Nouvelle-Calédonie
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Irène Lopez
Face aux événements dramatiques qui se déroulent en Nouvelle-Calédonie, la profession s’est mobilisée afin de collecter des fonds au profit des vétérinaires victimes des émeutes. Près de 90 vétérinaires exercent dans l’île. Si aucun incident corporel n’est à déplorer, trois cliniques ont été incendiées et deux autres dégradées.
Il est minuit quand le réveil sonne à Nouméa. Le vétérinaire Laurent Vignon, de la direction des risques sanitaires de la ville, se lève. Il est de garde. Mais il ne va pas pour autant rejoindre une clinique pour traiter les urgences vétérinaires. S’il se réveille au milieu de la nuit, c’est pour se rendre sur un barrage. Il explique : « Je me rends vers un barrage que je qualifie davantage de barricade psychologique. Avec des voisins, nous avons entreposé quelques barres de fer pour bloquer la rue et éviter que de jeunes excités ne s’en prennent à nos maisons. »
La Nouvelle-Calédonie est en proie à de violentes émeutes, notamment dans les quartiers nord de Nouméa. « Nous sommes au cœur d’une véritable guerre civile », commente Laurent Vignon. Si les mots sont précis, ses propos restent volontairement mesurés, factuels et dénués d’avis politique, tant le contexte est complexe.
La situation dans l’archipel du pacifique, tendue depuis des mois, a explosé depuis le 13 mai. Les émeutes meurtrières (7 personnes ont été tuées) ont pour origine la réforme du corps électoral sur laquelle allait se prononcer l’Assemblée nationale. Une branche radicalisée des indépendantistes de l’île, vent debout contre cette réforme, sème la terreur dans certains quartiers. Si aucun membre de la profession vétérinaire n’a été blessé physiquement, les dégâts psychologiques sont réels.
« Nous manquons de médicaments, de croquettes »
Tout a commencé par des manifestations bruyantes et violentes ponctuées d’incendies de pneus, comme l’île en a déjà vécues. « Aujourd’hui, plus rien n’est comme avant, notre vie est complètement chamboulée. Des bâtiments sont incendiés. On tire à balles réelles dans la ville. Nous ne pouvons plus nous rendre à notre travail. L’essence vient à manquer. Ceux qui arrivent à se déplacer et passer les barrages se font copieusement insulter. Nous manquons de médicaments, de croquettes… », raconte Laurent Vignon.
Le vétérinaire, même s’il craint pour son intégrité physique et celle de sa famille, avoue ne pas être à plaindre, car il est fonctionnaire, salarié de la ville de Nouméa, en charge du contrôle alimentaire. Il continue à être rémunéré pendant cette période chaotique, contrairement à ses confrères libéraux.
Près de 90 vétérinaires inscrits à l’Ordre exercent sur l’île. Ils sont tous d’origine européenne, qu’ils soient métropolitains ou calédoniens. « Le seul vétérinaire d’origine mélanésienne que je connais a fait ses études avec moi à Toulouse et exerce en métropole », commente Yann Charpentier, le représentant de l’Ordre des vétérinaires en Nouvelle-Calédonie. Il est l’interlocuteur entre le CRO de la Nouvelle-Aquitaine et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, compétent en matière d’exercice et de pharmacie vétérinaire.
L’entraide entre vétérinaires
Toute l’île n’est pas à feu et à sang. La situation est particulièrement disparate.
En Nouvelle-Calédonie, il y a 270 000 habitants (dont 40 % de Mélanésiens, 29 % d'Européens, 9 % de Wallisiens et de Futuniens, plus de 3 % d'Asiatiques, etc.). Ils vivent principalement à Nouméa, chef-lieu et capitale économique. « Nouméa, c’est un peu comme une ville de la Côte d’Azur, compare Yann Charpentier. Il y a beaucoup d’animaux de compagnie. C’est là qu’exercent la majorité des vétérinaires. » Il confirme les propos de son confrère : « Les événements actuels concernent Nouméa et se concentrent plus précisément dans les quartiers nord. Les habitants y vivent dans la terreur, craignant pour leur intégrité physique. Une jeune consœur a récemment fait l’objet d’un car-jacking. » Ailleurs, et notamment en brousse, comme à Koné, où Yann Charpentier réside, l’exercice vétérinaire peut se poursuivre. Mais il est entravé par les pénuries de carburant. « Malheureusement, la profession en est encore à devoir se justifier pour figurer parmi les professions essentielles, et beaucoup de vétérinaires ont du mal à s’approvisionner en carburant dans les stations réquisitionnées », ajoute le représentant de l’Ordre.
L’entraide entre vétérinaires est de mise. Ceux qui peuvent se déplacer prennent le relais de ceux qui sont arrêtés par les barrages, et partent soigner les animaux. Un groupe WhatsApp a été créé pour faciliter les échanges et la transmission des informations.
En lien avec les autres vétérinaires de l’île, Yann Charpentier fait le décompte : « Sur la vingtaine de structures vétérinaires existantes dans le Grand Nouméa, trois ont été réduites en cendres et deux autres dégradées. Encore une fois, la situation diffère. Et ce, même au sein des structures incendiées. Un des professionnels est particulièrement touché, car il n’a plus aucun lieu d’exercice. Les gérants ont essayé de lister les priorités : les salaires du personnel, le matériel… ». Comment les assurances vont-elles s’organiser pour pallier les pertes de ces professionnels ? Quand auront lieu les indemnisations ? Ces questions restent en suspens.
Face à cette situation dramatique, les organisations vétérinaires (AFVAC, AFVE, APV, AVEF, CNOV, FSVF, SNGTV, SNVEL, SSEVIF et Vetos Entraide) se sont mobilisées et ont lancé une collecte de fonds « pour apporter un soutien financier rapide qui permettra aux vétérinaires de rebondir et reconstruire dès que la situation sera contrôlée et que le calme et la sérénité seront revenus », peut-on lire dans un communiqué de presse en ligne, sur le site du CNOV.
Parer aux dépenses urgentes
Techniquement, la cagnotte a été créée par le SNVEL. « Il fallait bien qu’une main appuie sur le bouton. Nous avions déjà expérimenté ce genre d’action lors de la tempête Alex qui a touché le sud de la France en 2020 », explique humblement David Quint, le vice-président du SNVEL. Au 31 mai, elle s’élevait à 54 725 euros.
David Quint explique l’origine de cette cagnotte : « Les événements qui se produisent en Nouvelle-Calédonie sont indépendants de la volonté des vétérinaires. Ils se retrouvent victimes. La profession se montre solidaire. Nous nous sommes presque tous retrouvés autour de la table pour mettre en place cet acte de générosité. Nous savons que l’argent ne résout pas tout et que notre solidarité ne sera pas à la hauteur des dégâts matériels. Ce geste est avant tout pour parer aux dépenses les plus pressées des vétérinaires concernés. Nous savons bien que les indemnisations par les assurances sont longues à venir. »
Comment ces fonds seront-ils distribués ? « Il faudra faire un état des lieux pour n’oublier personne, car si certains s’expriment sur les réseaux sociaux, d’autres sont silencieux. Nous ferons un point dans un mois », explique-t-il.
Alors que Laurent Vignon appelle de ses vœux un retour au calme pour pouvoir circuler et soigner les animaux, Yann Charpentier insiste sur la nécessité d’intervenir rapidement, car la structure la plus touchée a d’ores et déjà entamé des démarches pour retrouver un local.
David Quint conclut : « Le seul message politique que nous souhaitons faire passer est le suivant : s’attaquer à des personnes qui sont là pour rendre service à la population est quelque chose que nous dénonçons fermement. »