus, il existe souvent des différences dans la manière dont réagissent les espèces, sous-espèces, sexes, castes et stades de vie, à un même ensemble de facteurs de stress. Enfin, suivant les conditions d’étude, les conclusions ne seront pas les mêmes, pour une combinaison donnée de facteurs de stress et d’espèces cibles ».
En ce qui concerne les pesticides, les expérimentations montrent que les effets toxiques sur les abeilles domestiques et les bourdons peuvent être amoindris si les ressources florales disponibles sont diversifiées et de grande qualité. « Sur le terrain, cela signifie, par exemple, la présence de haies matures avec plusieurs espèces végétales, la diversité favorisant aussi la qualité nutritionnelle », indique Marie-Pierre Chauzat. Pour les osmies, ces effets n’ont pas été atténués par la diversité du pollen, mais il a été observé une meilleure survie et une meilleure performance avec la hausse de la qualité nutritionnelle des ressources en tunnel.
Ne pas simplifier les effets de l’exposition aux pesticides
Par ailleurs, l’exploration de l’effet cocktail des pesticides a révélé sa complexité. Par exemple, pour le bourdon, « en conditions de laboratoire, l’exposition combinée au sulfoxafor, boscalide et glyphosate2, par paire ou les trois ensemble, peut réduire les performances de prise de nourriture et de butinage ». Mais « sous tunnel, il n’a pas été démontré d’effet synergique du sulfoxaflor en combinaison avec l’azoxystrobine2 sur les abeilles domestiques, bourdons et osmies ». Sur le terrain, « l’exposition à plusieurs pesticides est associée à des performances plus faibles des colonies de bourdons ». Malgré le niveau de complexité des données, il y a encore des limites. Comme le souligne Marie-Pierre Chauzat, « dans la vraie vie, les pollinisateurs sont exposés à davantage de pesticides et soumis à des conditions environnementales disparates par rapport à nos conditions strictement contrôlées de laboratoire ». Ceci dit, « tout ce corpus d’expérimentations conforte bien que les pesticides jouent un rôle dans le déclin des pollinisateurs ». Et illustre l’importance d’évaluer les effets combinés dans l’évaluation des risques. « En matière de questions environnementales, on ne peut pas tirer des conclusions généralistes. »
Des échanges de pathogènes entre pollinisateurs
En ce qui concerne les agents pathogènes, des populations des trois pollinisateurs étudiés ont été introduites et suivies sur 128 sites de 8 pays européens (Allemagne, Estonie, Irlande, Italie, Royaume-Uni, Espagne, Suède, Suisse) au cours du temps, dans un environnement riche en colza et en pommiers. L'étude s'est interéssée à 11 agents pathogènes les plus communs en Europe3. Au début de l’expérimentation, les abeilles domestiques présentaient les niveaux les plus élevés en pathogènes. Parmi les pathogènes, les virus du couvain BQCV (Black Queen Cell Virus – virus de la cellule royale noire) et SBV (Sacbrood Virus – virus du couvain sacciforme), et le virus des ailes déformées (DWV pour Deformed Wing Virus – génotype B) étaient les plus fréquents parmi les 6 virus. L’ABPV (Acute Bee Paralysis Virus – virus de la paralysie aiguë) était le virus le moins présent. Au cours du temps, la charge en pathogènes a augmenté pour les trois pollinisateurs étudiés, reflétant une acquisition dans leur environnement, probablement par le partage des ressources florales. Il n’a pas été montré d’influence des cultures des sites, tout comme du pays. Ainsi, le changement d’environnement des pollinisateurs abeilles les expose à un risque de contamination par les pathogènes. « On a pu aussi établir des seuils de pathogénicité pour ces 11 agents pathogènes, permettant de quantifier le risque de développement d’une maladie », explique Marie-Pierre Chauzat. Les analyses statistiques doivent être poursuivies pour établir le lien avec l’exposition aux pesticides et les facteurs nutritionnels.
Des nouveaux outils à venir
Ce projet de recherche a été l’occasion de développer trois nouveaux outils qui pourront s’avérer utiles pour suivre l’état de santé des abeilles. Le premier, Apish, vise à quantifier les pesticides présents dans une colonie d’abeilles. « Il s’agit d’une membrane en plastique que l’on place dans la ruche et qui capte les résidus de pesticides qui pourront être quantifiés en laboratoire. L’idée était de développer un outil accessible ». Le deuxième est une carte de santé de l’abeille. Le principe : en analysant l’hémolymphe d’un échantillon d’abeilles, il s’agirait d’identifier l’exposition aux pesticides et aux pathogènes, les capacités immunitaires des abeilles, et l’état nutritionnel. « Suivant les résultats, on pourrait qualifier les impacts sur la santé de chacun des facteurs, de fort, moyen ou faible, ce qui pourrait permettre d’orienter l’analyse d’une problématique de santé. » Le troisième outil correspond à des modèles statistiques d’évaluation du risque environnemental, qui portera sur plusieurs espèces.
Ces premiers résultats, qui seront complétés dans les années à venir, permettent déjà d’appréhender les axes d’amélioration de l’évaluation des risques des pesticides. « Actuellement, les produits sont évalués un par un, avec des méthodes centrées surtout sur l’abeille mellifère. Le nouveau modèle sur lequel nous travaillons, vise à élargir le spectre d’évaluation. Nous le développons d’ailleurs en collaboration avec l’Efsa », précise Marie-Pierre Chauzat. À la suite de Poshbee, d’autres projets sont attendus, dont deux centrés sur l’évaluation des risques environnementaux. L’un des projets, WildPosh, se focalisera sur l’exposition des pollinisateurs sauvages aux pesticides