Symposium européen
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Par Manon David
Parmi les messages forts délivrés pendant le symposium organisé par Purina à la veille du congrès européen Eurogut, la nécessité de repenser l’usage des antibiotiques lors d’entéropathie chronique, au profit de techniques novatrices dans la manipulation du microbiote.
L’importance de la nutrition dans la gestion des entéropathies chroniques, les nouveautés sur la manipulation du microbiote intestinal et la controverse sur l’utilisation des antibiotiques ont fait l’objet des conférences du symposium Purina ProPlan 2024. À l’aube du congrès annuel EuroGut de la société européenne de gastroentérologie comparative (ESCG), un panel d’experts s’est en effet réuni pour présenter les mises à jour en gastroentérologie vétérinaire le 2 mai dernier à Helsinki (Finlande).
Vers une nouvelle classification des entéropathies chroniques
La classification actuelle des entéropathies chroniques est basée sur la réponse du patient au traitement et comprend les entéropathies répondant à un changement alimentaire (FRE), répondant aux antibiotiques (ARE), répondant à un traitement immunosuppresseur (IRE) et les entéropathies réfractaires (NRE). Cependant, de récentes publications montrent que l’utilisation de certains antibiotiques tels que le métronidazole engendre une dysbiose marquée, persistant plusieurs mois après l’arrêt du traitement1. Chez l’humain et chez le chat, l’utilisation d’antibiotiques est associée à un risque accru de développer une atteinte digestive chronique. Ces effets délétères de l’antibiothérapie, associés à la multiplication des données sur l’importance du microbiote intestinal, remettent en question la catégorisation des ARE, suggérant un nouveau sous-groupe : les entéropathies répondant aux manipulations du microbiote (MrMRE)2 (cette nouvelle classification fera l'objet d'un article dans le prochain numéro de La Semaine Vétérinaire, NDLR). Une révision de la gestion thérapeutique, avec une restriction, voire une abolition, de la prescription d'antibiotique est recommandée. À ce jour, la majorité des chiens référés pour des troubles digestifs chroniques ont préalablement reçu entre un et quatre traitements antimicrobiens.
Gestion des essais alimentaires lors d’entéropathies chroniques
Les FRE concernent plus de 60 % des chiens, en particulier chez les individus jeunes (< 6 ans) avec des signes cliniques peu marqués, faisant de l’alimentation la pierre angulaire du traitement3. Actuellement, il n’existe pas de consensus sur la nature et la gestion des essais alimentaires en médecine vétérinaire. Compte tenu du lien entre la taille et la forme des protéines et leur capacité à induire une hypersensibilité, les régimes hypoallergéniques à base de protéines hydrolysées sont souvent mis en avant. Les alimentations hyperdigestibles, à base de protéines dites naïves ou ménagères, sont également décrites. En parallèle, d’autres paramètres nutritionnels essentiels sont à prendre en compte : adjonction de fibres notamment lors de diarrhée colique ou de dysbiose, utilisation de régimes restreints en graisses lors d’entéropathie exsudative (avec perte de protéines), de lymphangiectasie, de pancréatite concomitante, ou encore de reflux gastroœsophagien. Enfin, une variabilité de l’appétence et du coût est également observée selon le régime. L’adaptation de l’alimentation se fait donc sur mesure à l’échelle de l’animal et de son propriétaire.
Valérie Freiche, praticienne hospitalière à l’École nationale vétérinaire d’Alfort, a présenté les résultats d’une étude en cours sur le sujet. En moyenne, trois essais alimentaires sont nécessaires pour obtenir une rémission clinique, et 27 % des chiens ne répondent qu’après quatre à huit régimes différents. Cette donnée souligne l’importance de l’éducation du propriétaire, de l’instauration d’une relation de confiance avec le clinicien, et de la persévérance dans la réalisation des essais alimentaires. Lorsque le régime est adapté à l’individu, une rémission clinique est généralement observée dans les deux semaines après la mise en place du nouvel aliment. Les sources de protéines associées aux plus hauts taux de rémission sont le soja hydrolysé (34,5 %) et les gammes « anallergéniques » (15 %). Après au minimum huit à dix mois de stabilisation médicale, la réintroduction d’une alimentation physiologique ou de friandises peut être envisagée. Elle n’est toutefois pas recommandée, une récidive des signes étant observée dans environ 30 % des cas.
Apports des probiotiques
Les souches bactériennes du microbiote intestinal montrent une variabilité individuelle marquée, mais certains genres clés ont été identifiés. C’est le cas de Clostridium hiranonis, qui joue un rôle majeur dans la conversion des acides biliaires primaires en acides biliaires secondaires, ou encore de Faecalibacterium sp., responsable de la conversion de certaines fibres en acides gras à chaîne courtes jouant sur l’inflammation et l’activation du système immunitaire. De ce constat émerge la notion de manipulation du microbiote par l’administration de probiotiques, ces micro-organismes vivants qui, ingérés en quantité suffisante, exercent des effets bénéfiques sur la santé de l’hôte. Certaines souches probiotiques, telles qu’Enterococcus faecium SF68, ont démontré leur efficacité dans la prévention et le traitement adjuvant des diarrhées aiguës chez les animaux de refuge4. D’autres comme Bifidobacterium longum BL999 semblent avoir un impact positif sur la gestion du stress aussi bien chez l’humain que chez le chien. En revanche, les données sur l'utilisation des probiotiques dans les entéropathies chroniques restent très limitées, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour préciser leur efficacité.
Transplantation du microbiote fécal en pratique
Décrite pour la première fois en Chine au IVe siècle, la transplantation de microbiote fécal (TMF), ou transfaunation, est aujourd’hui un sujet d’étude central dans la manipulation du microbiote. Cette technique consiste à administrer les selles d’un donneur sain à un receveur malade, augmentant ainsi la proportion de flore commensale bénéfique entrant en compétition avec les bactéries pathogènes. En médecine humaine, la TMF est principalement utilisée dans la prise en charge des diarrhées aiguës à Clostridium difficile, avec un taux de guérison supérieur à 90 %. Elle est activement étudiée dans la prise en charge adjuvante de troubles neurologiques comme l’épilepsie essentielle. Bien que l'intérêt de la TMF chez les carnivores domestiques reste à démontrer, des résultats prometteurs ont été observés dans la gestion des entéropathies chroniques réfractaires5.
En pratique, la réalisation d’une TMF nécessite au préalable la sélection d’un donneur adéquat : adulte, en bonne santé (ne présentant pas de maladie chronique), recevant une alimentation de bonne qualité, vivant en intérieur pour les chats, et testé négatif pour les entéropathogènes communs. Selon le protocole de l’université de Munich, les selles du donneur sont préparées sous forme liquide après adjonction de NaCl 0,9 % en proportions égales et filtrage. Elles sont ensuite administrées dans le même temps au receveur à la dose de 2-5 g/kg par voie orale, endoscopique ou rectale. Les selles ainsi préparées se conservent moins de 24 heures à 4 °C, mais peuvent être conservées congelées (- 20 à - 80 °C) pendant environ un an après ajout de 10 à 20 % de glycérine. Une mise à jeun du receveur est recommandée. La réalisation d’un lavement rectal au préalable ne semble pas nécessaire. Des épisodes de vomissements et de diarrhée d’intensité modérée et auto-résolutifs sont parfois observés après la procédure. Là encore, d’autres études sont indispensables pour préciser les indications et certains aspects du protocole de la TMF.