Exigences en termes de bien-être animal : quelle place pour les vétérinaires ? - La Semaine Vétérinaire n° 2039 du 21/06/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2039 du 21/06/2024

Journée vétérinaire bretonne

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Par Emma Cantaloube

De nombreuses normes concernant le bien-être des animaux d’élevage ont été créées pour répondre aux attentes du consommateur. Les vétérinaires participent à leurs contrôles. Zoom sur une nouvelle facette de la profession.

Le 16 mars 2024, près de 180 vétérinaires et ASV se sont rendus à la 13e édition de la Journée vétérinaire bretonne (JVB) organisée par le GTV Bretagne au palais des congrès de Lorient. Cette année, la thématique de la matinée regroupant toutes les filières (bovine-porcine-aviaire) portait sur les cahiers des charges liés au bien-être animal. Le sujet a été traité sous trois angles. Le premier était celui de la grande distribution grâce à l’intervention de Rémy Lecerf, responsable agriculture et qualité chez Carrefour France. Le second intervenant, Romain Espinosa, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), a permis de mieux cerner les attentes et comportements des consommateurs. Ceux-ci seraient favorables à davantage de contrôles de la bientraitance animale au niveau des abattoirs, ainsi qu’à l’étiquetage des produits en fonction des conditions de vie de l’animal durant son vivant. Ce qui a parfaitement introduit le troisième point de vue de la matinée, celui de la vétérinaire Florence Cornillon.

Une activité de « consulting »

Après une dizaine d’années en clientèle vétérinaire libérale puis différents postes à la direction départementale de la protection des populations/direction départementale des services vétérinaires du Finistère, Florence Cornillon a rejoint en 2017 le cabinet de conseil SDBF (Stratégie – Durabilité – Bien-Être – Finalité) où elle exerce à plein temps. L’objectif de SDBF est d’accompagner ses clients (grande distribution, restauration hors domicile, transformateurs de viande, organisations de production…) dans la progression des pratiques de protection et de bien-être des animaux d’élevage. Cela se traduit concrètement par la formation des professionnels concernés en matière de protection animale ou à l’aide au développement de cahiers des charges, de modes opératoires normalisés (obligatoires pour les abattoirs) ou de plans de progrès. Au quotidien, Florence Cornillon réalise également des audits spécialisés, essentiellement en abattoir, mais pas seulement, afin de vérifier la conformité vis à vis des normes de bientraitance et de protection animale.

L’étiquetage bien-être animal, un audit concret

Dans le cadre de son activité, Florence Cornillon a participé à l’élaboration de l’étiquetage bien-être animal, initiée par le groupe Casino, qui s’est appuyé sur des ONG (CIWF France, OABA, LFDA), « pour donner une indication claire et simple au consommateur sur le niveau de bien-être animal, et valoriser des systèmes dépassant le simple respect de la réglementation ». Cette démarche d’étiquetage est aujourd’hui portée par l’association Étiquette bien-être animal (AEBEA) (qui s’est rapprochée du LIT Ouesterel en 2019) et regroupe les membres fondateurs, des associations, des producteurs et des distributeurs.

Dès le départ, un des objectifs de cette démarche était d’inclure l’ensemble de la vie de l’animal : de ses conditions d’élevage à celles de son abattage. Des vétérinaires libéraux ainsi que SDBF ont été associés aux premières réunions « pour faire un état des lieux au démarrage des travaux » et élaborer des grilles d’audits. Florence Cornillon a été ensuite missionnée pour tester ces grilles en élevage et en abattoir. Actuellement, les grilles AEBEA sont composées de 311 items pour le porc (dont 155 portent sur la partie abattoir) et de 235 pour le poulet de chair (184 sur la partie abattoir). L’audit en abattoir se déroule sur une journée complète et comprend les deux grandes parties suivantes.

– Une partie terrain, qui permet d’évaluer les pratiques de déchargement, de manipulation, d’étourdissement et de mise à mort, ainsi que la maintenance préventive et curative du site.

– Une partie documentaire axée sur le management de la bientraitance.

Un professionnel reconnu et médiateur

Les audits réalisés dans le cadre de la démarche d’étiquetage bien-être animal constituent un exemple particulier. Mais il en existe de nombreux autres, qui incluent tous des critères sur la bientraitance: diagnostics interprofessionnels (Interbev et Inaporc), audits clients (exemple: McDonald’s demande un audit selon une grille particulière), audits internes… Les critères pour être auditeur varient sensiblement selon les donneurs d’ordre mais il faut généralement être titulaire d’un diplôme de vétérinaire ou d’éthologue. À noter qu’aujourd’hui, on compte uniquement des vétérinaires pour les audits interprofessionnels en abattoir. Moins de dix vétérinaires les assurent pour toute la France. Ces derniers seraient en effet appréciés pour leurs connaissances sur la physiologie des animaux (notamment en ce qui concerne l’étourdissement) mais aussi pour leur pragmatisme et leur capacité à proposer des solutions concrètes – en élevage comme en abattoir – grâce à leur connaissance du terrain. Ce manque de connaissance du terrain et de proposition de pistes de progrès est généralement reproché aux auditeurs des organismes de certification, beaucoup plus généralistes. La présence historique des vétérinaires dans les abattoirs, représentée par le vétérinaire officiel, facilite également les échanges et l’acceptation des audits. Et Florence Cornillon de rappeler que le vétérinaire « est déjà lui-même garant de la bientraitance en abattoir ».

Quelles limites ?

Toutefois, les vétérinaires ne sont pas toujours retenus dans les appels d’offres d’audits. En effet, si les compétences techniques sont toujours reconnues et appréciées, les tarifs plus bas proposés par des organismes certificateurs généralistes font la différence. De plus, le recrutement des vétérinaires pour ces missions n’est pas aisé car les horaires sont souvent variables, avec des déplacements sur l'ensemble du territoire national. 

Informer les vétérinaires de ces « nouvelles missions » pour susciter des vocations importe donc, car, comme le conclut Florence Cornillon : « Le vétérinaire, par ses connaissances scientifiques et techniques, sa capacité à prendre en compte les contraintes économiques, comme sa sensibilité intrinsèque à la condition animale, est un intervenant légitime, reconnu et attendu dans ce domaine. Il nous appartient de nous montrer à la hauteur de ce nouvel enjeu. »